Alors que les derniers chiffres connus font état de deux suicides d’agriculteurs par jour, la détresse qui frappe silencieusement les campagnes françaises depuis de nombreuses années ne peut rester plus longtemps sous le radar des politiques publiques . L’amélioration des conditions d’exploitation des agriculteurs, l’identification en amont des agriculteurs en difficultés et leur accompagnement par des dispositifs ciblés sont une urgente nécessité, qui doit mobiliser activement l’État et l’ensemble de la société.

C’est l’objet des 63 propositions formulées par le rapport des sénateurs Françoise Férat (Union Centriste - Marne) et Henri Cabanel (RDSE - Hérault) adopté ce mercredi 17 mars par la commission des affaires économiques du Sénat. Ce document se veut être la traduction des attentes du terrain, recueillies au terme d’échanges nombreux avec des proches de victimes (famille, amis, voisins, associés…), des agriculteurs en difficultés ou ayant tenté de commettre l’irréparable, des organismes agricoles (syndicats, MSA, chambres d’agriculture…), et les pouvoirs publics. Les deux sénateurs se sont rendus dans cinq départements et ont organisé un appel à témoignages sur le site internet du Sénat, qui a rencontré un succès démontrant l’attente du monde rural sur cette question. Les rapporteurs ont également recueilli l’avis de l’ensemble des préfectures départementales de France et des chambres d’agriculture.

Le phénomène de surmortalité par suicide en agriculture est désormais incontesté. Si les causes sont multifactorielles, elles mêlent des éléments objectivables, comme la faiblesse du revenu, l’endettement et le dénigrement de la profession agricole, et des ressorts intimes (manque de reconnaissance, burn‑out, isolement, problèmes personnels…).

Pour autant, il passe encore sous les radars, frappé par un manque problématique de données récentes et actualisées et une forme de tabou dans ce secteur qui inhibe la prise de parole.

Toutefois, tout au long de leur travail, les rapporteurs ont constaté que l’omerta commençait à être levée, notamment grâce à des initiatives de la société civile et des professionnels agricoles afin d’accompagner les agriculteurs en difficultés. Force est néanmoins de constater que l’État est resté jusqu’à présent trop timide en la matière, et qu’il est urgent qu’il mette en œuvre une ambitieuse politique publique de soutien, à la hauteur du fléau qui fragilise et emporte ceux qui nous nourrissent.

C’est pourquoi, la commission formule 63 propositions afin de mieux connaître et reconnaître le phénomène de détresse en agriculture, de renforcer l’identification, la prévention et l’accompagnement des agriculteurs en difficultés, et de proposer un soutien utile aux familles endeuillées. Les rapporteurs se sont par ailleurs attachés à élaborer des pistes pragmatiques et opérationnelles, qui pourront être mises en œuvre rapidement par le Gouvernement dans un plan d’action très attendu par les campagnes.

Pour Françoise Férat, rapporteur, "les nombreux témoignages que nous avons reçus témoignent de la vivacité du phénomène, de ses ravages au sein des familles d’agriculteurs, mais également de l’attente, forte, du monde agricole à l’égard de l’État et de la société. Le tabou commence à se briser, et nous devons continuer à œuvrer pour apporter un réel soutien à tous ceux qui réalisent le métier de nourrir les Français. La première étape, constamment mise en avant par les acteurs agricoles lors de nos échanges, est de "ré-humaniser" les procédures souvent froides et mécaniques, de placer l’humain au centre des interactions avec la machine administrative. C’est l’objet de plusieurs de nos recommandations".

Pour Henri Cabanel , rapporteur, " il existe une forme de paradoxe en matière de soutien aux agriculteurs : il existe de nombreuses aides, souvent peu connues. Et celles qui bénéficient d’une certaine notoriété présentent d’importants manques, que nous proposons de combler. Il y a en outre un réel travail de coordination des dispositifs et des acteurs à mener, qu’il s’agisse de la MSA, des préfectures, des chambres d’agriculture ou des autres parties prenantes comme les banques ou les coopératives : face à la détresse, personne n’est en mesure de s’y retrouver dans ce nœud inextricable d’outils et d’interlocuteurs".

Pour Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, "le rapport de Mme Férat et de M. Cabanel aborde le sujet dans sa globalité : revenus faibles, agribashing , isolement, déshumanisation des procédures, complexité administrative, critères restreignant l’éligibilité aux aides, soutien des familles endeuillées, sont autant d’aspects participant au même problème. Avancer sur cette question implique d’affronter tous ces sujets de front, sans biaiser. C’est l’une des ambitions de ce rapport".

La liste des 63 recommandations est accessible ici

La commission des affaires économiques est présidée par Sophie Primas (Les Républicains - Yvelines).

Le rapport "Suicides en agriculture : mieux prévenir, identifier et accompagner les situations de détresse"  est consultable ici : http://www.senat.fr/rap/r20-451/r20-451.html

Pour aller plus loin : voir la page du groupe de travail "Agriculteurs en situation de détresse"

Philippe PÉJO
presse@senat.fr