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N° 255

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 janvier 2012

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
PORTANT AVIS MOTIVÉ

PRÉSENTÉE AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 OCTIES DU RÈGLEMENT,

sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'établissement de règles et procédures concernant l'introduction de restrictions d' exploitation liées au bruit dans les aéroports de l' Union , dans le cadre d'une approche équilibrée, et abrogeant la directive 2002/30/CE du Parlement européen et du Conseil (E 6916),

Par M. Joël GUERRIAU,

Sénateur

(Envoyée à la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire.)

(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM.  Michel Billout, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-Paul Emorine, Mme Fabienne Keller, M. Philippe Leroy, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Georges Patient, Roland Ries, vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, André Gattolin, Richard Yung, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Éric Bocquet, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Mme Sophie Joissains, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Louis Lorrain, Jean-Jacques Lozach, François Marc, Mme Colette Mélot, MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Mme Catherine Tasca.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'établissement de règles et procédures concernant l'introduction de restrictions d'exploitation liées au bruit dans les aéroports de l'Union harmonise la gestion dans les États membres des nuisances sonores générées par les avions. Elle se substituerait à la directive 2002/30/CE en vigueur.

Ce texte détaille la procédure pouvant conduire l'autorité nationale compétente à adopter des mesures de restriction de l'exploitation d'un aéroport en raison du bruit. Il prévoit même un mécanisme de recours. La quasi-totalité du texte ne pose pas de difficultés au regard du principe de subsidiarité. Une harmonisation est nécessaire compte tenu des enjeux pour la libre circulation et le fonctionnement du marché intérieur. Les interactions entre aéroports sont très fortes et des restrictions locales ont des répercussions très larges.

Toutefois, une disposition de ce texte pose une difficulté importante de subsidiarité. En effet, la Commission européenne se réserve à l'article 10 un droit de regard. Selon cet article, à la demande d'un État membre ou de sa propre initiative, et sans préjudice d'une procédure de recours pendante, la Commission pourrait examiner une décision nationale instituant une restriction d'exploitation, préalablement à sa mise en oeuvre. Lorsque la Commission serait d'avis que la décision ne respecte pas les exigences du règlement, ou est contraire au droit européen, elle pourrait suspendre pour une durée illimitée la décision nationale.

Ce droit de regard paraît contraire au principe de subsidiarité. Il court-circuite une procédure nationale, alors même qu'un recours pourrait être pendant. La législation européenne harmonise et encadre strictement la procédure, mais laisse aux Etats membres la responsabilité de l'opportunité et de l'importance des restrictions en fonction de l'intensité de la nuisance pour les populations proches. C'est le sens du principe de subsidiarité en l'espèce. Or, la Commission vient par ce droit de regard remettre en cause cette répartition sans d'ailleurs se justifier réellement.

Elle invoque l'accord « ciel ouvert » conclu entre les Etats-Unis et l'Union européenne et ses Etats membres en octobre 2007 et modifié par un protocole en 2010. Pourtant, rien dans cet accord ne rend nécessaire un tel droit de regard avec pouvoir suspensif. L'article 15 modifié de cet accord prévoit seulement un mécanisme de consultation lorsqu'une des parties décide de mesures de restrictions d'exploitation fondées sur le bruit. En particulier, l'introduction de toute nouvelle restriction doit être communiquée à l'autre partie au minimum 150 jours avant son entrée en vigueur. Mais cela s'arrête là.

Les négociations avec les riverains sont toujours très délicates et doivent concilier des intérêts divergents après des mois de discussions. Si la Commission suspendait une décision de restrictions, sans concertation, les réactions pourraient être violentes. Cela envenimerait encore des situations déjà tendues et décrédibiliserait les autorités nationales qui font face au quotidien aux associations de riverain et aux compagnies. Les Etats membres restent les mieux placés pour définir des solutions équilibrées, aéroport par aéroport.

Si la mesure de restrictions ne respecte pas la législation communautaire, elle peut être contestée devant les tribunaux nationaux. Nul besoin de ce pouvoir exorbitant de suspension.

Pour ces raisons, la commission des affaires européennes a conclu, à l'unanimité, au dépôt de la proposition de résolution suivante :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
PORTANT AVIS MOTIVÉ

L'article 10 de la proposition de règlement (E6916) prévoit que la Commission européenne pourrait suspendre, préalablement à sa mise en oeuvre et pour une durée illimitée, une décision nationale portant restrictions d'exploitation d'un aéroport liées au bruit, y compris dans le cas où un recours serait pendant.

Vu l'article 88-6 de la Constitution,

Le Sénat fait les observations suivantes :

- L'objet de ce texte est d'harmoniser les procédures permettant à chaque autorité nationale compétente d'adopter des mesures de restrictions d'exploitation d'un aéroport en raison du bruit. Cette démarche se justifie pour éviter des distorsions de concurrence et offrir aux acteurs du transport aérien dans l'Union une meilleure prévisibilité.

- Toutefois, cette harmonisation se fait dans le cadre d'une « approche équilibrée » que la proposition de règlement définit comme « la méthode en vertu de laquelle on examine de façon homogène les mesures applicables, à savoir la réduction à la source du bruit généré par les aéronefs, les mesures d'aménagement et de gestion du territoire, les procédures opérationnelles d'atténuation du bruit et les restrictions d'exploitation, le but étant de régler le problème des nuisances sonores de la façon la plus efficiente, aéroport par aéroport ».

- Cette approche équilibrée défendue par la Commission européenne est respectueuse du principe de subsidiarité. En effet, les autorités nationales sont les mieux placées pour définir les restrictions les mieux adaptées dans le respect d'un cadre commun précis.

- Dans ce contexte, le droit de regard que l'article 10 de la proposition de règlement octroierait à la Commission européenne rompt cet équilibre. Il permettrait à la Commission européenne d'escamoter la procédure classique.

- Ce droit de regard n'est motivé par aucun motif exceptionnel. La Commission européenne pourrait en user en cas de simples doutes sur la légalité des restrictions. Or, le traité sur l'Union européenne, conformément aux principes de subsidiarité et de coopération loyale, laisse aux Etats membres la responsabilité première de la mise en oeuvre de la législation européenne. Rien, en l'espèce, ne justifie une dérogation à ce principe.

Le Sénat estime, en conséquence, que l'article 10 de la proposition de règlement (E 6916) n'est pas conforme, dans sa rédaction actuelle, à l'article 5 du traité sur l'Union européenne et au protocole n° 2 annexé à ce traité.

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