Question de M. DEMUYNCK Christian (Seine-Saint-Denis - RPR) publiée le 25/10/2000

M. Christian Demuynck souhaite attirer l'attention de M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat sur la décision du Gouvernement de supprimer, à compter du 1er décembre prochain, les fiches d'état civil et les justificatifs de domicile. En effet, il entend dénoncer les risques manifestes de fraude que cette mesure induira. Une simple copie certifiée conforme par les soins de tout un chacun suscitera de nombreuses falsifications et ne permettra pas, dans le cas particulier de livrets de famille étrangers, de déterminer les composantes familiales exactes. Au surplus, il condamne avec virulence l'intention du Gouvernement de mettre fin aux justificatifs de domicile. Il craint que de nombreuses personnes falsifient leur déclaration sur l'honneur à seule fin de bénéficier des avantages sociaux d'une ou plusieurs villes, déséquilibrant de la sorte leurs finances. En outre, les répercussions sur les effectifs scolaires seront considérables. Les parents n'hésiteront pas à déclarer de faux domiciles pour que leurs enfants intègrent de meilleurs établissements. Les inspections académiques verront ainsi leur tâche se compliquer. Il entend, par conséquent, connaître les moyens mis en oeuvre pour éviter la fraude.

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Réponse du ministère : Logement publiée le 08/11/2000

Réponse apportée en séance publique le 07/11/2000

M. Christian Demuynck. Monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement a décidément
l'esprit des grandes réformes ! En atteste la suppression, à compter du 1er décembre
prochain, de la fiche d'état civil et de tout justificatif de domicile dans le cadre de démarches
administratives. Voilà qui, prétendez-vous, devrait faire gagner un temps infini aux personnels
des mairies. Outre que cette grandissime réforme ne peut améliorer de façon décisive le
fonctionnement de l'administration, force est de dénoncer ses graves inconvénients.
D'une part, la simple présentation d'une copie d'un document d'identité, certifiée conforme par
les propres soins de tout un chacun, en lieu et place des mairies, apparaît pour le moins
dangereuse. Comment, de plus, accorder foi à des pièces illisibles ou à des livrets de famille
étrangers, le plus souvent peu explicites sur la situation familiale réelle ?
D'autre part, je ne peux que condamner avec la plus extrême virulence votre intention de
mettre fin aux justificatifs de domicile pour l'obtention d'avantages sociaux offerts par certaines
communes. En effet, celles-ci devront ainsi assumer de lourdes charges indues qui viendront
grever des finances gérées sainement mais, il faut bien le reconnaître, non sans mal.
De nombreuses personnes feront peu de cas de leur honneur en déclarant leur domicile dans
des villes à leurs yeux plus intéressantes socialement et financièrement - pourquoi pas ? - en
se domiciliant dans plusieurs communes. Quels moyens de contrôle aurons-nous ?
Les répercussions sur les établissements scolaires seront, elles aussi, considérables.
Certains parents, soucieux de l'avenir de leurs enfants, n'hésiteront pas à falsifier les
déclarations sur l'honneur à seule fin de voir leur progéniture dans de meilleurs
établissements.
En outre, votre décision va compliquer le travail des inspections académiques ; celles-ci se
retrouveront, tôt ou tard, confrontées tantôt à des collèges et écoles désertées, tantôt à des
classes surpeuplées.
Ma question est, par conséquent, double, monsieur le secrétaire d'Etat. Abandonnerez-vous
cette décision ? Dans le cas contraire, quels garde-fous prévoyez-vous pour endiguer une
fraude prévisible ?
M. le président. La parole est M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement. Monsieur le sénateur, vous avez interrogé
mon collègue ministre de la fonction publique sur la décision du Gouvernement visant à
supprimer, à compter du 1er décembre prochain, la délivrance des fiches d'état civil et à
alléger les justificatifs de domicile.
Vous contestez l'opportunité de ces mesures dont vous dénoncez les inconvénients, voire les
risques de fraude qu'elles pourraient engendrer.
Sachez que le fait de faciliter la vie quotidienne constitue une exigence permanente de l'action
du Gouvernement. C'est ainsi que M. Sapin a proposé des mesures de simplification
destinées à supprimer la délivrance de soixante millions de formulaires administratifs, alors
que sont dénoncés, souvent avec raison, l'excès des procédures, la compléxité des
formulaires, voire une certaine frénésie normative.
Ces mesures de simplification administrative postulent, bien évidemment, une relation de
confiance entre l'administration et les usagers, rompant ainsi avec la perception trop fréquente
d'une administration complexe et suspicieuse.
En effet, la philosophie des simplifications administratives décidées consiste à ne pas
considérer l'usager comme un fraudeur potentiel et donc, par suite, à ne pas soumettre
l'ensemble des usagers aux contrôles mis en oeuvre pour une minorité de fraudeurs.
Créées il y a près de cinquante ans, les fiches d'état civil sont délivrées aujourd'hui sur la
présentation de pièces justificatives, sans possibilité réelle en pratique pour les
administrations et les services municipaux, en particulier, de vérifier leur authenticité.
Autrement dit, la délivrance des fiches d'état civil n'a jamais empêché la fraude, d'autant moins
que la fiche d'état civil pouvait permettre l'authentification d'un faux par la délivrance d'une
pièce officielle !
Pour autant, rassurez-vous, un certain nombre de dispositions garantissent la sécurité du
nouveau dispositif, qui, je le précise, ne modifie pas le droit relatif à l'état des personnes et à
la nationalité.
Le décret portant simplifications administratives précisera que, en cas de doute sur la validité
des documents produits destinés à justifier de son identité, de sa nationalité ou de sa
situation familiale, les administrations pourront demander par écrit, de manière motivée, la
présentation de l'original.
Par ailleurs, il faut rappeler que les déclarations relatives à l'état civil, à la nationalité, ou au
domicile relèvent de la responsabilité individuelle et que toute fausse déclaration ou
falsification de document est passible de sanctions pénales. Ces sanctions peuvent aller de
six mois à un an d'emprisonnement et de 50 000 francs à 100 000 francs d'amende. Elles
peuvent être complétées par la privation des droits civiques, civils et familiaux. En cas
d'escroquerie, la peine encourue est de cinq ans d'emprisonnement et de 2 500 000 francs
d'amende.
Enfin, les décisions obtenues par fraude ne sont évidemment pas créatrices de droits, toute
fausse déclaration entraînera de surcroît la suspension pendant un an des procédures
engagées par l'usager.
Je vous précise que le projet de simplification du Gouvernement ne concerne pas les
procédures relatives à l'inscription sur les listes électorales, à la délivrance de pièces d'identité
et de séjour telles que la carte d'identité, le passeport, le titre de séjour, le livret de famille, les
actes d'état civil ni à l'immatriculation consulaire des Français à l'étranger. S'agissant plus
particulièrement de la déclaration de domicile, le projet du Gouvernement ne porte nullement
atteinte aux éléments de preuve du domicile, qui, selon les dispositions du code civil, « est au
lieu du principal établissement » déclaré par l'individu.
En cas de doute ou de litige, il appartiendra au juge, sur demande de l'administration, de
déterminer la réalité du domicile à partir d'un faisceau d'indices : la déclaration de l'intéressé,
certes, mais aussi le lieu de paiement des impôts ou encore l'inscription sur les listes
électorales.
Voilà, me semble-t-il, monsieur le sénateur, des mesures qui ne peuvent pas susciter les
craintes que vous avez exprimées. Pour le Gouvernement, elles s'inscrivent dans le cadre
d'une politique visant à placer l'usager au coeur de l'action de l'Etat.
M. Christian Demuynck. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Demuynck.
M. Christian Demuynck. En fait, monsieur le secrétaire d'Etat, votre confiance en nos
concitoyens est à plusieurs niveaux : pour s'inscrire sur les listes électorales, il faudra
présenter certains éléments de preuve, mais, pour bénéficier des avantages sociaux consentis
par les collectivités, ce ne sera pas nécessaire !
Aussi, vous ne m'avez pas du tout rassuré ! Pour ne prendre qu'un exemple - mais on pourrait
ouvrir un vaste débat sur le sujet - je suis très inquiet pour la prochaine rentrée scolaire.
Comment allez-vous gérer le problème des inscriptions dans les lycées et les collèges ? Pour
un lycée de 1 000 places, vous aurez 1 200 ou 1 300 inscrits ! Selon quels critères allez-vous
sélectionner les jeunes ?
Vous allez créer une énorme inégalité dans la mesure où des jeunes qui auraient dû entrer
dans tel lycée ne le pourront pas parce que des gens auront fraudé. Nous, maires, nous vivons
ce phénomène à toutes les rentrées scolaires : les parents essaient, et c'est tout à fait
compréhensible, de faire en sorte que leurs enfants aillent dans les meilleures écoles pour
qu'ils puissent ensuite suivre des études leur permettant d'avoir une carrière professionnelle
intéressante. Je ne vois donc pas comment vous allez régler ce problème ; les inspections
d'académie sont d'ailleurs, comme moi, très inquiètes à ce sujet.

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