Question de M. MUZEAU Roland (Hauts-de-Seine - CRC) publiée le 24/05/2000

M. Roland Muzeau appelle l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur les hausses à répétition des prix des matériaux utilisés dans le bâtiment et de leurs effets sur le comportement des entreprises. Durant ces dix dernières années, les grandes entreprises du bâtiment faisaient face à une grave crise de leur profession en se tournant notamment vers le seul secteur restant jusqu'alors porteur : le logement social. Aujourd'hui, tout le monde se félicite à juste titre de la relance de l'économie, et en particulier de celle du bâtiment. Aussi, est-il pour le moins paradoxal que cette relance de la demande entraîne une défection importante de l'offre de réalisation et donc des difficultés pour réaliser des programmes de logements sociaux locatifs ou en accession à la propriété, ainsi que des équipements publics. C'est ce que subissent les collectivités locales en Ile-de-France et c'est ce qui se vit à Gennevilliers lors d'appels d'offres portant sur la construction de logements sociaux, d'un gymnase ou la réhabilitation lourde pour l'accueil d'une structure de santé : les réponses des entreprises se situent entre + 15 % et + 20 % supérieures aux prix de référence ou aux estimations faites par les services municipaux. Certaines entreprises ne répondent même plus à la demande publique. Cette situation place les collectivités locales, les organismes HLM, tous les acteurs des politiques sociales devant des difficultés nouvelles et un risque de blocage à terme. La presse spécialisée fait état des hausses à répétition, depuis le début de l'année, des prix de gros pratiqués par des fabricants comme les établissements Lafarge : plâtre, contreplaqués, acier, tuyaux en PCV par exemple ont augmenté encore récemment de + 11 % à + 15 %. La valse des étiquettes ne semble pas devoir s'arrêter. Il lui demande donc quelles sont les mesures pratiques qu'il compte prendre, en concertation avec les élus et les professionnels pour remédier à ces dérives tarifaires et juguler dans les meilleurs délais les dérapages constatés pénalisant les projets des maîtres d'ouvrages.

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Réponse du ministère : Budget publiée le 14/06/2000

Réponse apportée en séance publique le 13/06/2000

M. le président. La parole est à M. Muzeau, auteur de la question n° 830, adressée à M. le ministre de l'économie,
des finances et de l'industrie.
M. Roland Muzeau. Madame la secrétaire d'Etat, ma question porte sur la responsabilité des entreprises du bâtiment
en matière d'inflation des prix constatée, laquelle obère l'effort d'aménagement des collectivités locales.
Si tout le monde se félicite, à juste titre, de la relance de l'économie, en particulier de celle du bâtiment, personne ne
peut admettre qu'elle s'accompagne d'une défection importante dans les réponses des grandes entreprises aux appels
d'offres des collectivités locales et à une dérive des prix.
Dans ma ville, Gennevilliers, j'ai pu constater, dans le cadre d'appels d'offres portant notamment sur la construction d'un
gymnase et sur la réhabilitation de locaux pour l'accueil d'une structure de santé, des dépassements de prix de l'ordre
de 20 %. Pour un groupe scolaire maternel, l'augmentation est de 16 %. Toutes les communes et collectivités
territoriales sont confrontées à une telle situation.
D'ailleurs, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de la
Seine-Saint-Denis a remis, voilà déjà quelques mois, un rapport faisant état d'une augmentation de 10 % à 15 % des
prix pratiqués dans le bâtiment.
Sur une période récente, les fabricants ont aussi décidé de très fortes augmentations : le rond à béton, le cuivre ont
ainsi augmenté de 20 % à 25 % ; le PVC a subi une hausse de 37 %.
Il est vrai que, pendant toute une période, le secteur du bâtiment a subi une grave crise et connu des prix anormalement
bas. Mais il faut se souvenir que les collectivités locales ont à ce moment proposé des marchés importants qui ont
permis aux entreprises de poursuivre leurs activités.
Ce à quoi nous assistons ne constitue nullement un ajustement des prix, que nous comprendrions. Il s'agit d'une
véritable explosion, qu'il convient, madame la secrétaire d'Etat, de juguler. Comment laisser ces acteurs économiques
se comporter comme s'ils devaient exploiter vite et fort le filon de la reprise ?
Le président de la Fédération française du bâtiment, dans le dernier numéro de la publication mensuelle éditée par cet
organisme, ne reconnaît-il pas que ses entreprises adhérentes « profitent » de la reprise de l'activité pour augmenter
leurs prix ?
Il justifie cette pratique par la hausse des prix des produits et des matériaux, mais aussi par le passage aux 35 heures
et, surtout, par le besoin de reconstituer des marges. Il met en garde - je le cite - « ceux qui contesteraient un
ajustement des prix », car, dit-il, ils « risquent de le regretter amèrement ».
Ce que je regrette vraiment, madame la secrétaire d'Etat, c'est que ce souci obsessionnel de la rentabilité pénalise les
efforts des collectivités locales et des organismes d'HLM et, par conséquent, les populations.
Ce que nous ne pouvons accepter, c'est que les choix modernes du gouvernement de la gauche plurielle, comme les 35
heures et l'abaissement de la TVA à 5,5 %, soient ainsi déviés de leurs objectifs.
Aussi je vous demande, madame la secrétaire d'Etat, quelles initiatives votre ministère peut prendre pour remédier aux
dérives inflationnistes dans ce secteur, à l'image de ce qui est tenté en direction des grandes compagnies pétrolières,
afin de dépasser la contradiction entre la volonté publique nationale et le souci particulier de la rentabilité financière,
contradiction que nous dénonçons, bien évidemment !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le sénateur, le secteur du bâtiment et des travaux publics
connaît, depuis plusieurs mois, un regain d'activité dû au effets conjugués de la reprise du marché de l'immobilier neuf,
résultat de la croissance, et des interventions nécessaires à la réparation des dégâts causés par la tempête de la fin de
l'année 1999.
Les prévisions faites par les professionnels prévoient une croissance du secteur de l'ordre de 4,5 % pour l'année en
cours et la création de 20 000 emplois.
Les pouvoirs publics ont déjà favorisé cette reprise d'activité par un allégement des charges salariales, puisque la loi de
finances pour 1999 a mis en oeuvre la réforme de la taxe professionnelle qui supprime sur cinq ans la part salariale de
l'assiette de la taxe. Par ailleurs, la baisse importante de la TVA sur certains travaux de bâtiment a produit d'ores et
déjà des effets très sensibles. Il convient donc effectivement de se féliciter, particulièrement en termes d'emploi, de
cette reprise et de l'état florissant de ce secteur économique très important.
Les conséquences de cette reprise n'ont cependant pas échappé aux pouvoirs publics, mais il convient de mesurer à
leur juste valeur les risques d'inflation éventuelle qui peuvent être dus à la tentation d'une majoration des prix de base
après une période de dépression, vous les avez signalés, et les risques d'une sélection préférentielle des chantiers à
réaliser pour le compte du secteur privé au détriment, éventuellement, des marchés publics, particulièrement ceux des
collectivités locales que vous avez évoqués.
Il doit être également tenu compte de la répercussion du prix de l'énergie dans les coûts de production. Le
Gouvernement s'emploie avec fermeté à ce que ce coût soit ajusté correctement en fonction des cours internationaux
des matières énergétiques. M. Laurent Fabius a pris à cet égard des mesures importantes à la fin de la semaine
dernière.
Il convient, au vu des prévisions faites par les professionnels eux-mêmes, de considérer que la période actuelle est une
période de transition et qu'à court terme la montée en puissance des créations d'emplois rétablira un plus juste équilibre
entre le secteur privé et le secteur public. Cette analyse ne dispense pas d'un suivi attentif des marchés publics et de la
collecte d'informations précises sur l'évolution des prix.
S'agissant des marchés publics, il est conseillé aux maîtres d'ouvrage d'allotir au maximum leurs marchés et d'autoriser
le recours aux variantes afin d'améliorer l'état de la concurrence et de permettre aux PME et aux artisans d'accéder à la
commande publique.
Par ailleurs, la réforme en cours des marchés publics, dont l'objet principal est la simplification, devrait également
faciliter l'accès des entreprises à la commande publique et contribuer, par ce biais, à rétablir l'équilibre entre secteur
public et secteur privé.
S'agissant des prix, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a
effectué, dans la première quinzaine de février, une enquête qui a montré, par rapport au début de l'année, une
augmentation de 1,6 % des prix de certains matériaux de base au stade de la distribution et une progression de 1,4 %
du prix des travaux.
Si ces observations n'indiquent pas de dérapages généralisés, il n'est pas exclu que, ponctuellement, des hausses de
prix très sensibles soient constatées, telles que celles que vous avez évoquées. C'est pourquoi des consignes très
strictes ont été données en matière de contrôles, notamment dans les marchés publics, afin de détecter toute pratique
anticoncurrentielle qui révélerait des hausses artificielles préjudiciables aux donneurs d'ordres quels qu'ils soient. Cette
orientation des contrôles n'est pas temporaire ; elle se poursuivra tout au long de l'année 2000.
M. Roland Muzeau. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau. Madame la secrétaire d'Etat, vous confirmez dans votre propos les inquiétudes qui sont les nôtres
sur la dérive des prix. Mais vous indiquiez par ailleurs que les informations qui sont en votre possession font état, pour
le mois de février dernier, d'une dérive des prix qui oscillerait entre 1,4 % et 1,6 %. Bien évidemment, vous avez perçu
que ces informations ne correspondaient pas à celles que je vous ai données ici même et qui sont corroborées par
plusieurs maîtres d'ouvrage de la région parisienne, de mon département, les Hauts-de-Seine, en particulier.
L'Ile-de-France est particulièrement concernée par ces phénomènes, et cette dérive des prix, que je dénonce et surtout
que je déplore, est supérieure à celle qui apparaît à travers les chiffres qui sont donnés par vos services.
Nous savons tous que, dans un département comme les Hauts-de-Seine, qui est un département à forte attractivité
pour les bureaux et pour l'accession à la propriété haut de gamme, les réponses qui sont faites par les entreprises sont
extrêmement variables selon que les appels d'offres portent sur la construction de logements d'HLM ou bien sur 50 000
mètres carrés de bureaux ; chacun mesurera que la différence est notable.
Bien entendu, je prends en compte l'assurance que vous nous donnez d'un suivi attentif de vos services sur cette
question très importante. Malgré tout, je ne suis pas pour autant rassuré face à la réalité, qui va incontestablement
dans un sens opposé à la relance.

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