Question de M. CARLE Jean-Claude (Haute-Savoie - RI) publiée le 01/03/2000

M. Jean-Claude Carle appelle l'attention de Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité sur les conséquences pour les frontaliers français travaillant en Suisse des deux arrêts rendus le 15 février dernier par la Cour de justice des Communautés européennes relatifs à l'assujettissement des travailleurs frontaliers français à la Contribution sociale généralisée (CSG) et à la Contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS). En effet, la Cour a donné tort à la France et a arrêté que les résidants français travaillant dans un autre Etat membre de l'Union ne pouvaient pas être soumis à la CSG et à la CRDS. En appliquant ces deux contributions aux revenus d'activité et de remplacement des travailleurs salariés et indépendants qui résident en France, mais qui travaillent dans d'autres Etats membres de l'Union, la Cour a estimé que la France avait méconnu le traité et la réglementation communautaire relative à l'application des régimes de sécurité sociale. Contrairement à l'argumentation exposée par la France, il est apparu à la Cour que le lien existant entre les contributions en cause et les régimes de sécurité sociale, déterminant aux fins de l'application de la réglementation communautaire, était suffisamment direct et pertinent dans la mesure où aussi bien la CSG que la CRDS ont pour objet spécifique et direct le financement du régime de sécurité sociale français. Elle en a conclu que, même qualifiées d'impôt par l'Etat français, ces deux contributions étaient bien des prélèvements sociaux, d'une part, exposaient ainsi les travailleurs frontaliers à une double cotisation, et d'autre part, en discriminant les travailleurs salariés et indépendants qui résident en France mais qui travaillent dans d'autres Etats membres, étaient constitutives d'une entrave injustifiable à la libre circulation des travailleurs. Dès lors se pose la question de son application aux frontaliers français travaillant en Suisse, pays non membre de l'Union européenne. Plusieurs raisons militent en ce sens : d'une part, l'article 7 de la Convention de sécurité sociale franco-suisse du 3 juillet 1975 dispose que, " sous réserve des dispositions du présent titre, les travailleurs salariés exerçant leur activité professionnelle sur le territoire de l'un des Etats sont soumis à la législation de cet Etat, même s'ils résident sur le territoire de l'autre Etat... " ; les frontaliers sont en effet soumis à la législation suisse de sécurité sociale et n'ont pas à acquitter les cotisations alimentant le régime français ; d'autre part, l'arrêt rendu le 15 février par la Cour concerne aussi bien la CRDS que la CSG ; or, la décision ministérielle de novembre 1994 consistant à suspendre la CSG sur les revenus des frontaliers s'est appliquée uniformément à tous les frontaliers, qu'ils travaillent ou non dans les pays membres ; enfin, la Suisse et l'Union européenne ont signé des accords bilatéraux le 21 juin 1999. Dès l'entrée en vigueur de ces accords, le domaine de la sécurité sociale des migrants et des frontaliers relèvera de l'application du règlement communautaire 1408/71 sur lequel la Cour s'est appuyée pour rendre sa décision. Aussi, il souhaiterait savoir si elle s'engage à étendre la décision de la Cour de justice des Communautés européennes aux frontaliers travaillant en Suisse.

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Réponse du ministère : Santé publiée le 08/03/2000

Réponse apportée en séance publique le 07/03/2000

M. Jean-Claude Carle. Madame la secrétaire d'Etat, au terme d'une procédure engagée par les organisations
représentant les travailleurs frontaliers, la Cour de justice des Communautés européennes a rendu, le 15 février dernier,
deux arrêts très importants relatifs à l'assujettissement à la contribution sociale généralisée, la CSG, et à la
contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS.
En effet, la Cour a donné tort à la France et a arrêté que les résidents français travaillant dans un autre Etat membre de
l'Union européenne ne pouvaient être soumis à la CSG et à la CRDS.
En appliquant ces deux contributions aux revenus d'activité et de remplacement des travailleurs salariés et
indépendants qui résident en France, mais qui travaillent dans d'autres Etats membres de l'Union européenne, la Cour a
estimé que la France avait méconnu le traité et la réglementation communautaire relative à l'application des régimes de
sécurité sociale.
Contrairement à l'argumentation exposée par la France, il est apparu à la Cour que le lien existant entre les
contributions en cause et les régimes de sécurité sociale était suffisamment direct et pertinent dans la mesure où aussi
bien la CSG que la CRDS ont pour objet spécifique et direct le financement du régime de sécurité sociale français.
Elle en a conclu que, même qualifiées d'« impôt » par l'Etat français, ces deux contributions étaient bien des
prélèvements sociaux ; par conséquent, d'une part, elles exposaient ainsi les travailleurs frontaliers à une double
cotisation et, d'autre part, elles étaient constitutives d'une entrave injustifiable à la libre circulation des travailleurs.
Dès lors se pose la question de l'application de cette décision aux frontaliers français travaillant en Suisse, pays non
membre de l'Union européenne. Plusieurs raisons militent en ce sens.
D'une part, l'article 7 de la convention de sécurité sociale franco-suisse du 3 juillet 1975 dispose que, « sous réserve
des dispositions du présent titre, les travailleurs salariés exerçant leur activité professionnelle sur le territoire de l'un des
Etats sont soumis à la législation de cet Etat, même s'ils résident sur le territoire de l'autre Etat... ». Les frontaliers
sont en effet soumis à la législation suisse de sécurité sociale et n'ont pas à acquitter les cotisations alimentant le
régime français.
D'autre part, l'arrêt rendu le 15 février par la Cour concerne aussi bien la CRDS que la CSG ; or, la décision ministérielle
de novembre 1994 consistant à suspendre la CSG sur les revenus des frontaliers s'est appliquée uniformément à tous
les frontaliers, qu'ils travaillent ou non dans les pays membres.
Enfin, la Suisse et l'Union européenne ont signé des accords bilatéraux le 21 juin 1999. Dès l'entrée en vigueur de ces
accords, le domaine de la sécurité sociale des migrants et des frontaliers relèvera de l'application du règlement
communautaire sur lequel la Cour s'est fondée pour rendre sa décision.
Aussi, madame la secrétaire d'Etat, je souhaite savoir si vous comptez étendre le bénéfice de la décision de la Cour de
justice des Communautés européennes aux frontaliers travaillant en Suisse. En ce qui concerne les revenus d'activité et
de remplacement, les personnes qui auraient acquitté ces prélèvements seront-elles remboursées à leur demande et
les frontaliers concernés devront-ils mentionner les revenus en cause perçus en 1999 dans la case prévue pour
l'assujettissement à la CRDS ?
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale. Monsieur le sénateur, les arrêts rendus par la
Cour de justice des Communautés européennes le 15 février dernier mettent en effet un terme à une très longue
procédure.
La Cour ne conteste pas le droit pour chaque Etat membre de choisir le mode de financement de sa protection sociale,
mais elle considère que la CSG et la CRDS, même si la législation française les qualifie d'impôts, sont des
prélèvements spécifiques, destinés à financer la sécurité sociale. Par conséquent, une personne qui y est assujettie
finance la sécurité sociale française.
Si cette personne travaille dans un autre pays de l'Union européenne, elle paie des cotisations dans ce pays et finance
donc aussi son régime de protection sociale. Elle contribue ainsi à deux systèmes de protection sociale, ce qui est
interdit par la réglementation européenne. Celle-ci prévoit en effet qu'une personne ne peut relever que d'un seul
système de protection sociale nationale.
La Cour interdit, par conséquent, de prélever la CSG et la CRDS sur les revenus d'activité et de remplacement de
personne résidant en France mais ne relevant pas de la sécurité sociale française, c'est-à-dire les frontaliers.
Je profite de votre question pour apporter trois précisions.
Tout d'abord, des instructions sont données aux services pour que les contentieux en cours devant des tribunaux
français soient réglés, le plus rapidement possible, conformément aux arrêts de la Cour et que les demandes de
remboursement de CSG et de CRDS soient instruites favorablement.
Ensuite, si cette question est importante sur le plan juridique, son enjeu financier est mineur : le recouvrement de la
CSG était suspendu pour les frontaliers depuis 1994 et celui de la CRDS avait fait l'objet d'instructions favorables du
ministre des finances. Nos prévisions de recettes ne comprennent évidemment pas de recettes à ce titre. La décision
de la Cour est donc sans conséquence pour les comptes sociaux de notre pays.
Enfin, les arrêts ne concernent que les prélèvements sur les revenus d'activité et de remplacement, à l'exclusion des
revenus de capitaux. Les frontaliers n'avaient d'ailleurs jamais contesté les prélèvements sur les revenus de capitaux.
Notre législation concernant la CSG et la CRDS va, bien entendu, être très prochainement adaptée pour tenir compte
des arrêts de la Cour.
Les frontaliers qui travaillent en Suisse ne sont pas automatiquement concernés par les arrêts de la Cour puisque
ceux-ci ne valent, bien évidemment, que pour les personnes relevant du système de sécurité sociale d'un Etat membre
de l'Union européenne.
Cependant, comme vous l'indiquez vous-même, le recouvrement a été suspendu depuis 1994 pour tous les frontaliers, y
compris ceux qui travaillent en Suisse. Par ailleurs, il existe une convention franco-suisse de sécurité sociale. Enfin, il
résulte de l'accord récent entre la Suisse et l'Union européenne que les frontaliers travaillant en Suisse seront, vis-à-vis
de la sécurité sociale, dans la même situation que les frontaliers travaillant dans un pays de l'Union européenne.
Par conséquent, les décisions résultant des arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes seront
appliquées aussi bien aux frontaliers travaillant en Suisse qu'aux autres frontaliers.
M. Jean-Claude Carle. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle. Madame la secrétaire d'Etat, je vous remercie de cette bonne nouvelle, qui met un terme à une
longue procédure et place sur un pied d'égalité tous les travailleurs frontaliers.

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