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N° 368

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 février 2014

PROPOSITION DE LOI

modifiant le délai de prescription de l'action publique des agressions sexuelles ,

PRÉSENTÉE

Par Mmes Muguette DINI, Chantal JOUANNO, MM. Michel MERCIER, François ZOCCHETTO, Mmes Catherine MORIN-DESAILLY, Françoise FÉRAT, Jacqueline GOURAULT, Valérie LÉTARD, Nathalie GOULET, MM. Pierre JARLIER, Hervé MAUREY, Gérard ROCHE, Hervé MARSEILLE, Vincent DELAHAYE, Joël GUERRIAU, Jean-Marie BOCKEL, Christian NAMY, Jean-Paul AMOUDRY, Vincent CAPO-CANELLAS, Jean-Marie VANLERENBERGHE, Jean-Claude MERCERON, Daniel DUBOIS, Gilbert BARBIER, Jacques LEGENDRE, Alain GOURNAC, Raymond COUDERC, Yann GAILLARD, Bernard SAUGEY, Charles REVET, Jackie PIERRE, René BEAUMONT, Jean-Pierre VIAL, Philippe ADNOT et André FERRAND,

,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le délai de prescription de l'action publique des agressions sexuelles est inadapté au traumatisme des victimes, inadapté à une procédure douloureuse et complexe.

Pour porter plainte contre son agresseur, son violeur, la victime doit être physiquement et psychiquement en état de le faire.

Le but de cette proposition de loi est de s'attacher à l'identité de la souffrance ressentie par la victime et de lui donner le temps nécessaire à la dénonciation des faits.

1. Le traumatisme psychique consécutif à des violences sexuelles, agression ou viol, est semblable à celui issu d'un évènement qui confronte à la réalité de la mort.

Tous les experts psychiatres, psychologues et thérapeutes insistent, en effet, sur ce ressenti immédiat d'effroi de la victime, dû à la confrontation avec la mort, ce sentiment d'abandon, cette dissociation, cette sidération éprouvés...

Pour Catherine ADINS, psychiatre au sein du service médico-psychologique régional de Loos, jamais la victime ne retrouvera son intégrité antérieure. Elle va alors vivre un véritable bouleversement émotionnel à l'origine d'une authentique souffrance psychique. L'agression sexuelle, par sa soudaineté, son caractère imprévisible et inimaginable, va déborder les capacités défensives de la victime et complètement la désorganiser.

Le psychiatre Daniel ZAGURY parle, quant à lui, « d'effraction identitaire sexuelle » .

Le docteur Violaine GUÉRIN, endocrinologue et gynécologue, dans son livre « Stop aux violences sexuelles ! Écoutons donc ces corps qui parlent ! », s'exprime en ces termes :

« Une chose est certaine, il n'est pas clair dans la tête du législateur, que tout abus, agression ou atteinte sexuelle, constitue une violation de l'intégrité d'une personne et provoque dans 100 % des cas un traumatisme qui pourra s'exprimer de façon différente selon les individus.

Il n'est pas clair pour le législateur à quel point un simple abus peut laminer un être humain totalement.

Il n'est pas clair pour le législateur que les violences sexuelles réalisent le meurtre de l'âme » .

Les troubles psychiques immédiats des violences sexuelles sont :

- des réactions violentes de stress,

- souvent une sidération qui porte la victime au repli et à l'isolement,

- et quelquefois, des réactions psychotiques allant de l'état confusionnel à la bouffée délirante aigüe, jusqu'au réveil d'une psychose chronique.

Quant aux troubles observés à distance de l'agression sexuelle, il s'agit d'états de stress post-traumatique.

2. Les conséquences du syndrome de stress post-traumatique sont nombreuses

Le docteur Jean-Louis THOMAS, endocrinologue et rhumatologue, pharmacien, a réalisé une revue de la littérature scientifique sur les pathologies en lien avec les violences sexuelles.

Il y présente les conséquences neuroanatomiques, neurobiologiques, psychologiques et somatiques des violences sexuelles.

Il convient de noter que les conséquences neuroanatomiques sont particulièrement graves puisqu'il s'agit :

- de modifications de certaines zones du cerveau (cortex préfrontal, amygdale) impliquées dans les processus émotionnels et la perception de la douleur ;

- de la diminution du volume de l'hippocampe, impliqué dans la mémoire.

Tous ces troubles immédiats et différés des violences sexuelles expliquent la faible proportion des dépôts de plainte.

Il ne suffit pas de libérer la parole des victimes. Il faut la leur donner quand elles prennent conscience des violences sexuelles qu'elles ont subies, quand elles sont prêtes à les dénoncer aux autorités administratives et judiciaires.

3. Les victimes de viols et d'agressions sexuelles doivent donc bénéficier du même régime de prescription que celui des victimes d'abus portant sur des biens matériels.

Cette proposition de loi a pour objet d'établir un strict parallélisme entre le régime de prescription des viols et agressions sexuelles et le régime de prescription appliqué aux abus de biens sociaux et aux abus de confiance puisque ces infractions ont en commun un mécanisme similaire de dissimulation.

La particularité des abus de biens sociaux réside dans le fait qu'ils sont, par essence, des infractions clandestines , de sorte que la Cour de cassation, en consacrant leur caractère souterrain, a imposé une jurisprudence qui fait courir le délai de prescription de trois ans à partir de la date de la révélation de l'abus et non de la date où celui-ci a été commis.

Cette clandestinité se retrouve aussi dans les violences sexuelles qui, en raison de leur nature, du traumatisme qu'elles entraînent, et de la situation de vulnérabilité particulière dans laquelle elles placent la victime, peuvent faire l'objet d'une prise de conscience ou d'une révélation tardive : un report du point de départ de délai de prescription au jour où l'infraction apparaît à la victime dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique consacrerait, au regard des règles de prescription, une égalité de traitement, gage de sécurité juridique, entre toutes les infractions souterraines, commises tant contre les biens qu'à l'encontre des personnes.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

Au dernier alinéa de l'article 7 du code de procédure pénale, les mots : « et ne commencent à courir qu'à partir de la majorité de ces derniers » sont supprimés.

Article 2

À l'article 8 du code de procédure pénale, les mots : « ; ces délais ne commencent à courir qu'à partir de la majorité de la victime » sont supprimés.

Article 3

Après l'article 8 du code de procédure pénale, il est inséré un article 8-1 ainsi rédigé :

« Art. 8-1. - Les délais de prescription de l'action publique :

« 1° des crimes mentionnés à l'article 706-47 du présent code et du crime prévu à l'article 222-10 du code pénal, lorsqu'ils sont commis sur des mineurs ;

« 2° des crimes prévus aux articles 222-23 à 222-26 et 222-31-2 du code pénal ;

« 3° des délits mentionnés à l'article 706-47 du présent code et commis contre des mineurs ;

« 4° des délits prévus aux articles 222-12, 222-28 à 222-31-2 et 227-25 à 227-27 du code pénal ;

« ne commencent à courir qu'à partir du jour où l'infraction apparaît à la victime dans des conditions lui permettant d'exercer l'action publique. »

Article 4

La présente loi est applicable dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie Française et en Nouvelle-Calédonie.

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