Question de M. DARCOS Xavier (Dordogne - RPR-R) publiée le 08/02/2001

M. Xavier Darcos appelle l'attention de Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité sur la situation des médecins généralistes de Dordogne, réquisitionnés par arrêté préfectoral entré en vigueur pour la période du 23 décembre 2000 au 2 janvier dernier. D'une part, il s'étonne qu'il ait été fait usage à l'encontre de 120 médecins sur les 400 que compte ce département de mesures exceptionnelles résultant d'une loi du 11 juillet 1938 applicable en temps de guerre sans la moindre concertation préalable avec la profession qui l'avait pourtant réclamée ; d'autre part, il constate que la préfecture de la Dordogne, pour assurer la continuité du service public, a soumis ces praticiens à des conditions de travail inacceptables : 228 heures consécutives d'injonction de travail obligatoire pouvant mettre en danger la santé des médecins et la vie des patients. Dès lors, il lui demande de bien vouloir lui apporter des précisions sur les motifs qui ont pu conduire à ces conditions exceptionnelles de réquisition qui ne répondent aucunement aux pratiques utilisées dans les secteurs d'activité mettant en jeu la responsabilité ou la sécurité collective et de lui faire connaître les mesures qu'elle envisage de prendre pour réparer le préjudice subi par ces médecins. Par ailleurs, il souhaite connaître sa position sur l'opportunité d'apporter des modifications à la législation ou à la réglementation sur le droit de réquisition afin d'éviter que les abus, dont ont été victimes les médecins généralistes de la Dordogne, et par voie de conséquence la population, ne se reproduisent.

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Réponse du ministère : Économie solidaire publiée le 04/04/2001

Réponse apportée en séance publique le 03/04/2001

M. Xavier Darcos. Monsieur le secrétaire d'Etat, dans la semaine du 23 décembre au 2 janvier
derniers, le droit de réquisition a été utilisé à l'encontre de cent vingt des quatre cents
médecins généralistes que compte le département de la Dordogne.
Pour justifier sa décision, le préfet en exercice de ce département s'est fondé sur une loi du 11
juillet 1938 portant sur l'organisation générale de la nation en temps de guerre, sans la moindre
concertation préalable avec la profession, qui l'avait pourtant réclamée.
Les médecins périgourdins réquisitionnés ont été soumis à des conditions de travail
inacceptables, avec deux cent vingt-huit heures consécutives d'injonction de travail, ce qui a pu
mettre en danger non seulement leur santé, mais aussi la vie de leurs patients.
De telles pratiques sont en contradiction avec la politique du Gouvernement, qui oeuvre pour
l'allégement des rythmes de travail et défend le principe de précaution.
Pourriez-vous donc, monsieur le secrétaire d'Etat, me donner des explications sur les raisons
qui ont pu conduire à ces conditions exceptionnelles de réquisition, lesquelles ne
correspondent aucunement aux pratiques en usage dans les secteurs d'activité mettant en jeu
la responsabilité ou la sécurité collective ?
Quelles mesures envisagez-vous de prendre pour réparer le préjudice subi par ces médecins
réquisitionnés ?
Par ailleurs, je souhaiterais aborder un thème plus général, celui du maintien d'un service public
minimum en cas de grève dans les secteurs ou les entreprises remplissant une mission de
service public.
En 1997, une proposition de loi portant le numéro 451 avait été déposée sur le bureau du
Sénat. Elle visait à inviter les partenaires sociaux et les employeurs, au sein des services
publics, à négocier des accords sur la prévention des conflits. Le 3 février 1999, la commission
des affaires sociales du Sénat a examiné cette proposition de loi, par un rapport remarquable
de M. Huriet portant le numéro 194 et annexé au procès-verbal de la séance du jour, en
insistant sur les insuffisances du dialogue social en France. Ces observations confirmaient un
avis précédent, en date du 11 février 1998, adopté par le Conseil économique et social et qui
mettait opportunément l'accent sur la nécessité de développer des procédures de conciliation,
de médiation ou d'arbitrage dans les conflits du travail, car trop souvent ceux-ci sont traités à un
échelon inadéquat, et les conséquences en sont lourdes lorsque l'intérêt général est en cause.
Le Sénat, souvent précurseur dans les domaines de la vie économique et sociale ou de
l'éthique, avait suggéré que le service minimum soit envisagé comme une solution ultime dans
l'hypothèse d'un échec du dialogue social.
Si les propositions de la Haute Assemblée relatives à l'obligation de négociation avaient été
prises en considération, le conflit intéressant les médecins généralistes de Dordogne ne se
serat jamais déroulé dans les conditions inacceptables et périlleuses que je viens de rappeler.
Monsieur le secrétaire d'Etat, la France est, avec le Royaume-Uni, le seul pays de l'Union
européenne à ne pas avoir adopté des règles pour qu'il ne soit recouru à la grève qu'en cas
d'échec du dialogue social. Quelles mesures concrètes le Gouvernement envisage-t-il de
prendre pour relancer ce dialogue ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Guy Hascoët, secrétaire d'Etat à l'économie solidaire. Monsieur le sénateur, je répondrai
tout d'abord à la première partie de votre question, et j'en viendrai ensuite à la seconde, qui était
moins prévisible.
Vous avez souligné les difficultés ayant été engendrées par l'usage, que vous estimez abusif,
du droit de réquisition à l'encontre des médecins généralistes du département de la Dordogne
durant la période du 23 décembre 2000 au 2 janvier 2001.
D'une part, la loi du 11 juillet 1938, que vous avez évoquée, pose en son article 31 le principe de
l'obligation de déférer aux réquisitions de l'autorité publique, y compris en temps de paix, des
sanctions étant prévues en cas de refus. La loi susvisée demeure à ce jour le texte de
référence en matière de réquisition.
D'autre part, il ressort de l'examen détaillé des faits intervenus au cours de la période
concernée que le conseil départemental de l'ordre des médecins a, conformément à sa mission
de service public consistant à réglementer l'exercice de la profession, tenté, mais sans succès,
d'effectuer un recensement des médecins grévistes. Il a alors été procédé à réquisition par les
services de la DDASS, la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, sur le
fondement des dispositions précitées. C'est de propos délibéré que les réquisitions ont
concerné de nombreux praticiens sur l'ensemble de la période, afin que ceux-ci s'organisent
entre eux et que la charge effective pour chacun soit allégée. Dans un souci de concertation, la
DDASS a alors organisé, avec l'ensemble des syndicats médicaux, une réunion dont l'objet
était de proposer la levée partielle des réquisitions, sous réserve que le service minimum soit
assuré. Les syndicats ont refusé cette proposition, laquelle a néanmoins été mise en oeuvre.
Dans ces conditions, les services de l'Etat ont déployé le maximum d'efforts afin de concilier la
nécessité d'assurer la continuité de la prise en charge sanitaire de la population, laquelle
impliquait des réquisitions, et le principe de la liberté d'exercice.
Je crois qu'il s'agit de cas tout à fait exceptionnels et, pour élargir mon propos, puisque
vous-même l'avez fait, monsieur le sénateur, j'indiquerai qu'il faut hiérarchiser les situations.
Certes, il est évident que nous vivons dans un pays où nous devons, les uns et les autres,
travailler à enrichir le dialogue social et à dégager des consensus pour éviter de déboucher sur
des conflits. Cela étant, ne pas pouvoir prendre un train le matin est une chose, être gravement
malade et ne pouvoir trouver aucun médecin qui soit disponible dans un périmètre raisonnable
en est une autre.
Il faut donc, c'est une évidence, oeuvrer en faveur du dialogue social et respecter les libertés
fondamentales, notamment l'exercice du droit de grève, mais aussi, quand c'est nécessaire,
prendre les mesures qui s'imposent dans des situations d'exception.
Vous avez affirmé, monsieur le sénateur, que le nombre d'heures de travail fournies par les
médecins requis a mis en danger la santé des praticiens et celle des patients ; mais
croyez-vous que la situation aurait été meilleure si aucun médecin n'avait été disponible ? Pour
ma part, je crois que non.
M. Xavier Darcos. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Darcos.
M. Xavier Darcos. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, de votre réponse. Cela
étant, s'il est vrai que la situation était exceptionnelle, je persiste à penser qu'il est
contradictoire et inacceptable que l'on puisse réquisitionner les médecins alors que, lorsque le
service public est en grève, on ne peut réquisitionner personne.
Je pense qu'il y a deux poids deux mesures. Dans le cas d'espèce que j'ai cité, on a requis des
médecins tandis que, lorsque le service public se trouve désorganisé pour des motifs
dérisoires, égoïstes et reflétant des intérêts purement privés, le Gouvernement paraît
subitement muet. (M. About applaudit.)
M. Guy Hascoët, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Guy Hascoët, secrétaire d'Etat. Monsieur le sénateur, il est toujours aisé de dire que les
raisons qui conduisent telle ou telle catégorie de personnes à décider de se mettre en grève
sont dérisoires et égoïstes. Ceux qui liront les comptes rendus de nos débats apprécieront vos
propos. Pour ma part, j'estime que de tels commentaires peuvent amener à vouloir s'attaquer
progressivement au droit de grève lui-même. Nous avons sans doute, sur ce dossier, des points
de vue très différents.
M. Nicolas About. Les moyens d'aller travailler sont plus importants que la télévision ! Or, à la
télévision, un service minimum est organisé !

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