Question de Mme BORVO COHEN-SEAT Nicole (Paris - CRC) publiée le 26/02/1997

Mme Nicole Borvo attire l'attention de M. le ministre du travail et des affaires sociales sur la situation scandaleuse faite à un grand nombre de chauffeurs de taxis parisiens qui sont victimes du système de la location. Depuis 1973, ce système est à l'origine de la dégradation de la situation des chauffeurs de taxi et de celle du taxi en général. En effet, dans le système de location, le patronat ne se pose plus en tant que tel, mais en tant que propriétaire, et nie la notion de salaire, ce qui est inadmissible, car cette notion recouvre toute la législation sociale contenue dans le code du travail. Cela a des effets redoutables pour les chauffeurs de taxi victimes de ce système féodal : la location est de plus en plus chère alors que les recettes diminuent. Les chauffeurs sont obligés de travailler soixante à soixante-dix heures par semaine pour un revenu net ne dépassant pas 20 francs l'heure. De plus, ils n'ont ni droit au chômage ni droit aux congés payés. Cette situation intolérable va également à l'encontre de l'intérêt du service au public que constitue le taxi. Pour toutes ces raisons elle lui demande ce qu'il compte faire pour abroger toutes les lois, ordonnances ainsi que tous les décrets qui sont à l'origine du système de location et établir une obligation de contrat de travail entre les patrons et les chauffeurs de taxi, rétablissant le rôle d'employeur que devraient avoir ces patrons qui se comportent comme des rentiers.

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Réponse du ministère : Santé publiée le 26/03/1997

Réponse apportée en séance publique le 25/03/1997

M. le président. Mme Nicole Borvo attire l'attention de M. le ministre du travail et des affaires sociales sur la situation
scandaleuse faite à un grand nombre de chauffeurs de taxi parisiens qui sont victimes du système de la location.
Depuis 1973, ce système est à l'origine de la dégradation de la situation des chauffeurs de taxi et de celle du taxi en
général. En effet, dans le système de la location, le patronat ne se pose plus en tant que tel, mais en tant que propriétaire,
et nie la notion de salaire, ce qui est inadmissible, car cette notion recouvre toute la législation sociale contenue dans le
code du travail.
Cela a des effets redoutables pour les chauffeurs de taxi, victimes de ce système féodal : la location est de plus en plus
chère alors que les recettes diminuent. Les chauffeurs sont obligés de travailler soixante à soixante-dix heures par semaine
pour un revenu net ne dépassant pas 20 F de l'heure. De plus, ils n'ont ni droit au chômage ni droit aux congés payés.
Cette situation intolérable va également à l'encontre de l'intérêt du service au public que constitue le taxi.
Pour toutes ces raisons, elle lui demande ce qu'il compte faire pour abroger toutes les lois, ordonnances et décrets qui
sont à l'origine du système de location, et établir une obligation de contrat de travail entre les patrons et les chauffeurs de
taxi, rétablissant le rôle d'employeur que devraient avoir ces patrons qui se comportent comme des rentiers. (N° 585.)
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais vous entretenir de la situation qui est imposée aux
locataires de taxi, dont le nombre est très important à Paris, et qui est pour le moins anachronique, si ce n'est scandaleuse.
En effet, ce système de location qui, en 1934, avait déjà suscité une très vive protestation - j'ai là une belle photographie
de la manifestation des cochers-chauffeurs en mars 1934 - permet depuis 1973 au patronat, qui est en l'occurrence
propriétaire, « d'échapper » au code du travail.
Mais voyons comment cela se passe dans la pratique.
Comme les autres chauffeurs, salariés ou artisans, les locataires doivent être titulaires d'un certificat de capacité délivré par
la préfecture. Le coût de la préparation à l'examen varie de 5 000 à 15 000 francs selon les écoles. Sur 1 834 candidats
en 1996, 44 % ont été reçus.
Une fois au volant, le locataire verse par avance de 4 200 à 4 500 francs par semaine à son loueur. Sur cette somme,
environ 1 800 francs servent à payer les charges sociales et la TVA. La recette moyenne est actuellement de 800 à 1 000
francs par jour. Pour le locataire, c'est peu car il faut soustraire 2 000 francs mensuels de gazole et, en général, 1 700
francs de connexion à un réseau d'appels clients. A la fin du mois, il ne lui reste souvent que 4 000 francs pour des
semaines de 75 heures de travail, ce qui fait un revenu net ne dépassant pas 20 francs de l'heure. Certains chauffeurs
finissent même le mois avec une somme équivalente au RMI.
Ce système féodal, dont les locataires sont les premières victimes, devient d'autant plus insupportable que la location est
de plus en plus chère alors que les recettes, pour cause de faible pouvoir d'achat, semble-t-il, diminuent. Comment
s'étonner, dès lors, que le dépassement des horaires de travail constitue l'infraction qui est relevée le plus fréquemment ?
Comment s'étonner que quelque 3 000 taxis « irréguliers » circulent à Paris, selon diverses organisations syndicales ?
Comment s'étonner que ces chauffeurs, tricheurs par obligation, travaillent deux fois dix heures par jour, sept jours sur
sept ? Comment s'étonner en effet quand on sait que le travail sept jours sur sept est autorisé depuis l'ordonnance de
1973 ?
S'ajoute à cette situation inhumaine le fait que les locataires n'ont droit ni au chômage ni aux congés payés, mesures prises
par la préfecture de police que les chauffeurs de taxi ressentent comme trop sévères, voire discriminatoires.
Cette situation va également à l'encontre de l'intérêt des usagers, qui subissent une dégradation forcée des conditions de
transport par manque de moyens du locataire.
Pour toutes ces raisons, je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, si vous avez conscience de cette situation et ce
que vous comptez faire pour rendre obligatoire le contrat de travail entre les patrons et les chauffeurs de taxi, rétablissant
ainsi le rôle d'employeur qui est réel et que devraient avoir ces patrons qui se comportent en réalité comme des rentiers.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale. Madame le sénateur, je vous prie d'excuser
Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, qui m'a chargé de vous donner les éléments de réponse
suivants à votre question.
Comme vous l'avez vous-même indiqué, depuis 1973 la profession de chauffeur de taxi à Paris s'exerce sous trois statuts
différents : salarié, artisan et locataire. Il est exact que la proportion des locataires s'est accrue, puisqu'ils sont aujourd'hui
au nombre de 6 500 sur 17 000 chauffeurs de taxis parisiens.
La loi du 20 janvier 1995 et le décret du 17 avril 1995 ont donné une assise juridique à l'exploitation des taxis par
location, et il n'est pas dans l'intention du Gouvernement à ce stade de modifier ce cadre juridique récent.
Cela étant, le Gouvernement est bien évidemment extrêmement sensible à la situation difficile que vous avez illustrée et
que vivent certains chauffeurs de taxi locataires, situation sur laquelle ils ont récemment attiré l'attention des pouvoirs
publics.
C'est pourquoi Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, et Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur, ont
décidé d'organiser une concertation entre les chauffeurs et les entreprises de taxis.
La première réunion, qui s'est tenue le 19 mars, a rassemblé l'ensemble des représentants des entreprises et des
chauffeurs, quel que soit leur statut : salariés, artisans ou locataires. Il a tout d'abord été décidé de reprendre les
négociations en vue d'élaborer une convention collective appliquable à l'ensemble des entreprises de taxis qui emploient
des chauffeurs salariés.
Par ailleurs, trois réunions de concertation entre loueurs et locataires ont d'ores et déjà été programmées d'ici à la fin du
mois de juin. Elles aborderont toutes les questions relatives aux conditions de travail et d'emploi des locataires que vous
avez évoquées à juste titre.
Voilà, madame le sénateur, ce que le Gouvernement a décidé d'inciter les parties responsables à faire. Nous espérons que
la concertation qui vient de s'engager débouchera dans les meilleurs délais sur d'importantes améliorations pour le statut
des chauffeurs de taxi locataires.
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre réponse.
Cette négociation me paraît tout à fait utile parce qu'elle correspond à un besoin réel ; il est donc inutile d'insister
davantage.
Dans cette affaire, je pense qu'il est souhaitable que les pouvoirs publics fassent valoir le caractère assez invraisemblable
de la situation.
Je vous fais observer que le taxi est autre chose qu'une activité purement commerciale. C'est un service au public
complémentaire aux transports publics.
Les usagers ne peuvent que trouver des avantages à l'établissement de conditions de vie et de travail décentes des
chauffeurs, quels qu'ils soient, mais particulièrement des locataires, qui sont aujourd'hui très nombreux, comme vous l'avez
dit vous-même, puisqu'ils représentent un tiers des chauffeurs de taxi.
L'amélioration des conditions de vie et de travail entraînera une plus grande stabilité dans la profession, une plus grande
expérience, un plus grand professionnalisme.
Je ferai valoir concrètement que tous les chauffeurs devraient pouvoir bénéficier de l'assurance chômage, locataires
compris, ce qui implique forcément un contrat de travail. Les patrons deviendraient responsables du temps de travail des
chauffeurs et seraient obligés de payer des cotisations patronales. Cela ferait disparaître la concurrence déloyale entre les
entreprises et les artisans - vrai problème qui explique l'augmentation du nombre de locataires - et serait, sans réduction
des gains, bénéfique pour l'emploi et pour tous les chauffeurs et usagers.
Il faut le dire, les chauffeurs de taxi ne sont pas des Kleenex ; ils ont droit à autre chose qu'à la précarité et au système de
turn-over qu'on leur impose !
Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous demande d'exercer sur les pouvoirs publics une pression afin que ces négociations
débouchent cette fois-ci sur des éléments concrets.

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