Question de M. SIGNÉ René-Pierre (Nièvre - SOC) publiée le 06/06/1996

M. René-Pierre Signé indique à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche que le désir d'adapter notre système éducatif à la crise économique pose le problème de l'apprentissage et de la formation ; on a retrouvé, par le biais des centres de formation d'apprentis (CFA), la vieille notion d'école du patronat et mis, qu'on le veuille ou non, dans les régions à faible démographie scolaire, en concurrence CFA et lycées professionnels. Les CFA sont des établissements privés qui reçoivent des fonds publics, y compris des taxes d'apprentissage importantes de services de l'Etat, ce qui pose tout de même interrogation et entraîne une concurrence malsaine. Le secteur public est ainsi menacé par la priorité que l'on donne à l'apprentissage et l'alternance. On peut s'inquiéter, dans une société où l'emploi précaire est de règle, ou seuls les emplois éphémères sont créés, de cette formation étroite et spécifique pour un métier bien déterminé, que dispensent les CFA. On peut s'interroger sur cet enseignement très orienté, assez éloigné du socle technique et polyvalent, nécessaire pour demain quand l'apprenti devenu ouvrier sera peut-être confronté à une nouvelle formation pour exercer un autre métier. Outre la concurrence exercée, il y a aussi une formation tronquée qui risque de freiner les chances de reconversion. Le lycée offre d'autres possibilités. Il lui demande quelles sont les perspectives de son action dans ce domaine.

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Réponse du ministère : Éducation publiée le 26/06/1996

Réponse apportée en séance publique le 25/06/1996

M. René-Pierre Signé. J'avais déjà indiqué à M. Bayrou que je lui poserai une question au sujet des CFA et des
lycées. Ce point avait été évoqué en commission des affaires culturelles et M. le ministre m'avait dit de lui poser cette
question en séance publique, car la commission n'était pas le lieu de ce débat.
Monsieur le ministre, le désir d'adapter notre système éducatif à la crise économique pose le problème de l'apprentissage
et de la formation. On a retrouvé, par le biais des CFA, la vieille notion d'école du patronat et mis en concurrence, qu'on
le veuille ou non, dans les régions à faible démographie scolaire, les CFA et les lycées professionnels.
Les CFA sont des établissements privés qui reçoivent des fonds publics, y compris des taxes d'apprentissage
importantes, de services de l'Etat, ce qui soulève tout de même une interrogation et entraîne une concurrence malsaine. Le
secteur public est ainsi menacé par la priorité que l'on donne à l'apprentissage et à l'alternance.
On peut s'inquiéter, dans une société où l'emploi précaire est de règle, où seuls des emplois éphémères sont créés, de
cette formation étroite et spécifique pour un métier bien déterminé que dispensent les CFA.
On peut s'interroger sur cet enseignement très orienté, assez éloigné du socle technique et polyvalent, nécessaire pour
demain quand l'apprenti devenu ouvrier sera peut être confronté à une nouvelle formation pour exercer un autre métier.
Outre la concurrence exercée, il y a aussi une formation tronquée qui, je le crains, risque de freiner les chances de
reconversion. Le lycée offre d'autres possibilités.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Bayrou, ministe de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le
sénateur, je veux tout d'abord vous dire que je partage votre volonté de défendre et de promouvoir les lycées
d'enseignement professionnel.
Je crois que vous avez raison de dire que cette voie d'enseignement aboutit à des résultats exceptionnels et qu'elle offre
des formations particulièrement adaptées aux jeunes qu'elle prend en charge.
Par ailleurs, loin de faire un procès aux CFA, je considère au contraire que toute notre action doit aller dans le sens de la
réconciliation entre l'éducation nationale et l'apprentissage. A quoi bon persister à avoir deux systèmes de formation
concurrents qui se regardent en chiens de faïence ? Il convient, me semble-t-il, que les deux systèmes comprennent
l'intérêt qu'ils ont à travailler ensemble, notamment parce que je crois que l'apprentissage sera une voie de
professionnalisation dans le siècle à venir.
Même si, pour l'instant, l'idée n'a pas été généralement reprise, je milite depuis longtemps pour qu'il soit mis un terme à
cette situation de méfiance réciproque. Je suis persuadé qu'il faut au moins entreprendre une réflexion sur l'unification des
voies d'alternance afin que l'apprentissage et l'alternance sous statut scolaire ne soient plus deux voies concurrentes l'une
de l'autre.
Pourquoi ne pas imaginer que la période de formation d'un jeune comprenne à la fois un temps pour l'alternance sous
statut scolaire et un temps pour l'apprentissage, ce dernier étant, comme vous le savez, un contrat de travail qui permet de
très remarquables insertions puisque la grande majorité des jeunes en apprentissage trouvent un emploi à la sortie de leur
formation ?
Je suis persuadé que, si nous allons dans ce sens, nous améliorerons considérablement l'offre de professionnalisation à
l'égard des jeunes, ce qui est notre but commun.
En conclusion, je considère que vous avez raison de défendre les lycées professionnels, mais je ne partage pas votre
critique de l'apprentisssage.
M. René-Pierre Signé. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Signé.
M. René-Pierre Signé. Monsieur le ministre, ma critique portait non pas sur les CFA, mais sur leur concurrence avec
les lycées dans les régions à faible densité démographique scolaire, ce qui est le cas de la Nièvre, même si la situation est
sans doute différente ailleurs.
Le Gouvernement incite les lycées professionnels à créer des CFA à l'intérieur des établissements. C'est peut-être, en
effet, la solution, et cela pourrait être positif si les mêmes règles de recrutement, de suivi pédagogique et d'ouverture de
sections étaient appliquées, ce qui ne semble pas tout à fait le cas.
Au-delà des éléments que j'ai rappelés tout à l'heure sur le non-respect des critères de formation diversifiée pour les
jeunes dans les CFA, je suis obligé de constater que la taxe d'apprentissage versée par les entreprises privées, les
entreprises artisanales et les organismes parapublics tels qu'EDF-GDF ou La Poste est répartie de façon inégale.
Dans la Nièvre, par exemple, EDF-GDF réserve sa taxe d'apprentissage à l'enseignement privé, et La Poste ne consacre
que 10 p. 100 de la sienne à l'enseignement public.
Par ailleurs, les CFA sont soumis à des règles différentes, et les lycées professionnels s'en plaignent.
Au niveau des financements, les dotations aux lycées professionnels sont affectées à des chapitres budgétaires
prédéterminés, dont l'utilisation est strictement contrôlée par les services rectoraux ; celles des CFA sont globales, et les
chefs d'établissements peuvent consommer les crédits en fonction de leurs besoins.
Au niveau des personnels, les enseignants des lycées professionnels sont des professeurs ayant réussi les concours de
l'éducation nationale. Les CFA, eux, peuvent librement recruter, notamment par des contrats à durée déterminée ; leurs
personnels n'ont pas de statut, et cette précarité de l'emploi peut nuire à la qualité de l'enseignement.
Au niveau des stages, les élèves des lycées effectuant leurs stages en entreprises au mois de juin, l'ensemble du
programme a pu être abordé, alors que les jeunes scolarisés en CFA les effectuent en mars, sans avoir vu toutes les
questions au programme.
Au niveau des ouvertures de sections...
M. le président. Je vous demande de conclure, mon cher collègue.
M. René-Pierre Signé. Je conclus, monsieur le président.
Pour qu'un lycée professionnel soit autorisé à ouvrir une section, il lui faut répondre à trois conditions : l'existence
localement de débouchés susceptibles de favoriser l'insertion, des enseignants compétents, des équipements adéquats.
En ce qui concerne les centres de formation d'apprentis, une décision politique du conseil régional suffit pour la création
d'une section, qui n'est pas toujours en cohérence avec les besoins locaux.
Or les lycées professionnels jouent, dans les zones rurales, un rôle pour freiner l'exode, car vous savez que l'exode rural
commence par l'exode scolaire. Les lycées devraient donc être plus favorisés qu'ils ne le sont, et en tout cas ne pas être
mis en concurrence avec les CFA qui, dans la Nièvre en tout cas, ont des compétences voisines et sont situés à proximité
immédiate des lycées.
M. le président. Mes chers collègues, je suis obligé de faire respecter le règlement, d'autant que les auteurs de question
qui dépassent leur temps de parole - et qui, quelquefois, aussitôt leur question posée, quittent l'hémicycle - portent
préjudice à ceux de leurs collègues qui sont inscrits après eux.
Voilà pourquoi j'entends rester très vigilant sur les temps de parole.

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