Question de Mme BEAUDEAU Marie-Claude (Val-d'Oise - CRC) publiée le 19/11/2002

Mme Marie-Claude Beaudeau attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur la situation et le devenir de la compagnie financière publique Eulia. Elle lui rappelle que cette holding regroupe, depuis sa constitution en décembre 2001, tout ou partie des activités financières, immobilières et assurantielles de la caisse des dépôts et consignations (CDC) et de la Caisse nationale des caisses d'épargne (CNCE) et qu'elle dispose de 17 milliards d'euros de fonds propres. Elle lui rappelle également que la loi assigne à ces deux institutions financières, donc à toutes leurs filiales, des missions de service public et d'intérêt général. Elle lui fait part de son inquiétude devant le développement par Eulia d'activités financières et spéculatives comme de partenariats avec des groupes financiers étrangers privés qui lui semblent contradictoires avec le respect de ces missions. Par ailleurs, elle a lu dans la presse à plusieurs reprises l'état de déclarations et de rumeurs quant à une privatisation au moins partielle de certaines composantes d'Eulia dont en particulier CDC-Ixis. Elle lui signale enfin que le président du directoire de la CNE vient d'afficher l'ambition de la CNCE de prendre le contrôle d'Eulia sachant qu'elle ne dispose aujourd'hui que de 49,9 % du capital, 50,1 % étant détenu par la CDC. Elle lui demande donc quelles sont les intentions du Gouvernement pour l'avenir d'Eulia et quelle stratégie il compte déployer pour assurer l'évolution de ses activités dans le cadre de ses missions d'intérêt général, par exemple comme socle d'un éventuel pôle public financier. A cette occasion, elle lui demande de lui confirmer la volonté du Gouvernement de préserver l'unité de la CDC.

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Réponse du Ministère délégué à l'industrie publiée le 15/01/2003

Réponse apportée en séance publique le 14/01/2003

Mme Marie-Claude Beaudeau. Madame la ministre, tout d'abord, je vous remercie de répondre ce matin à une question qui a été posée le 19 novembre dernier à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Voilà quelques jours, le 8 janvier, le nouveau directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, M. Francis Mayer, prêtait serment. Au moment où le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie finalise ce qui est appelé improprement « la feuille de route » du nouveau directeur général, ma question porte sur l'avenir de la compagnie financière Eulia.
Depuis 2001, Eulia regroupe les activités financières jugées « concurrentielles » de la Caisse des dépôts et consignations, et celles correspondantes de la Caisse nationale des caisses d'épargne. Avec 17 milliards d'euros de fonds propres, elle constitue l'équivalent de la troisième banque d'affaires française. Cette holding publique est détenue à 50,1 % par la Caisse des dépôts et consignations et à 49,9 % par les caisses d'épargne.
Depuis plusieurs mois, une intense et inquiétante campagne s'organise pour préconiser la privatisation d'Eulia et le désengagement de la Caisse des dépôts et consignations. La fondation Concorde recommande ainsi « un transfert rapide d'Eulia vers le privé », à l'instar de l'économiste Elie Cohen dans son article paru dans Libération le 5 décembre dernier et intitulé : « A quoi sert la Caisse des dépôts et consignations ? ». Plusieurs personnalités politiques de la majorité, notamment au Sénat, s'expriment dans le même sens : « On devrait recentrer la Caisse des dépôts et consignations sur ses missions d'intérêt général ».
Hier encore, dans Le Figaro, le président du directoire de la Caisse nationale des caisses d'épargne s'est affiché candidat à la prise de contrôle totale d'Eulia et multiplie les déclarations en ce sens.
Enfin, au coeur d'Eulia et de la Caisse des dépôts et consignations, c'est la filiale CDC-Ixis qui rassemble les activités financières « concurrentielles » de la Caisse des dépôts et consignations qui, bien entendu, est particulièrement en ligne de mire. Détenue à 53 % par Eulia et à 43,55 % directement par la Caisse des dépôts et consignations, sa privatisation rapporterait, selon certain experts, 3,5 milliards d'euros.
Or l'objectif du Gouvernement n'est-il pas de dégager des recettes nouvelles pour alimenter un budget à la dérive, à l'instar des annonces faites ces jours-ci par M. le ministre de l'équipement sur l'ouverture du capital des sociétés autoroutières ?
Madame la ministre, ces perspectives sont extrêmement préoccupantes. La privatisation et le démembrement au moins partiels de la Caisse des dépôts et consignations seraient lourds de conséquences. Vous savez bien que la loi assigne à l'ensemble de la Caisse des dépôts et consignations, donc à toutes ses filiales, des objectifs et missions de service public et d'intérêt général.
La séparation entre activités répondant à l'intérêt général et activités concurrentielles serait tout à fait arbitraire dans ce cadre. En effet, une éventuelle séparation d'Eulia et d'Ixis pénaliserait nécessairement les autres activités de la Caisse. Par ailleurs, elle ne manquerait pas, à terme, de créer les conditions pour une banalisation des produits d'épargne réglementés.
Enfin, n'oublions pas que le statut des personnels fonctionnaires d'Ixis de la Caisse nationale de prévoyance, - 1 700 salariés sont concernés - serait remis en cause, et ce de façon défavorable.
Face à ces conséquences prévisibles, je voudrais vous rappeler, madame la ministre, qu'Eulia et Ixis constituent toujours, malgré l'orientation vers la logique du privé qui leur est assignée en ce moment, un moyen d'intervention essentiel au service de l'Etat, la pièce maîtresse du pôle public financier au service de l'intérêt général.
Je suis persuadée que les bases de ce pôle existent encore et peuvent même se développer. N'oublions pas qu'Ixis gère l'épargne de La Poste, qu'Eulia développe des produits en direction des collectivités locales et que la Caisse des dépôts et consignations est toujours détentrice de 35 % du capital des caisses d'épargne.
Aussi, madame la ministre, je suis conduite à vous interroger sur les intentions du Gouvernement s'agisssant de l'avenir d'Eulia et de CDC-Ixis. Le Gouvernement s'engage-t-il à maintenir la Caisse des dépôts et consignations dans son intégralité et comment envisage-t-il d'articuler les rapports futurs entre la Caisse des dépôts et consignations et les autres institutions publiques financières ?
Enfin, madame la ministre, vous savez bien que la Caisse des dépôts et consignations est placée, depuis 1816, directement sous le contrôle, la « surveillance spéciale » du Parlement, notamment afin de protéger sa mission essentielle de sécurisation de l'épargne populaire.
Comptez-vous régler l'avenir de la Caisse des dépôts et consignations, en tout cas de deux de ses composantes essentielles, Eulia et Ixis, en passant outre ce mandat du Parlement ? Je ne saurais le penser.
Ne croyez-vous pas plutôt, comme le proposent les organisations syndicales - que nous soutenons - qu'un grand débat, parlementaire et national, s'impose à propos non seulement de la Caisse des dépôts et consignations, mais également de l'avenir de tout le secteur public et semi-public financier ?
Salariés, épargnants, donc presque tout le pays, sont concernés par votre réponse, madame la ministre.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie. Madame la sénatrice, un nouveau directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, M. Francis Mayer, a en effet été nommé le 18 décembre dernier en conseil des ministres. Il a prêté serment devant la commission de surveillance de l'institution le 8 janvier.
Le Gouvernement, en concertation avec le nouveau directeur général, définira les orientations de cette grande institution publique pour les prochaines années.
Notre objectif est avant tout de conforter le rôle de la Caisse des dépôts et consignations au service de la collectivité nationale. La Caisse des dépôts et consignations exerce en effet ses activités d'intérêt général dans des domaines prioritaires de l'action publique où ses moyens peuvent compléter utilement l'action de l'Etat. Je pense, notamment, à la gestion de fonds qui réclament une protection spécifique, les fonds d'épargne, sur lesquels le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a demandé une mission d'expertise dont les conclusions seront transmises dans le courant de ce mois. Je pense aussi à la gestion sous mandat de caisses de retraite publique, ou à des programmes d'intérêt général qui jouent un rôle majeur dans notre économie et dans notre société.
Ainsi, le rôle de cette institution en matière de renouvellement urbain ou de soutien aux petites et moyennes entreprises participe de cette mission publique que nous devons soutenir, tout en améliorant encore son efficacité.
Cette réflexion sur la clarification des priorités d'action de la Caisse et le renforcement de leur efficacité doit, bien sûr, également porter sur ses interventions dans le secteur concurrentiel. C'est ainsi que le Gouvernement va procéder à un examen au cas par cas de ces questions sans dogmatisme et dans le seul souci du développement des différentes entités concernées. Cette approche pragmatique et volontariste concerne naturellement la compagnie financière Eulia, comme elle concerne d'autres entités du groupe Caisse des dépôts et consignations.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre, mais je la trouve assez décevante : elle ne corrige nullement l'impression ressentie d'une mise à l'écart du Parlement dans cette évolution qui va conduire, je le répète, à la destruction d'un système qui a pourtant apporté la preuve de son efficacité dans un certain nombre de domaines.
Vous avez parlé du renouvellement urbain, mais vous n'avez pas abordé, parmi les missions d'intérêt général de la Caisse des dépôts et consignations, la question du logement social, qui est pourtant l'une des grandes missions qui lui ont été confiées pour compléter l'action de l'Etat. Je pense également à l'équipement des villes et villages de notre pays.
Tout ce que je sais, madame la ministre, je l'apprends - et c'est certainement le cas de nombre de mes collègues - par la presse. Trouvez-vous cela normal ?
Par ailleurs, des besoins nouveaux se font jour pour moderniser nos administrations et nos équipements. Par conséquent, remettre en cause le pôle public existant reviendrait, finalement, à contester cette modernisation nécessaire pour notre pays. Ce n'est pas le secteur privé, vous le savez bien, qui investira pour les missions d'intérêt général.
De telles orientations constituent une antithèse des déclarations du Président de la République et du Premier ministre, surtout à l'heure promise de la décentralisation.

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