Question de M. HOEFFEL Daniel (Bas-Rhin - UC) publiée le 22/10/1998

M. Daniel Hoeffel attire l'attention de Mme le ministre de la culture et de la communication sur l'importance des vols, d'objets d'art aux dépens des collections publiques et sur l'explosion des trafics alimentés par les vols souvent accompagnés de déprédations aux dépens d'un patrimoine d'autant plus précieux qu'il est le témoignage de l'Histoire malmenée par les dictatures installées à partir de 1945. L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe vient d'adopter à l'unanimité la recommandation 1372 demandant aux quarante Etats membres du Conseil de l'Europe de ratifier la convention Unidroit, qui impose à l'acquéreur d'un objet d'art un minimum de diligence pour s'assurer de la régularité de son achat et bénéficier ainsi de la présomption de bonne foi. Ne serait-il pas opportun que la France prenne l'initiative de la ratification de cette convention et invite ses partenaires de l'Union européenne ainsi que les candidats à l'adhésion à la ratifier également ? Nos concitoyens ne s'attacheront durablement à l'Europe que si la situation des frontières s'accompagne du respect des cultures et d'une meilleure sécurité. Cette orientation a inspiré précisément le Pacte contre la criminalité organisée, récemment adopté par les pays de l'Union européenne et les onze pays candidats. Il lui demande si elle ne considère pas qu'une large ratification de la convention Unidroit compléterait cet effort nécessaire en rendant plus difficile la revente d'objets arrachés au patrimoine des différentes nations européennes.

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Réponse du ministère : Culture publiée le 16/12/1998

Réponse apportée en séance publique le 15/12/1998

M. Daniel Hoeffel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma question concerne la
ratification par la France de la convention Unidroit.
Les vols qui ont été commis il y a un certain temps au Louvre, et tout dernièrement celui d'un tableau de Corot, ou les
vols constatés à la galerie d'art moderne de Rome - un Cézanne et deux Van Gogh - attirent l'attention de l'opinion
publique sur l'importance des vols d'objets d'art aux dépens des collections publiques. On dit même que c'est un musée
entier qui disparaît chaque année en Italie si l'on totalise le nombre des vols d'oeuvres publiques et privées, notamment
dans les églises.
J'ajoute qu'au Conseil de l'Europe j'ai pu percevoir combien nos collègues parlementaires des pays d'Europe centrale et
orientale sont sensibilisés à l'explosion des trafics alimentés par les vols souvent accompagnés de déprédations aux
dépens d'un patrimoine d'autant plus précieux qu'il est le témoignage de l'histoire malmenée par les dictatures
installées à partir de 1945.
De même, nous savons que sont apparues sur le marché des mosaïques byzantines arrachées à des monuments du
nord de Chypre.
Ne pensez-vous pas, madame la ministre, qu'à côté des indispensables mesures de sécurité dans les musées et les
monuments il convient de priver de débouchés le trafic des objets d'art ?
L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe vient d'adopter à l'unanimité la recommandation 1372 demandant aux
quarante Etats membres du Conseil de l'Europe de ratifier la convention Unidroit, qui impose à l'acquéreur d'un objet
d'art un minimum de diligence pour s'assurer de la régularité de son achat et bénéficier ainsi de la présomption de
bonne foi.
Ne serait-il pas opportun que la France prenne l'initiative de la ratification de cette convention et invite ses partenaires
de l'Union européenne ainsi que les candidats à l'adhésion à la ratifier également ?
Nos concitoyens ne s'attacheront durablement à l'Europe que si la disparition des frontières s'accompagne du respect
des cultures et d'une meilleure sécurité. Cette orientation a inspiré, précisément, le pacte contre la criminalité
organisée récemment adopté par les pays de l'Union européenne et par les onze pays candidats. Ne pensez-vous pas
qu'une large ratification de la convention Unidroit compléterait cet effort nécessaire en rendant plus difficile la revente
d'objets arrachés au patrimoine des différentes nations européennes ?
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le sénateur, la convention
Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés, signée à Rome le 24 juin 1995, est une contribution
importante à la sauvegarde du patrimoine culturel de l'humanité. Il s'agit d'un instrument de première importance pour la
protection des différents patrimoines culturels nationaux et qui a vocation à devenir universel.
Depuis le 22 juillet 1998, la convention Unidroit est entrée en vigueur comme instrument contraignant pour les cinq
Etats qui l'ont ratifiée, à savoir la Roumanie, la Lituanie, le Paraguay, la Chine et l'Equateur. Comme dix-neuf autres
Etats, dont deux Etats membres de la Communauté européenne - l'Italie et les Pays-Bas - la France a signé la
convention, mais ne l'a pas encore ratifiée, ainsi que vous le soulignez, monsieur le sénateur.
Cette convention va dans le sens des efforts qui, depuis déjà le début du siècle, visent à empêcher le pillage d'oeuvres
d'art dans les pays en voie de développement. La France a toujours été la première à agir en la matière et je souhaite
qu'elle le reste.
Sur le plan moral, la convention représente une avancée considérable à une époque où les agressions criminelles
contre le patrimoine artistique, les vols, le pillage des sites archéologiques augmentent chaque année de façon très
alarmante.
Sur le plan juridique, elle représente une amélioration indiscutable du droit positif actuel. Les dispositions de la
convention devraient exiger plus de prudence et de circonspection de la part des acheteurs de biens culturels. Il devrait
en résulter un assainissement du commerce, un frein à la revente d'objets volés ou illicitement exportés.
Le cadre juridique des demandes de restitution de biens culturels devrait devenir plus lisible et aussi plus prévisible. Les
intérêts en cause ne sont pas financiers mais d'abord patrimoniaux et d'ordre public ; il s'agit de la protection du
patrimoine et du progrès de l'Etat de droit.
Sans méconnaître l'exigence et la charge supplémentaire qui pèseront de ce fait sur les acquéreurs, il me paraît moral
d'assumer cet inconvénient au regard des enjeux patrimoniaux.
La possibilité de récupérer facilement un bien volé - puisque tout possesseur d'un bien culturel volé à l'avenir devra dans
tous les cas le restituer - devrait pouvoir satisfaire tous les collectionneurs et les musées désireux de protéger leur
propriété culturelle. Qui ne se réjouirait des dispositions de la convention qui leur faciliteront les restitutions d'oeuvres
volées ?
Les différentes critiques ont souligné que ce texte prévoyait un renversement de la charge de la preuve, qui
révolutionnerait le droit français, dans la mesure où le propriétaire d'un bien meuble est présumé de bonne foi et n'a
donc pas à faire la preuve de sa diligence lors de l'acquisition de l'oeuvre.
Il s'agit là d'une exagération puisque la décision à prendre reste souverainement appréciée par le juge du fond d'après
les circonstances de la cause.
La convention Unidroit indique d'ailleurs un certain nombre de principes qui permettront de juger de la « diligence » de
l'acheteur et qu'il est relativement facile à mettre en oeuvre. Par exemple, la consultation de « tout registre relatif aux
biens culturels volés raisonnablement accessible » devrait contraindre les Etats à tenir des listes les plus complètes
possibles de biens volés sur le plan national comme sur le plan international, même si celles-ci sont encore loin d'être
exhaustives et doivent être mises à jour en permanence.
Néanmoins, en France, l'Office central de répression des vols d'oeuvres d'art met en place une informatisation des vols
très efficace ; la direction des musées de France et la direction du patrimoine et de l'architecture vont très
prochainement se connecter sur cette base.
En résumé, les dispositions de la convention présentent de tels avantages que les quelques gênes qu'elles causeront
aux futurs acquéreurs sont largement compensées. La ratification par la France de ce texte serait une avancée
supplémentaire, à la fois dans la lutte contre la criminalité et dans la construction d'une Europe culturelle.
La France a ratifié récemment la convention de l'UNESCO de 1970 sur le commerce illicite ; ce serait à son honneur
qu'elle prenne l'initiative en vue de la ratification de cette convention Unidroit de 1995 et invite ses partenaires de l'Union
européenne, ainsi que les candidats à l'adhésion, à ratifier ce texte. Cette initiative est d'autant plus importante qu'une
directive communautaire du 15 mars 1993 est venue, quant à elle, régler le problème de la restitution des biens
culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un Etat membre, et que l'articulation entre ce texte communautaire
intégré dans le droit interne des Etats membres et la convention Unidroit doit être traitée par tous les Etats membres
afin de garder à ces textes toute leur portée et leur efficacité.
Je suis donc convaincue de l'intérêt qu'a la France de ratifier cette convention. Vous pouvez compter sur le dialogue
constructif et actif que je mène avec l'ensemble de mes collègues pour que cette ratification soit le fait non seulement
de la France, mais aussi d'autres Etats membres.
M. Daniel Hoeffel. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. Il s'agit, en l'occurrence, d'un élément essentiel du patrimoine de l'Europe.
Il y va aussi de la perception qu'ont nos concitoyens européens de la capacité de l'Europe à protéger cet élément
essentiel de notre culture.
Je vous fais confiance, madame la ministre, pour engager les négociations ou les pourparlers permettant à la France de
ratifier rapidement la convention Unidroit et, de ce fait, de montrer l'exemple à ses partenaires de l'Union européenne.

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