Question de Mme OLIN Nelly (Val-d'Oise - RPR) publiée le 15/05/1998

Question posée en séance publique le 14/05/1998

M. le président. La parole est à Mme Olin.
Mme Nelly Olin. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.
Le 9 mars dernier, un lycéen est tué d'une balle de fusil ; le 1er mars, à la suite d'une altercation entre jeunes gens, un
adolescent est tué par balle ; le 30 avril, un adolescent est mortellement poignardé par d'autres jeunes gens ; vendredi
dernier, un jeune de dix-sept ans est mort lynché par une vingtaine d'adolescents.
A ces actes inqualifiables s'ajoute une augmentation des attaques préméditées contre les policiers - deux furent
d'ailleurs blessés la semaine dernière à Garges-lès-Gonesse - mais aussi contre les pompiers. On assiste de plus en
plus à des incendies criminels, à des vols avec violence et à des affrontements entre bandes rivales, souvent même au
sein des établissements scolaires, comme ce fut récemment le cas dans un lycée du département du Val-d'Oise.
Cette liste n'est malheureusement pas exhaustive, monsieur le ministre, mais elle montre que la plus extrême violence
se généralise et se banalise dans nos cités.
A cela s'ajoute, ainsi que le souligne Mme Le Guennec, dans un rapport qui doit vous être remis, un changement total
des mentalités chez les jeunes au cours de ces dernières années. Dès l'âge de douze ans, certains d'entre eux
rejoignent la rue, s'organisent en bandes et s'accaparent certaines parties du territoire. Ces jeunes ne considèrent plus
que les valeurs de la citoyenneté et de la République sont les leurs.
On peut dire qu'ils font sécession avec la société. Ils considèrent les institutions, la police, les élus, les éducateurs et
tous ceux qui sont chargés de les encadrer comme un monde hostile qui leur est étranger.
Face à l'ampleur de ce problème et alors que nous apprenons que les effectifs du Val-d'Oise, notamment ceux de
Garges-lès-Gonesse, vont diminuer avant l'été,...
M. Alain Gournac. Tiens, tiens...
Mme Nelly Olin. ... permettez-moi, monsieur le ministre, de m'interroger sur l'adéquation de la solution que vous
proposez : le redéploiement des moyens qui se fera bien entendu au détriment de certaines parties de notre territoire,
où l'insécurité, même si elle est moins médiatique, n'en est pas moins réelle.
En conséquence, monsieur le ministre, quelles mesures concrètes et surtout immédiates le Gouvernement entend-il
prendre pour adapter les services de police à ces nouvelles formes d'insécurité particulièrement graves et
préoccupantes ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste.)

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Réponse du ministère : Intérieur publiée le 15/05/1998

Réponse apportée en séance publique le 14/05/1998

M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Madame le sénateur, vous venez d'attirer l'attention du Sénat et
du Gouvernement sur des faits affreux qui se sont produits notamment ces derniers jours et qui ont coûté la vie à
plusieurs adolescents.
Ces violences urbaines, qui ont explosé depuis quatre ans, se tournent de plus en plus, au-delà des violences
anti-institutionnelles, vers les jeunes eux-mêmes.
Ainsi, le nombre de rixes avec usage d'armes à feu est passé de 24 en 1994 à 32 en 1995, à 65 en 1996 et à 80 en
1997. Les chiffres des premiers mois de 1998 montrent d'ailleurs que ce phénomène continue. Quant au nombre de
blessés, il a plus que doublé, passant de 983 en 1994 à 1 993 en 1997.
Ces jeunes se battent pour l'appropriation d'un territoire, pour des questions relatives à des vols, pour des conflits ou
des susceptibilités personnels. Ces violences traduisent une crise sociale extrêmement profonde, liée à divers
éléments entrant en jeu dans des proportions qu'il m'est difficile de définir précisément : chômage de masse,
précarisation, perte de repères en raison de la crise des familles, ratés de l'intégration.
Le Gouvernement, très attentif à ce phénomène, a déjà pris plusieurs mesures fortes : l'élaboration de plus de 400
contrats locaux de sécurité, dont certains sont déjà signés, le recrutement de 8 250 adjoints de sécurité cette année et
de 11 750 l'an prochain, pour renforcer les moyens, notamment dans les zones difficiles que constituent la petite et
surtout la grande couronne parisienne, là où l'on rencontre beaucoup de difficultés.
M. Alain Gournac. Il faut des vrais policiers !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Naturellement, ces jeunes doivent être encadrés. C'est la raison
pour laquelle M. le Premier ministre a pris la décision de recruter par anticipation 1 400 policiers, compte tenu de
l'accélération des départs à la retraite, de façon que des équipes d'îlotage puissent être constituées.
A cet égard, je présiderai demain un séminaire réunissant les principaux responsables de la police, séminaire dont
l'objet sera précisément la question de la police de proximité et l'évolution de la doctrine que cela implique. En effet,
lorsque l'on fait intervenir une brigade anti-criminalité, il est souvent trop tard. Par conséquent, le travail doit se faire
longtemps à l'avance, sans que l'on puisse se faire trop d'illusions sur les résultats à court terme.
J'en viens à l'autre problème que constitue la délinquance des mineurs.
Un conseil de sécurité intérieure se réunira le 2 juin prochain en vue d'adopter des mesures permettant de combattre
cette délinquance qui ne cesse de « rajeunir ». Ainsi, dans l'affaire du lynchage d'un jeune d'origine ivoirienne, que vous
avez évoquée, madame le sénateur, des enfants de douze ans sont impliqués ; c'est effrayant !
Il faut donc trouver un moyen de réagir, car aucune politique ne peut se résumer soit à la prévention, soit à la
répression. Nous ne gagnerons rien à essayer d'opposer ces deux notions qui vont de pair.
S'agissant d'une évolution enregistrée malheureusement depuis plusieurs années, vous serez sans doute d'accord avec
moi, madame le sénateur, pour dire que nul n'a le droit de politiser outre mesure ces faits épouvantables, et je ne vous
le reproche pas le moins du monde de l'avoir fait.
M. Philippe François. Cela n'a rien à voir !
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je pense que la réponse de fond se situe tout de même dans la
citoyenneté, c'est-à-dire dans le rappel des valeurs qui fondent notre société...
MM. Dominique Braye et Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. ... et de ce qu'est le citoyen, traduction au quotidien du principe
de la souveraineté populaire, avec les droits mais aussi les devoirs que cela implique. (Applaudissements sur les
travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RPR.)

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