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N° 700

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 septembre 2015

PROPOSITION DE LOI

relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales ,

PRÉSENTÉE

Par M. Philippe BAS,

Sénateur

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Par sa décision n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution, en particulier au regard du droit au respect de la vie privée, la quasi-totalité des dispositions de la loi relative au renseignement définitivement adoptée par le Parlement le 24 juin 2015.

Le Conseil constitutionnel a toutefois déclaré contraire à la Constitution le dispositif du chapitre IV du titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure, issu de l'article 6 de la loi et composé d'un unique article codifié L. 854-1, consacré aux mesures de surveillance internationale.

L'objectif de l'article L. 854-1 était de créer un régime juridique autonome, distinct du droit commun applicable aux techniques de recueil de renseignement mises en oeuvre sur le territoire national, encadrant la pratique de certaines mesures de surveillance des communications internationales effectuées par les services spécialisés de renseignement compétents en ce domaine.

Il convient de rappeler à ce titre que le but de ces interceptions de correspondances et de données de connexion est de recueillir des renseignements sur des personnes situées à l'étranger et utilisant des moyens de communications dont les numéros ou les identifiants techniques ne sont pas rattachables au territoire national. Dans le cas où les paramètres techniques de l'un des correspondants renvoient au territoire national, ces correspondances sont exploitées selon le régime de droit commun. Surtout, si les paramètres des deux correspondants renvoient au territoire national, les correspondances sont détruites et ne peuvent donner lieu à exploitation.

Si cet article L. 854-1 définissait les grands principes de fonctionnement de ce régime de surveillance (finalités, modalités d'autorisation et contrôle), il renvoyait cependant assez largement au pouvoir réglementaire - en faisant référence à deux décrets en Conseil d'État, l'un publié et l'autre non publié, tous deux pris après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), -le soin d'en déterminer les modalités de fonctionnement et d'application.

Dans sa décision sur la loi relative au renseignement, le Conseil a ainsi estimé qu'en ne « définissant dans la loi ni les conditions d'exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés en application de l'article L. 854-1, ni celles du contrôle par la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement de la légalité des autorisations délivrées en application de ce même article et de leurs conditions de mise en oeuvre, le législateur n'a pas déterminé les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ».

Le juge constitutionnel a donc fait application de sa jurisprudence, désormais bien établie, sur « l'incompétence négative » du législateur et déclaré l'article L. 854-1 contraire à l'article 34 de la Constitution en vertu duquel relève du domaine de la loi la fixation des règles concernant « les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ». Le Conseil a, par cohérence, déclaré contraires à la Constitution les dispositions qui, dans la loi relative au renseignement, faisaient référence à l'article L. 854-1.

Par cette décision, le Conseil invite par conséquent le législateur à exercer la plénitude de sa compétence en définissant dans la loi les règles de fonctionnement de cette technique de recueil de renseignement, à l'instar des autres techniques mises en oeuvre sur le territoire national.

Tel est donc l'objet de la présente proposition de loi qui vous est soumise.

Son dispositif, qui reprend l'économie générale de l'article L. 854-1 résultant de la loi adoptée en juin dernier, répond aux observations du Conseil constitutionnel en définissant les conditions d'exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés à ce titre ainsi que celles du contrôle par la CNCTR de la légalité des autorisations délivrées et de leurs conditions de mise en oeuvre. Ce dispositif tend à s'approcher le plus possible du régime de droit commun, en y apportant les dérogations nécessaires pour tenir compte de la spécificité de ces mesures de surveillance internationale.

Un tel dispositif devrait donc répondre aux exigences constitutionnelles, même si le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé, bien qu'il ait été saisi de griefs allant en ce sens dans la saisine des députés, sur la conformité ou non de ces mesures de surveillance internationale au regard de règles constitutionnelles de fond, en particulier au regard du droit au respect de la vie privée.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

Le code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement, est ainsi modifié :

1° Le chapitre IV du titre V du livre VIII est ainsi rédigé :

« CHAPITRE IV

« Des mesures de surveillance
des communications électroniques internationales

« Art. L. 854-1 - I. - Dans les conditions prévues au présent article, peut être autorisée, aux seules fins de défense et de promotion des intérêts fondamentaux de la Nation mentionnés à l'article L. 811-3, la surveillance des communications électroniques émises ou reçues à l'étranger.

« Cette surveillance, qu'elle porte sur des correspondances ou des données de connexion, est exclusivement régie par le présent article.

« Les mesures mises en oeuvre au titre du présent article ne peuvent avoir pour objet d'assurer la surveillance individuelle des communications de personnes utilisant des numéros d'abonnement ou des identifiants techniques rattachables au territoire national, à l'exception du cas où ces personnes communiquent depuis l'étranger et soit faisaient l'objet d'une autorisation d'interception de sécurité, délivrée en application de l'article L. 852-1, à la date à laquelle elles ont quitté le territoire national, soit sont identifiées comme présentant une menace au regard des intérêts fondamentaux de la Nation mentionnés à l'article L. 811-3.

« Sans préjudice du troisième alinéa du I, sont instantanément détruites les communications électroniques échangées entre personnes ou équipements utilisant des numéros d'abonnement ou des identifiants techniques rattachables au territoire national, y compris lorsqu'elles transitent par des équipements non rattachables à ce territoire.

« II. - Le Premier ministre désigne les réseaux de communications électroniques sur lesquels il autorise l'interception des communications mentionnées au premier alinéa du I, dans les limites fixées au même I.

« Sur demande motivée des ministres, ou de leurs délégués, mentionnés au premier alinéa de l'article L. 821-2, le Premier ministre, ou l'une des personnes déléguées mentionnées à l'article L. 821-4, peut autoriser l'exploitation non individualisée des données de connexion interceptées. L'autorisation désigne la ou les finalités poursuivies parmi celles mentionnées à l'article L. 811-3, le ou les services spécialisés de renseignement chargés de sa mise en oeuvre ainsi que les types de traitements automatisés pouvant être mis en oeuvre, en précisant leur objet. Elle est délivrée pour une durée maximale d'un an renouvelable.

« Sur demande motivée des ministres, ou de leurs délégués, mentionnés au premier alinéa de l'article L. 821-2, le Premier ministre ou l'un de ses délégués peut également délivrer une autorisation d'exploitation des communications, ou des seules données de connexion, interceptées. L'autorisation désigne la ou les finalités parmi celles mentionnées à l'article L. 811-3 justifiant cette surveillance, les zones géographiques, les organisations ou les personnes ou groupes de personnes objets de cette surveillance, ainsi que le ou les services spécialisés de renseignement chargés de sa mise en oeuvre. Elle est délivrée pour une durée maximale de quatre mois renouvelable.

« III. - Les personnes qui exercent en France un mandat ou une profession mentionné à l'article L. 821-7 ne peuvent faire l'objet d'une surveillance individuelle de leurs communications à raison de l'exercice du mandat ou de la profession concernée.

« IV. - Sous réserve du VI, les renseignements collectés en application du présent article sont détruits à l'issue d'une durée de :

« 1° Dix mois, à compter de leur première exploitation, pour les correspondances, dans la limite d'une durée de quatre ans à compter de leur recueil ;

« 2° Six ans à compter de leur recueil pour les données de connexion.

« Pour ceux des renseignements qui sont chiffrés, le délai court à compter de leur déchiffrement. Ils ne peuvent être conservés plus de huit ans à compter de leur recueil.

« Dans une mesure strictement nécessaire aux besoins de l'analyse technique et à l'exclusion de toute utilisation pour la surveillance des personnes concernées, les renseignements collectés au titre du présent article qui contiennent des éléments de cyberattaque ou qui sont chiffrés, ainsi que les renseignements déchiffrés associés à ces derniers, peuvent être conservés au-delà des durées mentionnées au présent IV.

« Par dérogation au présent IV, les renseignements qui concernent une requête dont le Conseil d'État a été saisi ne peuvent être détruits. À l'expiration des délais prévus au même IV, ils sont conservés pour les seuls besoins de la procédure devant le Conseil d'État.

« V. - Sous réserve du VI, les renseignements collectés en application du présent article sont exploités par le ou les services spécialisés de renseignement désignés par l'autorisation.

« L'interception et l'exploitation des communications font l'objet de dispositifs de traçabilité organisés par le Premier ministre après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Le Premier ministre définit les modalités de la centralisation des renseignements collectés.

« Les renseignements ne peuvent être collectés, transcrits ou extraits pour d'autres finalités que celles mentionnées à l'article L. 811-3.

« Les transcriptions ou les extractions doivent être détruites dès que leur conservation n'est plus indispensable à la poursuite des finalités mentionnées à l'article L. 811-3.

« Les opérations de destruction des renseignements collectés, les transcriptions et les extractions sont effectuées par des agents individuellement désignés et habilités et font l'objet de relevés.

« VI. - Lorsque les correspondances interceptées renvoient à des numéros d'abonnement ou à des identifiants techniques rattachables au territoire national, elles sont exploitées dans les conditions prévues aux IV et V de l'article L. 852-1 et conservées et détruites dans les conditions prévues aux articles L. 822-2 à L. 822-4, sous le contrôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Le délai de conservation des correspondances court toutefois à compter de leur première exploitation mais ne peut excéder six mois à compter de leur recueil. Les données de connexion associées à ces correspondances sont conservées et détruites dans les conditions prévues aux articles L. 822-2 à L. 822-4.

« VII. - La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement reçoit communication de toutes les décisions et autorisations mentionnées au II. Elle dispose d'un accès permanent, complet et direct aux dispositifs de traçabilité mentionnés au V, aux renseignements collectés, aux transcriptions et extractions réalisées et aux relevés mentionnés au même V et peut contrôler à sa demande les dispositifs techniques nécessaires à l'exécution des autorisations. Si la surveillance des personnes mentionnées au troisième alinéa du I n'a pas déjà fait l'objet d'une autorisation spécifique, leur identité est portée à la connaissance de la commission.

« La commission peut solliciter du Premier ministre tous les éléments nécessaires à l'accomplissement de ses missions.

« L'article L. 833-3 est applicable aux contrôles effectués par la commission au titre du présent VII.

« De sa propre initiative ou sur réclamation de toute personne souhaitant vérifier qu'aucune mesure de surveillance n'est irrégulièrement mise en oeuvre à son égard, la commission s'assure que les mesures mises en oeuvre au titre du présent article respectent les conditions qu'il fixe ainsi que celles définies par les textes pris pour son application et par les autorisations du Premier ministre ou de ses délégués. Elle notifie à l'auteur de la réclamation qu'il a été procédé aux vérifications nécessaires, sans confirmer ni infirmer la mise en oeuvre de mesures de surveillance.

« Lorsqu'elle constate un manquement au présent article, la commission adresse au Premier ministre une recommandation tendant à ce que le manquement cesse et que les renseignements collectés soient, le cas échéant, détruits. Lorsque le Premier ministre ne donne pas suite à cette recommandation ou que la commission estime que les suites qui y sont données sont insuffisantes, le Conseil d'État, statuant dans les conditions prévues au chapitre III bis du titre VII du livre VII du code de justice administrative, peut être saisi par le président de la commission ou au moins trois membres.

« La commission peut adresser à tout moment au Premier ministre les recommandations et observations qu'elle juge nécessaires au titre du contrôle qu'elle exerce sur l'application du présent article.

2° Au début du premier alinéa de l'article L. 841-1, sont insérés les mots : « Sous réserve des dispositions particulières prévues à l'article L. 854-1 du présent code, ».

Article 2

L'article L. 773-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 précitée, est complété par les mots suivants : « et de l'article L. 854-1 du code de la sécurité intérieure ».

Article 3

Le troisième alinéa du I de l'article L. 854-1 du code de la sécurité intérieure est applicable aux personnes qui communiquent depuis l'étranger et qui faisaient l'objet d'une autorisation d'interception de sécurité, délivrée en application du titre IV du livre II du code de la sécurité intérieure dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement, à la date à laquelle elles ont quitté le territoire national.

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