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N° 117

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 novembre 2011

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

PRÉSENTÉE AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 QUATER DU RÈGLEMENT,

sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 562/2006 afin d' établir des règles communes relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles (E 6612),

PRÉSENTÉE

Par Mme Catherine TASCA,

Sénatrice

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale.)

(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM. Alain Bertrand, Michel Billou, Jean Bizet, Bernadette Bourzai, Jean-Paul Emorine, Fabienne Keller, Philippe Leroy, Catherine Morin-Desailly, Georges Patient, Roland Ries, vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, André Gattolin, Richard Yung, secrétaires ; Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Éric Bocquet, Gérard César, Karine Claireaux, Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Joëlle Garriaud-Maylam, Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Sophie Joissains, Jean-René Lecerf, Jean-Louis Lorrain, Jean-Jacques Lozach, François Marc, Colette Mélot, Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Catherine Tasca.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Cette proposition de règlement tend à modifier les règles communes relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles.

Elle est l'un des éléments d'un « paquet » sur la gouvernance de Schengen, que la Commission européenne a présenté, le 16 septembre 2011, en réponse aux demandes du Conseil européen du 24 juin 2011. Ce paquet comprend deux autres textes :

- une communication intitulée « Gouvernance de Schengen - Renforcer l'espace sans contrôle aux frontières intérieures », qui souligne l'importance de la libre circulation, propose de confier la gouvernance de Schengen à l'Union européenne et fait valoir la nécessité d'aller plus loin que les règles actuelles en reconnaissant que de simples lignes directrices pour la mise en oeuvre de ces règles ne seraient pas suffisantes ;

- une proposition de règlement portant création d'un mécanisme d'évaluation et de suivi destiné à contrôler l'application de l'acquis de Schengen, qui renforcerait le rôle de la Commission européenne dans l'évaluation.

I/ QUEL EST LE CONTEXTE ?

1/ Le fonctionnement de l'espace Schengen

L'espace Schengen est un espace de libre circulation dans lequel les États signataires ont aboli toutes leurs frontières intérieures pour une frontière extérieure unique où sont effectués les contrôles d'entrée selon des procédures identiques. Des règles et des procédures communes sont appliquées en particulier dans le domaine des visas pour séjours de courte durée.

Afin de garantir la sécurité au sein de l'espace Schengen, la coopération et la coordination entre les services de police et les autorités judiciaires ont été renforcées. La coopération Schengen a été intégrée au cadre juridique de l'Union européenne par le traité d'Amsterdam en 1997. L'espace Schengen regroupe vingt-six États, dont 22 États membres de l'Union. Chypre ayant demandé un délai supplémentaire, la Bulgarie et la Roumanie sont les derniers nouveaux États membres à faire l'objet d'une procédure d'évaluation en vue de leur entrée dans l'espace Schengen.

L'agence FRONTEX est chargée de coordonner la coopération opérationnelle entre les États membres en matière de gestion des frontières extérieures de l'espace Schengen. En novembre 2010, l'opération dite RABIT (Rapid Border Intervention Teams) a permis de déployer en Grèce près de 200 gardes frontières provenant de l'ensemble des États membres. Une récente réforme tend à renforcer les capacités opérationnelles de FRONTEX et à développer ses possibilités d'assistance effective aux États membres.

L'esprit de Schengen veut qu'un État membre assume la responsabilité du contrôle de ses frontières extérieures pour le compte de l'ensemble des autres États membres. C'est pourquoi la confiance mutuelle est essentielle. C'est aussi pour cette raison que le mécanisme d'évaluation mis en place doit être réellement efficace. Dans sa nouvelle proposition, la Commission européenne propose que son rôle soit renforcé, que des visites inopinées soient possibles, qu'il y ait des évaluations thématiques et régionales. Ce renforcement de la dimension communautaire de l'évaluation semble indispensable. Il faut souligner que ces évaluations sont effectuées par la méthode dite de « comitologie » qui associe experts et États concernés.

La commission des affaires européennes a elle-même pris toute la mesure des enjeux attachés à un bon fonctionnement de l'espace Schengen. Elle a créé un groupe de suivi des accords de Schengen, commun avec notre homologue de l'Assemblée nationale, dont nos collègues Richard YUNG et Jean-René LECERF sont les co-rapporteurs.

2/ L'argument des récentes migrations en provenance de Tunisie à l'appui des demandes de révision du « code frontières Schengen ».

Dès l'origine, une clause de sauvegarde a été prévue dans les accords de Schengen, permettant aux États de rétablir les contrôles à leurs frontières dans deux situations.

Le règlement établissant le « code frontières Schengen » prévoit en premier lieu la possibilité de réintroduire de façon urgente et exceptionnelle des contrôles aux frontières intérieures dans les « cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure. » Cette possibilité relève de l'initiative d'un État membre et sa durée est limitée à une période maximale de trente jours (ou à la durée prévisible de la menace grave si elle est supérieure à trente jours).

En second lieu, dans les cas d'évènements prévisibles, tel un sommet international, comme le G20, ou une manifestation sportive ou culturelle de grande dimension, l'information préalable des États membres et de la Commission est requise dès que possible. Une procédure de consultation est alors engagée. La Commission peut émettre un avis.

Lorsque la menace se prolonge au-delà de cette durée, l'État membre peut maintenir les contrôles pour des périodes renouvelables ne dépassant pas trente jours. La Commission européenne indique qu'il y a eu 26 cas de réintroduction des contrôles depuis 2006, tous pour une durée de moins de trente jours et en général pour une durée bien plus courte ne dépassant pas cinq jours.

La prolongation par l'État-membre des contrôles aux frontières intérieures requiert une information des États membres et de la Commission. Le Parlement européen est informé « dès que possible ». Un rapport est transmis après la levée des contrôles au Parlement, au Conseil et à la Commission.

La décision des autorités italiennes de délivrer aux Tunisiens arrivés clandestinement en Italie entre les mois de janvier et d'avril 2011 des titres de séjour provisoires d'une durée de six mois, pour raisons humanitaires, a soulevé une polémique artificielle ou, pour le moins disproportionnée, sur la possibilité, pour les titulaires du titre de séjour, de circuler librement dans l'espace Schengen ainsi que sur le manque de solidarité intra-européenne en matière de gestion des flux migratoires.

Par une lettre conjointe en date du 26 avril 2011, le président de la République Française et le président du Conseil des ministres italien ont saisi la Commission européenne, demandant plusieurs aménagements des règles applicables à l'espace Schengen (code frontières Schengen) incluant la possibilité, en cas de difficultés exceptionnelles dans la gestion des frontières extérieures communes, de rétablir temporairement les contrôles aux frontières intérieures. Le Conseil européen des 23 et 24 juin 2011 a appelé la Commission européenne à présenter des propositions législatives avant la fin septembre.

II/ QUELS CHANGEMENTS PROPOSE LA COMMISSION EUROPÉENNE ?

Dans le prolongement de la communautarisation de la convention de Schengen par le traité d'Amsterdam en 1997, la Commission européenne entend « européaniser » la procédure de réintroduction des contrôles aux frontières intérieures, y compris dans les cas actuellement prévus de menace grave pour l'ordre public et la sécurité intérieure. Ainsi, il appartiendrait à la Commission européenne, dans le cadre de la « comitologie » qui permet d'associer les États membres, de décider la réintroduction du contrôle aux frontières et sa prolongation éventuelle.

La décision de réintroduction des contrôles pourrait être prise, pour une durée de trente jours maximum (ou pour la durée prévisible de la menace si elle est plus longue) renouvelables dans la limite de six mois.

Dans les cas de manquements graves persistants dans la gestion des frontières extérieures, et dans la mesure où ces manquements représentent une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure au niveau de l'Union ou à l'échelon national, la Commission européenne, à l'issue d'un processus d'évaluation qu'elle conduirait et de la mise en oeuvre d'un plan d'action dans le cadre du règlement sur le nouveau mécanisme d'évaluation Schengen, pourrait réintroduire pour une période de six mois les contrôles aux frontières intérieures. Un rapport serait établi tous les six mois par la Commission sur la mise en oeuvre du plan d'action et l'État membre concerné transmettrait un rapport après trois mois. Faute de progrès significatifs, la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures pourrait être prolongée pour une durée de six mois dans la limite de trois prolongations.

La préoccupation sur ce point porte plus particulièrement sur la frontière gréco-turque où, selon les précisions données par le Gouvernement, on estime qu'il y aurait chaque jour 1 200 passages irréguliers. L'entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l'espace Schengen assurerait une continuité territoriale qui rendrait d'autant plus sensibles les défaillances des contrôles sur cette portion de la frontière extérieure.

III/ QUELLE APPRÉCIATION PORTER SUR CE TEXTE ?

1/ Réaffirmer prioritairement l'attachement du Sénat au principe de la libre circulation et aux acquis de Schengen

Il est d'abord indispensable de réaffirmer notre attachement au principe de la libre circulation et aux acquis de Schengen qui sont des réalisations majeures de la construction européenne. L'espace Schengen a su faciliter au quotidien la vie des citoyens européens et des ressortissants étrangers en leur conférant une liberté de circulation au sein d'un espace sans frontières regroupant aujourd'hui 26 États. C'était le tout premier axe de la proposition de résolution du groupe socialiste, défendue par notre collègue Richard Yung devant la commission des affaires européennes, en juin dernier. Comme l'a souligné le Parlement européen dans une résolution du 7 juillet 2011 : « la liberté de circulation est devenue l'un des piliers de la citoyenneté européenne et l'un des fondements de l'Union européenne en tant qu'espace de liberté, de sécurité et de justice. »

Dès lors, les rétablissements de contrôles aux frontières intérieures peuvent constituer une brèche très sérieuse dans le principe de liberté de circulation. Dans le contexte actuel où l'Europe est attaquée sur ses fondamentaux et menacée par un défaut de solidarité entre États, remettre en cause l'acquis Schengen constituerait un mauvais coup supplémentaire à la construction européenne et un très mauvais signal lancé aux eurosceptiques. C'est l'analyse que disent partager la plupart des acteurs du dossier.

2/ Refuser l'assimilation des flux migratoires à une menace grave pour l'ordre public

La faculté de permettre un rétablissement temporaire des contrôles aux frontières intérieures couvrirait aussi bien une situation de défaillance grave et persistante d'un État membre dans la gestion de ses frontières extérieures que celle d'une pression migratoire soudaine et forte dans laquelle un État membre, volontairement ou non, ne respecte plus ses obligations.

Dans sa résolution du 7 juillet 2011, le Parlement européen avait estimé que les conditions concernant la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures étaient déjà clairement énoncées dans le « code frontières Schengen ». Il avait souligné que l'afflux de migrants et de demandeurs d'asile aux frontières extérieures ne pouvait en aucun cas être considéré comme une raison supplémentaire pour réintroduire des contrôles aux frontières. Tel était aussi le sens de la proposition de résolution du groupe socialiste, ici au Sénat, qui voyait dans « la réintroduction de contrôles temporaires aux frontières intérieures en cas de pression migratoire illégale forte, imprévue mais non extraordinaire » une remise en cause de l'acquis Schengen et par là même de la liberté de circulation et s'opposait en conséquence « à toute modification de l'acquis Schengen tendant à l'élargissement des clauses dites de sauvegarde »

Une modification du code frontières de Schengen ne peut se fonder sur une assimilation automatique aux critères existants de menace grave pour l'ordre public et la sécurité intérieure. De cela aussi la plupart des acteurs du dossier (Conseil, Commission et Parlement européen) semblent convenir.

Le Gouvernement, pourtant demandeur de l'élargissement des clauses de sauvegarde aux cas de pression migratoire conteste aujourd'hui l'assimilation opérée notamment dans le considérant n° 5 de la proposition de règlement. À l'occasion d'un débat en séance publique à l'Assemblée nationale, le mardi 8 novembre 2011, le ministre des Affaires européennes, Jean LEONETTI, a contesté « le choix de la commission [visant] à regrouper au sein de la même procédure et sous l'angle exclusif des menaces à l'ordre public ou à la sécurité intérieure l'ensemble des situations justifiant la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures » et dénoncé l' « amalgame » opéré par la Commission entre ces menaces et des situations d'augmentation forte et soudaine de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière.

D'autant que, comme l'ont admis les représentants des ministères auditionnés par le groupe de suivi des accords de Schengen, le cas d'afflux massif de migrants est une notion qui est elle-même difficile à définir. La notion est suffisamment floue pour permettre des interprétations contradictoires. Ainsi s'agissant de la venue de migrants afghans, une proposition de résolution du groupe socialiste présentée par notre ancien collègue Louis Mermaz avait souhaité que la France, conformément à l'article 5 paragraphe 1 de la directive 2001/55/CE sur la protection temporaire, puisse transmettre à la Commission européenne une demande en vue de proposer au Conseil d'adopter à la majorité qualifiée une décision constatant la nécessité de déclencher l'octroi de la protection temporaire aux réfugiés afghans en provenance d'Afghanistan et du Pakistan. Cette proposition de résolution a été rejetée en séance publique, lors de son examen le 10 février 2010, le Gouvernement ayant argué qu'il ne s'agissait pas en l'espèce d'un afflux massif de nature à permettre le déclenchement de la procédure de protection temporaire. Il y a donc asymétrie dans l'appréciation du caractère « massif » d'un afflux de migrants.

Entre la France et l'Italie, en l'absence de contrôle systématique, il n'y a pas eu d'évaluation précise des mouvements migratoires récents. C'est à la suite des contrôles effectués dans la bande des 20 km le long de la frontière italienne, que 3 200 personnes ont été renvoyées vers l'Italie qui les a réadmises sans difficulté. Au total, on estime à 34 000 le nombre de Tunisiens arrivés en Italie depuis le 1er janvier 2011. De l'avis même des autorités françaises ceux-ci n'ont aucunement porté atteinte à l'ordre public ou à la sécurité intérieure. À la suite de l'accord italo-tunisien du 5 avril 2011, la Tunisie a réadmis tout nouvel immigrant arrivé illégalement après le 5 avril.

La situation a donc pu être réglée dans le cadre des règles en vigueur de Schengen.

3/ Réaffirmer le caractère indispensable d'une politique communautaire de l'immigration

On n'avancera pas sur la gouvernance de Schengen et l'amélioration des dispositifs existants sans affirmer des politiques communautaires ambitieuses de l'immigration et de l'asile. Cette politique ne peut se résumer aux contrôles des frontières et à la lutte contre l'immigration irrégulière. Nous avons en particulier besoin d'une véritable politique européenne de l'asile dont la mise en place apparaît malheureusement très laborieuse. Toutefois, selon Mme MALMSTRÖM, commissaire européenne en charge des affaires intérieures, un texte est en cours d'élaboration et devrait aboutir d'ici fin 2012. Il faut aussi inscrire la démarche européenne dans le cadre d'un véritable partenariat avec les pays d'origine de l'immigration.

4/ Traiter au niveau communautaire les cas de défaillance grave et persistante d'un État membre dans le contrôle des frontières extérieures

En toute hypothèse, la prise en compte des cas de défaillance grave et persistante d'un État membre dans le contrôle des frontières extérieures pour permettre le rétablissement temporaire de contrôles aux frontières intérieures représente une menace importante pour la libre circulation et pour la préservation des acquis de Schengen.

C'est pourquoi il paraît nécessaire que, dans un tel cas, la décision puisse être prise par la Commission, à la suite d'une évaluation et de la mise en oeuvre d'un plan d'action qui n'aurait pas donné les résultats escomptés.

Ce choix répond à une logique juridique, celle de la communautarisation des accords Schengen par le traité d'Amsterdam qui consacre la Commission comme gardienne du principe de liberté de circulation. Au demeurant, on ne saurait confier à un État déjà défaillant dans le contrôle de ses frontières extérieures la responsabilité de décider unilatéralement le rétablissement de ses frontières intérieures.

Cependant, ce pouvoir de contrôle de la Commission européenne ne peut être dissocié de progrès significatifs dans la définition et la mise en oeuvre d'une véritable politique européenne de l'immigration, notamment en matière d'asile.

5/ Trouver un juste équilibre entre initiative des États et intervention de la Commission européenne

La proposition de la Commission a aussi pour effet de modifier les règles actuelles en matière d'ordre public en s'attribuant le pouvoir de décision, dans tous les cas pour les évènements prévisibles, et après cinq jours pour les cas exigeant une action immédiate. Dans un communiqué conjoint, en date du 13 septembre, les ministres de l'Intérieur allemand,  espagnol et français ont critiqué ce transfert de responsabilité pour des cas qui jusqu'à présent ont relevé de la souveraineté des États membres par exemple ceux d'une menace terroriste ou la protection d'un évènement politique ou sportif majeur. Pour les ministres, « c'est aux États membres de maintenir l'ordre public et d'assurer la sécurité intérieure ».

Dans une résolution européenne portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité, au titre de l'article 88-6 de la Constitution, qu'elle a adoptée le 8 novembre 2011, l'Assemblée nationale a considéré, pour les mêmes raisons, que « la décision de réintroduction du contrôle aux frontières intérieures ne peut être communautarisée dans les conditions prévues par la proposition de règlement sans qu'il ne soit porté atteinte au respect du principe de subsidiarité. »

Dans sa proposition de résolution sur la révision de l'acquis Schengen, le groupe socialiste jugeait « indispensable [...] le renforcement de la gouvernance de Schengen dans le sens de sa communautarisation ». C'est pourquoi la proposition demandait plus particulièrement aux États membres d'accepter la communautarisation du système d'évaluation Schengen.

Toutefois, sans abandonner la poursuite de cet objectif d'une meilleure gouvernance de Schengen, il nous appartient, s'agissant des cas classiques risquant d'affecter l'ordre public ou la sécurité intérieure, de définir des procédures qui n'entravent pas la capacité d'initiative des États de réintroduire les contrôles aux frontières intérieures.

Cela paraît nécessaire dans un souci de réactivité et d'efficacité. Mais, il apparaît aussi utile de confier un rôle accru à la Commission européenne. Dans ce but, il conviendrait de renforcer l'information de la Commission et de veiller à ce qu'elle cette information lui soit communiquée de manière précoce.

Il resterait à l'avenir à se demander si, dans un espace au sein duquel les interdépendances se renforcent, il ne faudrait pas envisager d'aller plus loin afin de conférer à la Commission européenne une responsabilité accrue, au moins au stade de la prolongation des contrôles aux frontières intérieures.

6/ Un dialogue à poursuivre entre la France et la Commission européenne

La proposition de la Commission européenne fait l'objet de nombreuses critiques, parfois très contradictoires selon les parties et de l'opposition de la plupart des États membres.

Un compromis doit à l'évidence être recherché entre le dispositif actuel et la proposition de la Commission. Celle-ci réduit excessivement la marge d'initiative des États. Le compromis devrait intervenir sur les délais et les obligations d'information dans les cas considérés comme classiques

Rappelons déjà que la Commission n'était pas demandeuse de cette réforme, jugeant, à juste raison, que les clauses de sauvegarde actuelles permettent de faire face à l'essentiel des situations, y compris par exemple dans le cas d'un afflux de migrants via l'Italie.

La France n'a du reste pas fermé sa frontière avec l'Italie. Le ministre des affaires européennes précisait, le 8 novembre 2011, à l'Assemblée nationale : «on l'a vu ce printemps à Vintimille, une augmentation inattendue et massive des mouvements secondaires de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière sur le territoire français n'a pas obligatoirement de conséquences en termes de sécurité et d'ordre public ».

La préservation de l'acquis Schengen aurait dès lors dû nous conduire à nous en tenir là. C'était sans compter sur l'insistance de la France et de l'Italie à réclamer une réforme. On peut regretter que la Commission y ait cédé. On peut regretter qu'elle soit allée au-delà des révisions souhaitées. Le Gouvernement lui-même conteste l'amalgame opéré entre menace à l'ordre public et pression migratoire et redoute la communautarisation de la procédure. En tout état de cause, au-delà même de l'invocation du principe de subsidiarité, on est encore loin d'un accord des diverses instances européennes. Notre Haute Assemblée doit rester attentive à l'évolution de ce dossier qui confronte des approches politiques différentes et même des analyses juridiques divergentes, y compris entre les services juridiques de la Commission et du Conseil. La France fait ainsi les frais d'une demande de réforme improvisée.

*

Votre commission des Affaires européennes, lors de sa réunion du 17 novembre 2011, a conclu à l'unanimité au dépôt de la proposition de résolution qui suit :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION
EUROPÉENNE

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 562/2006 afin d'établir des règles communes relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles (texte E 6612) ;

Rappelle son attachement au principe de libre circulation et à l'espace sans frontière de Schengen, qui est l'une des réalisations les plus concrètes de l'Union européenne ;

Juge qu'une modification du code frontières de Schengen ne peut se fonder sur une assimilation automatique des flux migratoires à une menace grave contre l'ordre public et la sécurité intérieure, et doit garantir le respect des hommes et des femmes concernés ;

Considère que les réponses à la situation créée par des manquements graves persistants d'un État membre dans les contrôles aux frontières extérieures doivent être apportées au niveau communautaire ;

Souligne que ces réponses ne peuvent être dissociées de progrès significatifs dans la définition et la mise en oeuvre de véritables politiques européennes de l'immigration et de l'asile, s'inscrivant dans un partenariat avec les pays d'origine et de transit ;

Estime préférable de ne pas modifier les règles en vigueur concernant la réintroduction à titre exceptionnel et temporaire des contrôles aux frontières intérieures dans les cas qui, comme la protection d'un évènement politique ou sportif majeur, ont jusqu'à présent relevé de la responsabilité des États membres sans créer de difficultés ;

Considère que, dans ces cas, l'obligation d'information de la Commission européenne par les États membres devrait être renforcée et mise en oeuvre de manière plus précoce.

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