Question de M. DELANOË Bertrand (Paris - SOC) publiée le 21/02/1997

Question posée en séance publique le 20/02/1997

M. le président. La parole est à M. Delanoë.
M. Bertrand Delanoë. Monsieur le Premier ministre, votre projet de loi sur l'immigration (Ah ! sur les travées du RPR)
suscite des réactions nombreuses et légitimes dans lesquelles se mêlent plusieurs motivations : ...
M. Alain Gournac. Lesquelles ?
M. Bernard Delanoë. ... le rejet du terrorisme intellectuel insidieux de l'extrême-droite ainsi que la volonté de défendre
les valeurs qui fondent notre identité historique. Loin de constituer un cadre pertinent au traitement de l'immigration, ce
texte, s'il était adopté, ne ferait que fragiliser les conditions d'existence de tous les immigrés devenus suspects aux yeux de
la loi républicaine.
Aucun étranger n'échapperait à ce risque terrible, pas même les malades ! Lors de la séance du 6 février au Sénat, le
groupe socialiste avait déposé un amendement permettant la délivrance, de plein droit, d'une carte de séjour temporaire «
à l'étranger gravement malade ayant entrepris un traitement auquel il ne peut avoir accès dans son pays d'origine et dont
l'interruption entraînerait des conséquences préjudiciables à sa santé ».
M. le ministre de l'intérieur s'était alors opposé à cet amendement, affirmant que, dans la pratique, « ces étrangers ne sont
jamais reconduits à la frontière ». Pourtant, le lendemain même, un Tunisien gravement malade du sida, bénéficiant d'une
autorisation de séjour pour soins jusqu'en juin 1997, était expulsé. Ce fait nous inspire d'autant plus de honte que les
autorités préfectorales ont été tenues informées des risques dus à l'interruption du traitement par trithérapie, actuellement
indisponible en Tunisie. J'ai pu vérifier auprès des associations humanitaires que ce cas n'est malheureusement pas unique.
De deux choses l'une : ou bien M. le ministre de l'intérieur ne nous a pas dit la vérité, ce qui serait inacceptable ; ou bien
ses consignes ne sont pas appliquées, ce qui serait très inquiétant ! Ce cas exemplaire ne fait que confirmer la brutalité
aveugle et mécanique de pratiques anachroniques dans la patrie des droits de l'homme.
Le dossier que je viens d'évoquer concerne une question à la fois humaine, culturelle et politique. Monsieur le Premier
ministre, quelles dispositions concrètes entendez-vous prendre afin que l'avenir ne puisse plus jamais contredire dans les
faits les engagements pris ici même par M. le ministre de l'intérieur ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées
socialistes. - M. Ralite applaudit également.)

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Réponse du ministère : Intérieur publiée le 21/02/1997

Réponse apportée en séance publique le 20/02/1997

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Monsieur Delanoë, le ressortissant tunisien dont vous évoquez le sort a
été expulsé une première fois en 1984. Il est revenu en 1988, toujours dans l'illégalité.
Le 16 juin 1989, il est condamné à deux ans de prison pour infraction à la législation sur les stupéfiants. (Exclamations
sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Le 11 juin 1991, il est condamné à un an et trois mois de prison pour infraction à la législation sur les stupéfiants. (« C'est
scandaleux ! » sur les travées du RPR.)
Le 21 avril 1992, il est condamné à un an de prison et dix années d'interdiction du territoire français pour usage et trafic
de stupéfiants. (Vives exclamations sur les mêmes travées.)
Le 13 juin 1995, il est condamné à dix mois d'emprisonnement et dix ans d'interdiction du territoire.
Au total, il a été condamné à cinq années de prison.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et vous, vous l'avez condamné à mort !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Lorsqu'il a été interpellé dans le train, voici ce qu'il a déclaré à l'officier
de police : « Je suis marié, mon épouse se trouve en Tunisie. Je suis venu ici à Grenoble pour me rendre dans mon
consulat afin de revenir dans mon pays. » Nous n'avons fait qu'appliquer la loi et la décision judiciaire !
Monsieur Delanoë, arrêtez les amalgames, les mensonges, les hypocrisies. (Très bien ! et applaudissements sur les
travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - Protestations sur les travées socialistes.)
Amalgames quand vous et certains de vos amis faites référence si légèrement à une période de notre histoire : ceux qui
veulent défiler avec une valise aux abords de la gare du Nord insultent la mémoire de nos parents et de nos
grands-parents !
M. Jean-Pierre Camoin. C'est une honte !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Mensonges, quand vous et vos amis faites croire aux Français que ce
projet de loi vise à interdire les étrangers en France. Notre pays accueille chaque année entre 70 millions et 80 millions
d'étrangers. Ce projet de loi ne les concerne pas !
M. Henri Weber. Cela s'appelle botter en touche !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Chaque année, un million et demi d'étrangers viennent en France avec
un visa de court séjour. Cette loi ne les concerne pas ! Elle touche seulement 150 000 personnes qui ont besoin, pour
venir en France, d'un certificat d'hébergement.
Arrêtez, monsieur Delanoë, ces hypocrisies !
Quand j'entends M. Jospin affirmer que le citoyen Jospin comprend et approuve les appels à la désobéissance civile
(Nouvelles protestations sur les travées socialistes.)...
M. Jean-Pierre Camoin. C'est honteux !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. ... mais que le responsable Jospin ne les comprend pas (Vives
protestations et brouhaha sur les mêmes travées), je me demande qui défilera : est-ce le citoyen Jospin ou le
responsable politique Jospin ? A moins que ce ne soit un demi-Jospin ? (Très vives protestations sur les travées
socialistes.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Qu'avez-vous fait le 6 février ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Alors, monsieur Delanoë, cessez ces hypocrisies. (Le brouhaha
persiste.)
Quand M. Badinter affirme qu'il n'est en rien dans la création des certificats d'hébergement et, avec beaucoup de courage
politique, nie en déclarant que ce n'est pas lui mais Gaston Defferre qui les a créés (Applaudissements sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Très
vives protestations sur les travées socialistes), il oublie qu'il a signé le décret les instituant !
M. Claude Estier. C'est ignoble ! Assez ! C'est odieux !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Les objectifs du Gouvernement sont clairs.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous mentiez le 6 février !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Il veut lutter contre l'immigration irrégulière et contre les filières
d'immigration illégale. C'est la seule façon d'intégrer à la communauté nationale, d'associer à notre destin les étrangers qui
respectent nos lois et notre hospitalité.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous ne répondez pas à la question !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. C'est la seule façon de faire reculer en France le racisme et la
xénophobie, qui n'ont pas de place dans notre tradition française ! (Applaudissements prolongés sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Vives
protestations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)

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