Question de M. SOUVET Louis (Doubs - UMP) publiée le 17/12/2002

M. Louis Souvet attire l'attention de M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées sur l'évolution des effectifs infirmiers. La situation devient ingérable tant le manque de personnel est important, et à cela s'ajoute pour les départements frontaliers l'attrait des salaires plus élevés, notamment en Suisse. Il demande quel dispositif le Gouvernement entend mettre en place afin d'augmenter les effectifs infirmiers de façon conséquente.

- page 5921


Réponse du Ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées publiée le 05/02/2003

Réponse apportée en séance publique le 04/02/2003

M. le président. La parole est à M. Louis Souvet, auteur de la question n° 126, adressée à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
M. Louis Souvet. Monsieur le ministre, je veux d'abord vous dire ma gratitude, car vous avez pris la peine de vous déplacer pour me répondre.
Le problème que j'évoque est national. A des degrés divers, il nous concerne tous par ses répercussions sur l'offre et la qualité des soins dispensés dans nos hôpitaux. Il influe sur le climat général et sur la santé du personnel soignant. Il intéresse tous les élus siégeant dans les conseils d'administration des hôpitaux, qui sont, en effet, confrontés à la pénurie de personnels infirmiers, à ses conséquences pour les malades, mais aussi au surmenage des personnels.
Nous devons gérer une pénurie chronique qui aboutit parfois à la fermeture de lits, voire, dans des cas malheureusement de plus en plus nombreux, de services entiers. Il convient de prendre conscience de l'ampleur de ce problème, d'en prendre la parfaite mesure et d'y porter remède très rapidement. Les régions frontalières sont, plus que d'autres encore, soumises à ces carences en effectifs du fait de l'attrait salarial lié au différentiel de change ou, tout simplement, à des taux de rémunération plus élevés pour la même fonction. Cela est d'autant plus vrai quand l'hôpital étranger en question forme peu ou ne forme pas d'infirmières et se contente d'attirer celles dont nous assumons les frais de formation pendant trois ans.
Qu'il me soit permis de suggérer, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelques pistes de réflexion.
Il convient de fidéliser les personnels en formation avec un système que, un temps, l'éducation nationale avait mis au point avec les IPES, les instituts de préparation aux enseignements de second degré. Ce système permettait de salarier les étudiants, en contrepartie de quoi ces derniers s'engageaient, en cas de réussite au concours, à exercer comme enseignants pendant une durée contractuelle et étaient tenus, s'ils ne respectaient pas leur engagement, de rembourser le coût des études.
Le procédé aurait un premier avantage : il permettrait à des jeunes, issus de familles modestes, de faire des études utiles, c'est-à-dire débouchant sur des emplois véritables qui font cruellement défaut à la nation. La rémunération qui leur serait versée libérerait le budget familial du coût des études, en même temps que des frais d'internat ou de voyage, car les IFSI, les instituts de formation en soins infirmiers, en général proches des villes ou des hôpitaux, sont bien répartis.
La ville dont je suis le maire a mis au point une bourse pour soutenir les projets présentés par les jeunes créateurs. Deux jeunes filles de quartiers difficiles ont par ailleurs postulé pour faire des études d'infirmières, études que nous avons prises en charge financièrement. Dans les deux cas, ce fut un succès : ces deux jeunes filles n'auraient pu accéder à cet emploi sans l'aide de la ville, et l'hôpital se félicite de leur recrutement.
L'ampleur du problème dépasse cependant la compétence et les possibilités financières de nos villes.
A ce stade de mon propos, je souhaite, monsieur le ministre, signaler ce que je considère comme une incohérence de notre système.
Si nous manquons cruellement d'infirmières, nous sommes, au même titre, dépourvus de personnel soignant, personnel dont l'activité n'est pas moins utile au fonctionnement de nos hôpitaux, mais nous ne faisons rien pour encourager les vocations.
La formation des infirmières est gratuite et dure trois ans. Celle des aides-soignantes, qui ne dure qu'une année, coûte, elle, 3 516 euros ! Je n'ai pas besoin d'aller plus avant pour me faire comprendre, d'autant que les aides-soignantes sont souvent issues d'un milieu moins favorisé que les infirmières. Pourquoi ? Parce que les unes, même à quarante-cinq ans, ont le statut d'étudiante, alors que les autres ne l'ont pas. Je trouve cela très injuste !
Le problème que j'évoque est très grave. A terme, si rien n'est fait pour inverser la tendance, c'est le fonctionnement global des centres hospitaliers qui sera affecté, avec des fermetures de lits voire de services entiers à la clé, et les blocs opératoires pourront subir le même sort si la tension sur le marché du travail subsiste.
Pourquoi nier que, depuis l'apparition des 35 heures, c'est déjà le cas dans notre hôpital de Belfort-Montbéliard ? Dans certains services, le personnel infirmier ne récupère pas les heures supplémentaires et les congés légaux restent en partie à prendre parce que l'hôpital ne peut assurer les remplacements.
En amont, des campagnes de promotion devront être lancées par les pouvoirs publics afin de susciter des vocations pour ce métier, ô combien difficile, mais valorisant par le service qui est rendu chaque jour à tous les patients, tant en ville qu'en secteur hospitalier. Pourraient être à cette occasion mis en valeur le goût des responsabilités, les contacts avec les patients mais également la diversité des interventions, l'évolution des techniques et la beauté du geste. Qu'y a-t-il de plus noble, en effet, que de soigner son prochain, d'apaiser sa douleur physique ?
Je connais, et je salue, monsieur le ministre, les objectifs qui sont les vôtres, à savoir, notamment, le développement d'une véritable culture de la prévention, l'excellence des soins à l'hôpital et en ville.
Dès cette année, un train de mesures est prévu pour atteindre ces objectifs, train de mesures panachant actions de soutien et mesures d'économie.
Mon intervention, monsieur le ministre, s'inscrit davantage dans la logique des actions de soutien, mais je suis persuadé qu'à terme les moyens développés à l'échelon des personnels infirmiers engendreront des économies, via une réponse mieux adaptée aux besoins de la population.
Monsieur le ministre, je vous remercie par avance de m'apporter, ainsi qu'à tous mes collègues, puisque chacun de nous est confronté à des problèmes identiques, une réponse concrète tout autant que pratique.
J'ajoute, monsieur le ministre, que la Franche-Comté souffre cruellement de l'absence d'un directeur à la tête de l'agence régionale de l'hospitalisation. Bien évidemment, un cadre qualifié assure l'intérim, et ses qualités ne sont pas mises en cause, mais il convient de clarifier rapidement sa situation dans l'intérêt des hôpitaux de Franche-Comté, et notamment de celui dont je préside le conseil d'administration.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Monsieur le sénateur, vous abordez un des dossiers difficiles que le ministère de la santé doit traiter.
En effet, la démographie des personnels soignants, en particulier celle des infirmières, est d'ores et déjà déficitaire. De surcroît, les décisions prises aujourd'hui n'auront d'effet qu'au terme du délai de formation, soit trente mois pour les infirmières.
C'est pourquoi j'ai choisi de diversifier les actions en ce domaine.
Premièrement, le déficit déjà ressenti sera limité par le biais de l'assouplissement des modalités de mise en oeuvre des 35 heures, à travers la bonification du compte épargne-temps ou le paiement partiel des jours non pris et non épargnés.
Deuxièmement, afin d'inciter à la reprise d'emploi, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 prévoit la possibilité du cumul d'une pension et d'un salaire d'activité. Nous travaillons actuellement au décret d'application de l'article qui permettra d'inciter les jeunes retraités à reprendre un emploi.
Troisièmement, nous poursuivrons notre politique d'intégration des infirmières européennes. Depuis l'an dernier, le ministère conduit ainsi une politique d'intégration d'infirmières originaires de l'Union européenne, en collaboration avec les fédérations d'établissements, à savoir la Fédération hospitalière de France, la FHF, la fonction hospitalière publique, la FHP, la Fédération des établissements hospitaliers de l'assistance publique, la FEHAP, et la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer, la FNCLCC.
Quatrièmement, nous nous attachons à accélérer la mise en oeuvre de la validation des acquis et à conforter la promotion professionnelle. Ces deux actions visent à faciliter l'accès à la profession infirmière de professionnelles aguerries, mais aussi à raccourcir la durée des études en reconnaissant comme validée une partie du parcours de formation.
Cinquièmement, les quotas infirmiers sont relevés. Le relèvement des quotas à l'entrée des écoles d'infirmières est une nécessité. Ses effets n'interviendront cependant que dans trois ans. Ainsi, l'augmentation du quota décidée en 2000 se concrétisera cette année seulement. Dès l'an prochain, le nombre des étudiants sera porté à 30 000 environ. Nous étudions en ce moment à la fois la répartition géographique et les conséquences financières de cette augmentation, afin d'attribuer aux instituts de formation les moyens adaptés.
Enfin, monsieur le sénateur, vous évoquez la fuite des infirmières vers d'autres pays européens - la Suisse dans le cas de votre département - où les rémunérations sont plus élevées. La réponse à ce problème est complexe : la libre circulation des biens et des personnes au sein de l'espace européen devra s'accompagner d'une réflexion sur une adaptation de notre réglementation nationale, et c'est avec raison que vous évoquez la possibilité d'un contrat d'engagement à servir ou d'un rachat de contrat lorsqu'une aide aura été accordée au cours des études de manière à limiter les effets que vous dénoncez.
Enfin, j'entends vous rassurer : le directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation de Franche-Comté sera nommé lors d'un tout prochain conseil des ministres.
M. le président. La parole est à M. Louis Souvet.
M. Louis Souvet. Monsieur le ministre, les Francs-Comtois seront sensibles à l'excellente nouvelle que vous nous annoncez : nous aurons bientôt, nous aussi, un directeur de l'ARH, et j'en suis très satisfait.
Je formulerai trois observations et je reviendrai sur une question à laquelle vous n'avez pas répondu.
S'agissant de la mise en oeuvre des 35 heures, vous autorisez, et c'est fort bien, le paiement partiel des jours de congé non pris, mais la fatigue, mais l'énervement, mais la qualité des soins, tout cela disparaît ! Vous le savez bien, ce n'est pas en mettant de l'argent sur la table - même si, bien sûr, personne ne le refuse - que nous traiterons le problème !
Quant à la libre circulation des personnes et des biens, si la Suisse est en Europe, elle ne fait pas partie de l'Union européenne, ce qui rend le problème beaucoup plus difficile dans mon département qu'ailleurs.
Pour ce qui est de l'intégration d'infirmières européennes, un essai a déjà été réalisé et je crois, monsieur le ministre, que l'on peut parler de complet ratage. Je ne sais pas si nous arriverons un jour à un résultat, mais, en tout cas, les Espagnoles que nous avions fait venir à Nancy sont vite reparties chez elles ! Vous avez peut-être, comme moi, vu des reportages, et nous avons tous eu des contacts avec les nombreux responsables de l'expérience : force est de constater que ce fut un échec !
Enfin, je tiens beaucoup à savoir, et vous me pardonnerez d'insister, pourquoi les études d'auxiliaires de soins sont payantes alors que les études d'infirmières sont gratuites. C'est une anomalie.
Les auxiliaires de soins sont, elles aussi, indispensables. De surcroît, elles sont généralement issues de milieux plus défavorisés que les infirmières, et il est d'autant plus anormal qu'elles soient obligées de payer leurs études. Nous devons tous nous attacher à remédier à cette injustice que je vous serais reconnaissant, monsieur le ministre, de prendre en considération.

- page 552

Page mise à jour le