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N° 734

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2011-2012

Enregistré à la Présidence du Sénat le 31 juillet 2012

PROPOSITION DE LOI

tendant à la suppression de la rétention et de la surveillance de sûreté ,

PRÉSENTÉE

Par MM. Jacques MÉZARD, Jean-Michel BAYLET, Jean-Pierre CHEVÈNEMENT, Yvon COLLIN, Pierre-Yves COLLOMBAT, François FORTASSIN, Mme Françoise LABORDE, MM. Stéphane MAZARS, Jean-Claude REQUIER, Robert TROPEANO, Raymond VALL et François VENDASI,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La XIII e Législature a été marquée, en matière de politique pénale, par une succession de textes déposés et discutés à la hâte, et dont la ligne directrice s'est essentiellement caractérisée par une logique répressive à usage médiatique. La loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, qui a institué la rétention et la surveillance de sûreté, en est l'illustration parmi tant d'autres.

Ce texte, mal conçu dès l'origine, se voulait d'abord une réponse circonstancielle à plusieurs faits-divers odieux qui avaient, à juste titre, frappé l'opinion publique. Mais légiférer sous l'emprise de l'émotion ne saurait constituer une façon satisfaisante d'oeuvrer en faveur de l'intérêt général.

Le Conseil constitutionnel n'avait pas manqué de relever, dans sa décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008, l'inconstitutionnalité de la rétroactivité du dispositif de rétention de sûreté, eu égard « à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu'elle est prononcée après une condamnation par une juridiction ». Or les débats parlementaires avaient déjà souligné que la rétroactivité alors voulue par le Gouvernement constituait une grave violation des principes fondamentaux du droit.

Même si la loi tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle du 10 mars 2010 est revenue sur ce point particulier, les auteurs de la présente proposition de loi n'en contestent toujours pas moins la philosophie des deux dispositifs.

La rétention de sûreté, et à un degré moindre la surveillance de sûreté, sont fondées sur le postulat tout à fait contestable selon lequel la dangerosité présumée d'un individu justifierait de façon préventive sa relégation hors de la société. De fait, la rétention de sûreté revient à s'affranchir de la séparation fondamentale entre une justice fondée sur le principe de responsabilité de l'auteur d'une infraction et une justice fondée sur la commission virtuelle d'une infraction. Le lien de causalité entre infraction et privation de liberté est ainsi annihilé pour la personne qui présenterait une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive. Il est pourtant acquis depuis la Révolution de 1789 que la privation de liberté ne peut être prononcée par la justice qu'à raison de la commission d'une infraction ou de la tentative de commission.

Or, le concept même de dangerosité criminologique et psychiatrique demeure très contingent et ne fait pas même consensus chez les psychiatres. Cette philosophie d'un déterminisme comportementaliste est non seulement contestable mais encore particulièrement dangereuse, dans la mesure où elle dénie tout libre-arbitre aux individus et écarte le principe de liberté individuelle. De surcroît, elle obère le traitement social de la délinquance qui devrait pourtant constituer la première réponse de l'État.

La politique d'une récidive zéro est une illusion fallacieuse sauf à accepter le développement d'un contrôle de l'État sur les actes individuels, ce que les auteurs de la présente proposition de loi rejettent. L'enfermement de précaution, que pose la rétention de sûreté, porte en lui les germes d'une société faisant de la liberté individuelle l'exception, au nom d'une logique sécuritaire globale.

Il n'est ainsi pas acceptable dans un État de droit que la liberté d'une personne dûment condamnée et ayant purgé sa peine continue à dépendre de l'appréciation des psychiatres, sans qu'elle ait eu connaissance au préalable de la durée de sa privation de liberté.

Au demeurant, ce dispositif ne concerne qu'un nombre très restreint de personnes. L'ancien garde des Sceaux Michel MERCIER avait, en effet, mentionné devant le Sénat le 1 er février 2012 que seules neuf personnes avaient alors été placées sous surveillance de sûreté. Une seule avait été placée en rétention de sûreté, et encore ne l'avait-elle été qu'en raison du non-respect de ses obligations judiciaires. À l'évidence, la mise en oeuvre de dispositifs aussi attentatoires aux libertés fondamentales vient se substituer à d'autres dispositifs plus respectueux des principes de l'État de droit, comme le suivi socio-judiciaire, le placement sous surveillance électronique mobile ou encore l'inscription au Fichier national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles.

La rétention de sûreté ne répond pas aux profonds problèmes qui affectent aujourd'hui les prisons françaises, totalement incapables d'apporter une réponse efficace à la prise en charge de la maladie mentale en milieu carcéral. Bien au contraire, les prisons sont devenues un facteur de développement de troubles mentaux pour les personnes incarcérées, alimentant de la sorte l'exclusion sociale et la récidive au lieu de les combattre.

Il est évident que la rétention de sûreté n'a pas été mise en place avec un objectif d'efficacité par rapport à la dangerosité potentielle de criminels ayant purgé leur peine, mais dans le seul objectif de donner une réponse médiatique à la gestion toujours délicate de faits-divers à juste titre insupportables pour l'opinion publique.

La rétention et la surveillance de sûreté contreviennent de façon inacceptable aux principes fondamentaux de l'État de droit. Il est aujourd'hui impératif et urgent de les abroger.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

Les articles 706-53-13 à 706-53-22 du code de procédure pénale sont abrogés.

Article 2

En conséquence :

1° Les articles A 37-30 et A 37-31, le sixième alinéa de l'article 362, le huitième alinéa de l'article 717-1, les articles 723-37 et 723-38, le 2° de l'article 730-2, l'article 732-1, le cinquième alinéa de l'article 763-3 et l'article 763-8 sont supprimés.

2° Le premier alinéa de l'article 706-47-1 du même code est ainsi rédigé :

« Les personnes condamnées pour l'une des infractions mentionnées à l'article 706-47 peuvent être soumises à une injonction de soins prononcée soit lors de leur condamnation, dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire, conformément à l'article 131-36-4 du code pénal, soit postérieurement à celle-ci, dans le cadre de ce suivi ou d'une libération conditionnelle, conformément aux articles 732-30, 731-1 et 763-3 du présent code, dans les cas et conditions prévus par ces articles ».

3° À la première phrase de l'article 717-1 A, les mots : « l'une des infractions visées à l'article 706-53-13 » sont remplacés par les mots : « un crime, commis sur une victime mineure, d'assassinat ou de meurtre, de torture ou actes de barbarie, de viol, d'enlèvement ou de séquestration, ou un crime, commis sur une victime majeure, d'assassinat ou de meurtre aggravé, de torture ou actes de barbarie aggravés, de viol aggravé, d'enlèvement ou de séquestration aggravé, prévus par les articles 221-2, 221-3, 221-4, 222-2, 222-3, 222-4, 222-5, 222-6, 222-24, 222-25, 222-26, 224-2, 224-3 et 224-5-2 du code pénal ou, lorsqu'ils sont commis en récidive, de meurtre, de torture ou d'actes de barbarie, de viol, d'enlèvement ou de séquestration ».

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