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N° 806

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 juillet 2013

PROPOSITION DE LOI

portant réforme du code de justice administrative ,

PRÉSENTÉE

Par Mme Hélène LIPIETZ,

Sénatrice

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Il s'agit d'introduire deux modifications au code de justice administrative, qui se situeraient logiquement en L. 12 et L. 13.

I. PASSAGE AU PLEIN CONTENTIEUX

On parle de recours pour excès de pouvoir quand le juge se borne à annuler une décision (négative ou positive), tout en pouvant, au titre de l'exécution ordonner certaines mesures à l'administration. On parle de plein contentieux, quand le juge a d'autres pouvoirs, notamment condamner l'administration ou modifier une décision.

Sauf certaines dispositions législatives ponctuelles, c'est le Conseil d'État qui détermine si un litige relève du plein contentieux. Dans certains cas, la solution est très ancienne (ICPE par ex.), dans d'autres elle est récente (certains sanctions) et résulte parfois d'influence de la jurisprudence de Strasbourg.

Les défauts du recours pour excès de pouvoir

S'agissant des décisions individuelles et d'elles seule (à l'exclusion donc des actes réglementaires ou d'espèces, comme les DUP), la solution du recours pour excès de pouvoir a certains inconvénients :

- elle oblige souvent à mener deux procès successifs contre deux décisions successives ;

- elle ralentit considérablement le cours de la justice ;

- elle rend difficile d'apprécier ce qui a effectivement l'autorité de chose jugée ;

- elle donne trop d'importance aux annulations pour des vices formels et parfois secondaires ;

- elle accentue l'insécurité juridique de certains demandeurs (notamment étrangers) ; à noter désormais que dans le cas du permis de construire l'ordonnance du 2013-638 du 18 juillet 2013 remédie partiellement au problème en permettant la régularisation, sur suggestion du juge, ce qui revient assez largement à faire du plein contentieux déguisé en recours pour excès de pouvoir ;

- elle est parfois contraire au droit au procès équitable, notamment en tant que facteur de complication ;

- elle ne tient pas compte des évolutions du droit positif et de fait intervenant entre le début du procès et sa fin.

Certes, le système des voies administratives d'exécution (article L.  911-1 et suivants, issus) a atténué certains défauts du recours pour excès de pouvoir, mais pas tous. Et en contrepartie, il a largement brouillé la différence entre recours pour excès de pouvoir et plein contentieux, puisque l'exécution relève toujours du plein contentieux, alors même que l'annulation n'en relève pas.

Les avantages du recours pour excès de pouvoir

C'est essentiellement de sauvegarder le pouvoir de l'administration, raison pour laquelle on n'envisage pas de supprimer le recours pour excès de pouvoir dans les domaines par excellence du pouvoir discrétionnaire, comme l'édiction des actes réglementaires, la prise des grandes décisions (DUP, ZAC etc.).

La question peut naturellement se poser de déroger au basculement dans certaines affaires individuelles, en particulier pour le contentieux de la fonction publique (la préservation du lien hiérarchique justifiant un système différent) ou pour la délivrance des diplômes : en raison du pouvoir souverain des jurys et du manque de compétence extra-juridique des magistrats, il paraît impossible qu'un juge délivre un diplôme à la place de l'administration compétente

Une évolution souhaitée

Il n'est sans doute pas très sain que ce soit le Conseil d'État qui décide ce qui relève du plein contentieux par des grands arrêts. Il paraît plus naturel que ce soit le législateur qui le fasse.

La doctrine semble attendre un tel changement :

- cf. pour les notes sous CE 20 juin 2012, no 346073, min. de l'Intérieur, de l'Outre-mer, des Collectivités territoriales et de l'Immigration, AJDA 2012. 1259, obs. D. Poupeau ; JCP Adm. 2012, act. 456, obs. L. Erstein. JCP éd. A 2012 n° 2402 obs. GM ; JCP éd. A 2013 n° 2061 note David Bailleul.

Droit transitoire

En principe les règles de procédure entrent immédiatement en vigueur. Néanmoins, cela peut présenter des inconvénients ou demander des précisions :

- peut-on appliquer sans inconvénient aux procédures en cours la nouvelle règle ?

- aux alentours de la date d'entrée en vigueur, peut-on laisser le choix au demandeur de la procédure, alors que si elle présente globalement des avantages pour les administrés elle peut anéantir les chances de gagner un procès pour des raisons de forme  ; sans doute oui puisque toutes les personnes concernées auront le même choix.

une telle décision est laissée à la sagesse de l'assemblée.

Effets attendus

- diminution importante du contentieux de l'exécution, qui en pratique sera confiné au contentieux des règlements non pris et des matières exclues du nouveau dispositif s'il y a en a

- diminution du nombre de deuxième procès après réexamen des demandes (cas des nouvelles décisions qui ne peuvent pas pour cette raison être traitées dans le cadre du contentieux de l'exécution) ;

- suppression des annulations pour des vices de procédure ou de forme qui n'ont pas privé les intéressés de garanties effectives.

II. PUBLICATION DES JUGEMENTS
DANS LES ORGANES DE PRESSE

La publication des jugements administratifs n'est pas actuellement prévue alors qu'elle serait utile dans certains cas. Il est proposé de l'introduire sans trop l'encadrer, la sagesse du juge étant suffisante pour limiter les abus. Les dépenses générées par cette mesure seront gagées par les économies considérables résultant des précédentes.

Le problème principal est de savoir si l'on exclut les décisions de référé. La proposition est de les inclure, puisque le référé liberté est la procédure où cela sera particulièrement justifié. En revanche, il paraît requis d'exclure les affaires où il y a eu huis clos et celles où la publication peut porter atteinte à un secret protégé.

Néanmoins, la publication avant que le jugement soit définitif peut être problématique, d'où l'idée que par dérogation au droit commun, l'appel soit suspensif.

Il est envisager qu'il soit permis de demander la mesure après notification du jugement

Il est proposé la publication sur les sites internet des personnes morales sans limite. Pour le papier, il est proposé de limiter la publication en principe aux organes de presse français recevant des annonces légales, avec possibilité de déroger.

La publication est conçue comme mode de réparation, et comme exemplarité. C'est pourquoi il est proposé que celui qui a obtenu la publication d'un jugement rendu sur recours pour excès de pouvoir ne puisse pas demander le préjudice moral.

Il n'est pas proposé de décret d'application.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

Après l'article L. 11 du code de justice administrative, il est inséré un article L. 12 ainsi rédigé :

« Art. L. 12 - Les recours contre les décisions individuelles relèvent du plein contentieux, à l'exclusion des décisions relatives à l'attribution des diplômes, titres et décorations et des expulsions des ressortissants étrangers.

« Un décret en Conseil d'État peut imposer la formation d'un recours gracieux devant une commission dont la saisine conserve le délai de recours. Le même décret prévoit le délai de réponse alloué à ladite commission. »

Article 2

Un décret en Conseil d'État fixe les modalités d'application progressive de l'article précédent.

Article 3

I. - Le livre VII du code de justice administrative est complété par un titre IX ainsi rédigé :

« TITRE IX

« LA PUBLICATION DES JUGEMENTS ET ARRÊTS

« Art.  L. 791-1 - Sur demande d'une partie, le juge peut ordonner la publication dans la presse ou sur internet de toute décision de justice, même rendue sur recours pour excès de pouvoir ou en référé.

« La publication peut notamment être décidée comme modalité complémentaire de la réparation, pour faciliter l'exécution de la décision ou pour concourir à l'amélioration de la qualité des décisions administratives.

« La publication d'une décision rendue sur recours pour excès de pouvoir est exclusive de toute condamnation pour préjudice moral.

« Hormis les cas mentionnés à l'article L. 791-2, la partie gagnante peut librement publier à ses risques et périls la décision de justice à ses frais.

« Art. L. 791-2 - Par exception à l'article L. 791-1 du code de justice administrative, si l'article L. 731-1 du code de justice administrative a été appliqué au jugement de l'affaire ou si la publication est susceptible de porter atteinte au secret de la défense nationale, la publication de la décision est interdite. Si la publication est susceptible de porter atteinte à un autre secret, elle ne peut être ordonnée que par extrait.

« Art. L. 791-3 - Saisi d'une telle demande, le juge détermine selon les circonstances de l'affaire s'il y a lieu à publication et les modalités de la publication. Il prend en compte les propositions des parties quant aux organes de publication.

« La publication sur un support papier ne peut être ordonnée que dans un organe de presse au sens de la loi du 29 juillet 1881 qui bénéficie du tarif des annonces légales. Toutefois sur décision spécialement motivée, le juge peut ordonner la publication dans un organe de presse établi à l'étranger ou ne publiant pas d'annonces légales. Le juge fixe alors le coût maximum de la publication.

« Le juge détermine si la publication est intégrale ou par extraits et le cas échéant il fixe les extraits pertinents. Il détermine les organes de presse ou les sites internet qui assurent la publication et les délais de celle-ci.

« Art. L. 791-4 - La partie gagnante peut en outre, demander, au plus tard trois mois après la date à la date à laquelle la décision est devenue définitive à ce que la publication soit faite aux frais de la partie perdante.

« Le juge de l'exécution est compétent et statue selon la procédure de l'article L. 911-4 du code de justice administrative. Le juge peut prendre en compte la manière dont la partie perdante a exécuté le jugement.

« Les dispositions des articles L. 791-1 à L. 791-3 s'appliquent pour ce qui n'est pas déterminé par le présent article.

« Art. L.791-5 - Par dérogation à l'article L4 du présent code, et sauf si le juge en dispose autrement, l'appel ou le pourvoi en cassation de la décision de justice rendue sur le fondement de l'article L. 791-1 ou L. 791-4 est suspensif de l'exécution de la partie de la décision relative à sa publication.

« L'appel est toujours jugé en formation collégiale. »

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