N° 263

SÉNAT

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT,

sur le projet de décision du Conseil déterminant les bases juridiques pour l'acquis de Schengen qui a été révisé à la suite de la réunion du groupe " Acquis de Schengen " des 14 et 15 mai (E 1219),

Par M. Paul MASSON,

Sénateur.

(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement)

Union européenne -

Mesdames, Messieurs,

Après la récente entrée en vigueur de la dernière modification de la Constitution qui portait sur l'article 88-4, le Parlement français peut désormais adopter des résolutions sur les projets d'actes de l'Union, notamment dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, et ceci avant même la mise en vigueur du traité d'Amsterdam.

Le Gouvernement, qui avait manifesté à plusieurs reprises son intention d'associer le Parlement aux travaux de l'Union, vient ainsi de saisir les assemblées d'un projet de décision émanant du secrétariat général du Conseil des ministres de l'Union européenne et qui a pour objet, s'il est adopté, de déterminer la base juridique de chacune des dispositions ou décisions qui constituent l'acquis de Schengen. Ce projet a été imprimé et distribué sous le numéro E 1219 .

Le Gouvernement respecte ainsi l'engagement qu'il avait pris devant le Sénat, au cours du débat constitutionnel, de transmettre au Parlement ce projet d'acte de l'Union européenne ( 1( * ) ), afin que les assemblées puissent se prononcer, en toute clarté, lors de l'examen du projet de loi de ratification du traité d'Amsterdam.

Le Sénat va ainsi pouvoir s'exprimer, pour la première fois, dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution, sur un projet de décision qui ne ressortit pas au pilier communautaire de l'Union.

I. LE CONTEXTE CRÉÉ PAR LE TRAITE D'AMSTERDAM

A. LA COMMUNAUTARISATION DE LA POLITIQUE DES VISAS, DE L'ASILE, DE L'IMMIGRATION ET DES AUTRES DOMAINES LIÉS À LA LIBRE CIRCULATION DES PERSONNES

En créant un nouveau titre IV, le traité d'Amsterdam transfère dans l'ordre communautaire, dès sa mise en vigueur , les domaines des visas, de l'asile, de l'immigration et des autres politiques liées à la libre circulation des personnes.

Au cours d'une période transitoire de cinq ans, le Conseil arrête à l'unanimité , sur proposition de la Commission ou à l'initiative d'un Etat membre et après consultation du Parlement européen :

- " les mesures visant à assurer la libre circulation des personnes en liaison avec des mesures d'accompagnement directement liées à cette libre circulation et concernant les contrôles aux frontières extérieures, l'asile et l'immigration... ainsi que des mesures visant à prévenir et à combattre la criminalité  ;

- d'autres mesures en matière d'asile, d'immigration et de protection des droits de ressortissants de pays tiers ;

- des mesures dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile ;

- des mesures appropriées visant à encourager et à renforcer la coopération administrative ;

- des mesures dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale visant un niveau élevé de sécurité par la prévention de la criminalité et la lutte contre ce phénomène au sein de l'Union
".

Après cette période transitoire de cinq ans, le Conseil peut, à l'unanimité, décider de passer à la majorité qualifiée dans le cadre de la procédure de codécision avec le Parlement européen sur tout ou partie de ces domaines. A la différence des dispositions contenues dans le traité de Maastricht, le passage de l'unanimité à la majorité qualifiée n'implique pas de ratification par les parlements des Etats.

B. LE TRANSFERT DE L'ACQUIS DE SCHENGEN

Le protocole annexé au traité d'Amsterdam régit l'introduction de l'acquis de Schengen dans l'ordre communautaire .

A cet effet, il prévoit la répartition des dispositions constituant l'acquis de Schengen soit dans le premier pilier, soit dans le troisième pilier. Cette ventilation détermine le traitement communautaire ou intergouvernemental de matières jusqu'alors traitées exclusivement dans le cadre intergouvernemental. La répartition entre le premier et le troisième piliers aura de ce fait une importance majeure sur les pouvoirs respectifs des différentes institutions de l'Union dans le fonctionnement de l'acquis de Schengen

Dès l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, et donc dès l'entrée en vigueur du protocole Schengen, le Conseil de l'Union européenne se substituera au Comité exécutif des ministres qui avait été créé par la Convention de 1990. Son premier acte devrait être, à l'unanimité des membres concernés, d'arrêter les nouvelles bases juridiques de chacune des dispositions ou décisions constituant l'acquis de Schengen.

C'est la détermination de cet acquis de Schengen et des nouvelles bases juridiques applicables, soit communautaires, soit intergouvernementales, qui est actuellement en cours de négociation au sein d'un groupe de fonctionnaires du Conseil. Comme cet acte du Conseil doit être adopté à l'unanimité, le gouvernement français dispose d'un pouvoir de blocage de toute décision de transfert qui ne serait pas conforme aux intérêts de notre pays.

II. LE PROJET DE DÉCISION DU CONSEIL

A. L'ENJEU DU PROJET DE DÉCISION DU CONSEIL

Dans le cadre du transfert de l'acquis de Schengen vers l'Union européenne, les Etats disposent en effet d'une marge d'appréciation. C'est ce pouvoir d'appréciation laissé à chaque Etat que le ministre des affaires européennes, M. Pierre Moscovici, soulignait dans une réponse à une question écrite portant sur l'unanimité requise pour communautariser les dispositions du nouveau titre IV du traité ( 2( * ) ) :

" le Conseil devra prendre une décision en vue de rendre la procédure de codécision visée à l'article 251 (nouvelle numérotation) applicable à tous les domaines couverts par le nouveau titre IV (libre circulation des personnes) ou à certains d'entre eux. Le conseil devra donc statuer sur l'opportunité de passer, dans chacune de ces matières, de l'unanimité à la majorité qualifiée et à la codécision avec le parlement européen . Il est important de relever que cette décision sera prise à l'unanimité des Etats membres, et qu'elle ne pourra donc être adoptée sans l'accord du gouvernement français. Au moment de l'adoption d'une telle décision, une appréciation pourra être portée sur les progrès effectués dans la réalisation de l'espace de liberté, de sécurité et de justice que prévoit le traité . L'article 73 I sous a), introduit par le traité d'Amsterdam, établit en effet un lien contraignant entre l'adoption de mesures visant à assurer la libre circulation des personnes, d'une part, et des mesures d'accompagnement concernant les contrôles aux frontières extérieures, l'asile et l'immigration, d'autre part, qui doivent être adoptées dans les cinq ans qui suivent l'entrée en vigueur du traité. Ce lien établi par le traité constituera un levier, permettant au Gouvernement, chaque fois que des propositions seront faites tendant à faciliter l'instauration de la libre circulation des personnes, de demander que des progrès soient réalisés dans la mise en oeuvre des mesures d'accompagnement visant à renforcer la sécurité ".

Cette position est applicable également à l'intégration de Schengen dans l'Union européenne puisque, tant que le Conseil n'aura pas arrêté les bases juridiques applicables au contenu des accords de Schengen, les dispositions ou décisions constituant l'acquis de Schengen seront considérées comme des actes fondés sur la partie intergouvernementale du traité comme le prévoit expressément le protocole annexé au traité d'Amsterdam : " Aussi longtemps que les mesures visées ci-dessus n'ont pas été prises..., les dispositions ou décisions qui constituent l'acquis de Schengen sont considérées comme des actes fondés sur le titre VI (intergouvernemental) du traité sur l'Union européenne ".

Le gouvernement français dispose donc, dans le domaine si sensible des mesures compensatoires à la suppression des contrôles aux frontières, d'un moyen de pression pour demander que, " chaque fois que des propositions seront faites tendant à faciliter l'instauration de la libre circulation des personnes (- c'est-à-dire tendant à prendre des décisions à la majorité qualifiée et avec co-décision du parlement européen -) des progrès soient réalisés dans la mise en oeuvre des mesures d'accompagnement visant à renforcer la sécurité ", ce qui est manifestement le cas des conditions de mise en application des accords de Schengen, par exemple en matière de lutte contre les trafics de stupéfiants ou d'immigration clandestine .

Le protocole ne fournit d'ailleurs pas de date impérative pour l'adoption de l'acte portant détermination des bases juridiques de l'acquis de Schengen ; tout au plus une déclaration annexée à l'Acte final précise-t-elle que les travaux préparatoires devront être entrepris en temps utile pour permettre au Conseil, dès la date d'entrée en vigueur du traité, d'adopter toutes les mesures relatives à la définition des bases juridiques pertinentes .

La " décision du Conseil déterminant, conformément aux dispositions pertinentes du traité instituant la Communauté européenne et du traité sur l'Union européenne, la base juridique de chacune des dispositions constituant l'acquis de Schengen ", qui répartit l'acquis de Schengen entre le premier et le troisième pilier de l'Union, est donc d'une importance majeure .

B. LES DEUX POINTS ESSENTIELS DE LA NÉGOCIATION

a) La gestion future du Système d'Information Schengen (SIS)

Parmi l'ensemble des dispositions en cours de négociation, et dont j'ai dressé la liste dans le rapport que j'ai publié le 9 décembre 1998 au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, celles portant sur le système d'information Schengen sont sans nul doute les plus sensibles.

Il s'agit en effet du point essentiel de l'intégration de l'acquis de Schengen, car le SIS est la pierre angulaire des accords ; 28 articles de la convention de 1990 (articles 92 à 119) sont concernés qui définissent les catégories de données traitées, les conditions d'intégration des signalements nominatifs dans le système informatisé, les motivations des signalements de non-admission pour des étrangers non-communautaires, la nature des données relatives aux personnes disparues, aux témoins, aux personnes citées à comparaître devant les autorités judiciaires, aux surveillances discrètes, aux objets, véhicules, armes à feu, documents d'identité recherchés, aux utilisateurs des données, à la protection des données à caractère personnel et à la sécurité des données, à l'autorité de contrôle commune...

Plusieurs propositions ont été formulées au cours des négociations.

Une première proposition consisterait à fonder les articles qui traitent de l'architecture et de la gestion du SIS sur une base du troisième pilier, tandis que les articles concernant les données relatives à la circulation des personnes seraient, eux, répartis entre le premier et le troisième pilier.

Une seconde proposition a été formulée par le service juridique du Conseil. Le SIS serait considéré comme une entité créée antérieurement, en dehors du cadre de la Communauté et de l'Union. Son intégration résulterait de l'adoption de deux actes : d'une part, un acte communautaire (premier pilier) et, d'autre part, un acte du Conseil de l'Union (troisième pilier). Ainsi, la Communauté et l'Union reconnaîtraient toutes deux le SIS et approuveraient son fonctionnement, chacune pour ce qui la concerne et en fonction de ses compétences propres. Dans cette hypothèse, toute modification ultérieure des règles du SIS conduirait à rouvrir le débat sur la nature communautaire ou intergouvernementale du système, ouvrant la porte à un contentieux devant la Cour de Justice .

Ces propositions ne sont pas satisfaisantes.

Ainsi que je l'ai développé dans mon rapport au nom de la délégation pour l'Union européenne, il convient que le système continue de relever d'une gestion entre Etats, la coopération policière et judiciaire en matière pénale restant du domaine intergouvernemental ; il faut être conscient en effet que le passage d'une gestion intergouvernementale à une gestion communautaire du S.I.S. comporterait des risques sérieux.

b) L'avenir de la clause de sauvegarde

La présence d'une clause de sauvegarde dans les accords de Schengen fut un élément déterminant de la ratification de la Convention de 1990. Cette clause stipule que " lorsque l'ordre public ou la sécurité nationale l'exigent, une Partie Contractante peut... décider que, durant une période limitée, des contrôles frontaliers nationaux adaptés à la situation seront effectués aux frontières permettant à un Etat de rétablir les contrôles aux frontières lorsque l'ordre public ou la sécurité nationale l'exigent " (article 2, paragraphe 2 de la Convention).

Dès juin 1995, la France a utilisé cette clause de sauvegarde pour assurer le contrôle de sa frontière avec la Belgique. En décembre 1996, le Comité exécutif des ministres a défini une procédure comportant une consultation préalable des autres Etats membres et l'indication d'une durée limite d'effet. Cette clause a été également utilisée par nos partenaires : les Pays-Bas l'ont appliquée il y a dix-huit mois à l'occasion d'une rencontre sportive ; plus récemment, en février dernier, la Belgique, et le Luxembourg ont à nouveau eu recours à cette clause pour contrôler l'identité de manifestants agriculteurs et kurdes.

Selon les informations que la délégation a recueillies au cours des auditions auxquelles elle a procédées en novembre dernier, il a été envisagé, lors des négociations, que la clause de sauvegarde relèverait du pilier communautaire. Il faut souligner que ce transfert vers le domaine communautaire aurait des conséquences importantes , car même si le traité prévoit la possibilité, pour les gouvernements, de prendre des mesures dictées " par la sécurité intérieure et le maintien de l'ordre public ", ces mesures seraient indirectement placées sous le contrôle de la Cour de justice ; certes la Cour n'aurait pas compétence pour apprécier l'opportunité ou la proportionnalité des mesures de maintien de l'ordre décidées par les ministres de l'intérieur, mais elle pourrait néanmoins interpréter les arguments avancées par un Etat pour faire valoir que sa sécurité est en cause .

De plus, les conditions de procédure de l'application de la clause de sauvegarde, qui avaient été définies dans une décision de décembre 1996 du Comité exécutif Schengen, seraient à l'avenir réglementées sur proposition de la Commission, sous le contrôle de la Cour de justice. Il ne faudrait donc pas exclure la possibilité de contentieux si des contrôles fixes étaient maintenus - comme par exemple par la France sur la frontière belge - ou mis en place exceptionnellement par les Etats membres.

Là encore, j'ai expliqué dans mon rapport de décembre dernier les inconvénients de ces dispositions.

III. LA NÉCESSITÉ D'UNE EXPRESSION FORTE DU SÉNAT

Sur ces deux points majeurs du débat, il semble que la négociation n'ait guère évolué au cours des derniers mois.

Lors des travaux que la délégation pour l'Union européenne a menés à la fin de 1998, il est apparu que le Gouvernement s'opposait aux propositions qui tendraient, d'une part à partager ou à transférer au niveau communautaire la gestion du S.I.S. et, d'autre part, à communautariser l'exercice de la clause de sauvegarde.

Depuis lors, les travaux du groupe " acquis de Schengen " n'ont guère avancé. Il est toutefois vraisemblable que la perspective de l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam va entraîner prochainement une reprise active de la négociation et une pression nouvelle pourrait ainsi apparaître en faveur de propositions auxquelles la France s'est jusqu'alors opposée.

Il importe donc que le Sénat exprime fortement sa position vis-à-vis du S.I.S. dont la gestion devrait demeurer clairement dans le domaine intergouvernemental. De même les Etats membres devraient rester maîtres de l'utilisation de la clause de sauvegarde.

Il serait utile également que le Sénat puisse s'assurer à cette occasion que telle demeure bien aujourd'hui la position du Gouvernement. Un débat en séance publique sur la présente proposition de résolution, que la délégation pour l'Union européenne m'a chargé de présenter en son nom, en offrirait l'opportunité.

PROPOSITION DE RESOLUTION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le projet de décision du Conseil déterminant la base juridique de chacune des dispositions ou décisions constituant l'acquis de Schengen (E 1219 ),

Considérant que le traité d'Amsterdam, en créant un nouveau titre IV, transfère dans l'ordre communautaire, dès sa mise en vigueur, les domaines des visas, de l'asile, de l'immigration et des autres politiques liées à la libre circulation des personnes ;

Considérant d'autre part que le traité d'Amsterdam, par le moyen d'un protocole annexé, régit l'introduction de l'acquis de Schengen dans l'ordre communautaire et qu'il prévoit, à cet effet, la répartition des dispositions constituant l'acquis de Schengen soit dans le premier pilier, soit dans le troisième pilier ;

Considérant que cette ventilation détermine le traitement communautaire ou intergouvernemental de matières jusqu'alors traitées exclusivement dans le cadre intergouvernemental et que cette ventilation peut conduire à une remise en cause de l'équilibre même du traité, tel qu'il a été signé à Amsterdam, le 2 octobre 1997 ;

Considérant enfin que le présent projet de décision du Conseil doit être adopté à l'unanimité ;

Demande au gouvernement :

- de s'opposer au transfert dans l'ordre communautaire du dispositif de la convention d'application des accords de Schengen qui traite du système d'information Schengen (S.I.S.), la coopération policière et judiciaire en matière pénale relevant du domaine intergouvernemental ;

- d'obtenir le maintien dans le ressort de la seule responsabilité des Etats de la clause de sauvegarde de l'article 2 paragraphe 2 de la convention d'application des accords de Schengen du 15 juin 1990.

1 Déclaration de M. Pierre MOSCOVICI, ministre des affaires européennes, au cours de la séance du Sénat du 17 décembre 1998.

( 2 ) Réponse du ministre des affaires européennes à une question écrite de M. Louis Souvet (JO Sénat du 20 août 1998 page 2649)

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