Question de M. PELLETIER Jacques (Aisne - RDSE) publiée le 21/03/2003

Question posée en séance publique le 20/03/2003

M. Jacques Pelletier. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce 20 mars restera pour nous tous un jour très sombre, celui de la guerre, une nouvelle guerre, et je crois que mes collègues du Nord et de l'Est, plus encore que les autres, peut-être, qui ont connu tant de ravages guerriers, sont totalement allergiques au concept de la guerre. J'habite à huit kilomètres du Chemin des Dames et mon village a été rasé à plusieurs reprises au cours du dernier siècle.

L'un de mes illustres prédécesseurs, qui siégeait sur les travées de mon groupe, Clemenceau, disait qu'« il est plus facile de faire la guerre que la paix ». La guerre, nous l'avons, hélas ! mais nous devons préparer la paix.

Tout au long de la crise, la France a fait valoir qu'elle n'était mue ni par l'antiaméricanisme ni par le pacifisme. Si elle s'est opposée, à Washington, au déclenchement de la guerre, c'est pour préserver la légalité internationale, car seul le Conseil de sécurité des Nations unies était habilité à décider d'une guerre.

La France doit persévérer dans cette voie de l'apaisement, de la conciliation et de l'union.

L'obstination des Etats-Unis à faire rendre gorge à un régime exsangue s'est ainsi heurtée à la détermination de la France à empêcher la guerre. L'écho formidable reçu par les partisans de la paix partout dans le monde a été remarquable ces dernières semaines.

Notre objectif - faire pièce à l'unilatéralisme, favoriser l'émergence d'une voix européenne indépendante et restaurer le primat du Conseil de sécurité de l'ONU - est malgré tout atteint : nous vous en savons gré, monsieur le ministre.

Le partenariat bâti après le 11 septembre 2001 est toujours indispensable, comme l'est le lien transatlantique.

Mes chers collègues, monsieur le ministre, certains ont pu s'égarer récemment, emportés par leurs convictions sur la voie d'inutiles polémiques ; nombreux sont ceux qu'indigne la technique du bouc émissaire appliquée à notre pays, à son président et à ses citoyens.

Après l'échec de la diplomatie, le camp du dialogue et de la tolérance tentera, je le souhaite, de faire taire ces querelles, de reprendre place sur la scène proche-orientale et de réparer les dégâts en Europe.

Monsieur le ministre, une Europe déchirée, un Kurdistan menacé, une probable catastrophe humanitaire, une instance internationale malmenée, nous conduisent à nous imposer plus encore dans le jeu international.

Il est nécessaire que nos alliés américains et britanniques fassent appel aux Nations unies pour gérer l'après-crise et l'après-guerre en Irak. Le président Bush a déclaré son intention d'obtenir, dès que possible, une nouvelle résolution de fond encadrant la sortie de la crise. Cela me semble être un premier signe encourageant.

Pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre des affaires étrangères, comment la France inscrira dans ce cadre précis, celui de la responsabilité collective, son action future dans un esprit d'unité et de respect ?

- page 1987


Réponse du Ministère des affaires étrangères publiée le 21/03/2003

Réponse apportée en séance publique le 20/03/2003

M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est avec beaucoup d'émotion que je prends la parole devant vous, au moment où s'engagent les premières opérations militaires en Irak.

Sans relâche, tout au long des derniers mois, la France a oeuvré avec tous ses partenaires, avec l'immense majorité de la communauté internationale, avec le soutien et l'espoir des peuples du monde, pour que le désarmement pacifique réussisse en Irak, pour que la responsabilité collective guide notre action, pour que le droit l'emporte sur la force.

C'est pourquoi la France, comme l'a dit ce matin le Président de la République, regrette cette action. Nous la regrettons parce qu'elle ne bénéficie pas de l'aval des Nations unies. Nous la regrettons parce qu'une autre voie était possible.

La volonté de la majorité des membres du Conseil de sécurité était de poursuivre les inspections, qui donnaient des résultats. Elle n'a pas été entendue.

La France veut rappeler sa conviction : la guerre n'est pas la solution. Nous savons qu'elle aggravera les difficultés d'une région déjà fragile. Nous craignons qu'elle n'avive le sentiment d'injustice. L'emploi de la force ne saurait être qu'un dernier recours.

Alors, faut-il se résigner ? La France ne peut accepter une quelconque fatalité, la France ne peut se résoudre à la division de la communauté internationale. Face aux menaces du terrorisme, de la prolifération, des crises régionales, l'unité doit constituer notre premier objectif. C'est cette exigence que nous avons défendue hier, à New York, avec nos partenaires russe, allemand, chinois, lors de la réunion ministérielle du Conseil de sécurité. Ensemble, nous avons réaffirmé notre confiance dans les Nations unies : ici comme ailleurs, aujourd'hui comme demain, elles auront un rôle central à jouer.

L'heure est à la responsabilité. La France, par la voix du Président de la République, a proposé une réunion des chefs d'Etat et de gouvernement du Conseil de sécurité. C'est notre responsabilité collective ; nous devons l'assumer. Faisons face à l'urgence.

Le premier défi à relever - vous l'avez tous dit - est celui de l'humanitaire. Nous appelons chacun à tout mettre en oeuvre pour que les vies humaines soient épargnées. Nous devons prendre en compte les souffrances des populations civiles, de toutes les victimes, personnes réfugiées ou déplacées. Et nous espérons que la guerre sera limitée et brève.

Nous saluons la mobilisation, par le Secrétaire général, des agences humanitaires concernées : Programme alimentaire mondial, Haut Commissariat aux réfugiés, UNICEF, Organisation mondiale de la santé, notamment. Nous souhaitons que le Secrétaire général présente, en outre, des propositions afin que le programme « pétrole contre nourriture », institué par la résolution 986, puisse reprendre au plus vite, avec les ajustements nécessaires, sous l'autorité du Conseil de sécurité.

La France entend prendre toute sa place dans cette action internationale. En liaison avec les pays d'accueil et en coordination avec les agences des Nations unies, en particulier aux frontières de l'Irak, où plusieurs centaines de milliers de réfugiés pourraient se trouver rapidement dans une situation de détresse.

Nous souhaitons aussi que cette mobilisation se fasse en étroite liaison avec l'Union européenne, qui doit participer résolument à la mise en place d'une assistance humanitaire d'urgence. Les chefs d'Etat et de gouvernement auront l'occasion d'examiner cette question dès ce soir, au Conseil européen.

Le deuxième défi est celui de l'avenir politique et économique de l'Irak. Seules les Nations unies ont la légitimité pour mener à bien la reconstruction au nom de la communauté internationale, dans le souci de l'unité, de l'intégrité et de la souveraineté de ce pays. Le destin de l'Irak ne peut appartenir qu'aux Irakiens eux-mêmes.

Le troisième défi est celui de la stabilité de la région. Nous devons éviter que ne se creuse davantage le fossé entre les cultures et entre les sociétés. La force ne saurait être le principal moyen de règlement des crises.

Chacun voit bien qu'au Proche-Orient notre devoir collectif est d'éviter l'engrenage de la haine, de l'intolérance et de la violence. Il est urgent de se mobiliser, dans un esprit de respect et de dialogue. Il est urgent d'ouvrir une nouvelle perspective politique pour répondre à l'attente de sécurité du peuple israélien et aux besoins de justice du peuple palestinien.

A cette condition seulement, nous romprons la spirale du ressentiment et de l'affrontement. Nous voulons rendre publique la feuille de route du Quartet. Plus que jamais la proposition française d'une conférence internationale pour le Proche-Orient est d'actualité.

Parallèlement, les Nations unies doivent reprendre l'initiative sur l'ensemble des autres crises. Il faut faire preuve de lucidité, de détermination, de sang-froid.

S'agissant du terrorisme, nous devons mesurer l'ampleur de la menace, la multiplicité des réseaux, la pluralité des facteurs et des foyers de crise qui le nourrissent. La coordination politique, policière, judiciaire dans le domaine du renseignement est plus que jamais nécessaire.

S'agissant de la prolifération, la Corée du Nord vient chaque jour nous rappeler l'urgence de développer une approche globale. Il convient de mettre au point, ou de renforcer, dans le cadre des Nations unies, les outils indispensables à la lutte contre cette menace. Dans cet esprit, la France a proposé une réunion, au niveau des chefs d'Etat, en marge de la prochaine Assemblée générale. Elle a aussi proposé la création d'un corps international du désarmement pour tirer pleinement profit de l'expérience acquise par les inspecteurs en Irak.

S'agissant du développement et de la solidarité, qui, vous le savez, sont une priorité de la France, à Monterrey comme à Kananaskis et à Johannesburg, le Président de la République n'a cessé de plaider pour que les pays du Nord assument toutes leurs responsabilités vis-à-vis du Sud. Ce sera encore l'enjeu majeur du sommet d'Evian.

Face à cette crise, l'Europe a montré ses divisions, mais elle reste au coeur de notre vision et de notre ambition pour le monde. L'Europe doit se ressaisir, et le Conseil européen qui débute cet après-midi à Bruxelles offre l'occasion de réaffirmer les principes et les valeurs qui nous unissent. Partout l'Europe doit être en mesure d'assumer ses responsabilités, qu'il s'agisse de la politique étrangère et de sécurité commune, qu'il s'agisse de la politique de défense. Tous les membres du Gouvernement sont mobilisés, comme l'a demandé le Premier ministre à Matignon, ce matin.

Alors même que nous abordons la mise en place de l'élargissement, nous devons être en mesure de défendre l'identité européenne.

Soyez assurés que le Gouvernement est pleinement engagé, sous l'autorité du Président de la République, pour assurer la sécurité de nos ressortissants, en France et à l'étranger. Je travaille en étroite concertation avec mes collègues du ministère de la défense et de l'intérieur, Mme Michèle Alliot-Marie et M. Nicolas Sarkozy.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, sachez que le Gouvernement reste à votre écoute, disponible pour vous informer et répondre aux questions de la représentation nationale.

Face à cette épreuve pour la communauté internationale, je veux vous dire la mobilisation de la France, de tous ses responsables. Je veux vous dire aussi ma fierté de la nation rassemblée, fidèle à une vision exigeante du monde, inspirée par les principes qui sont les siens : le respect du droit, la liberté et la justice, le dialogue et la tolérance. Jamais les peuples du monde n'ont aspiré avec tant de force à de tels idéaux. C'est notre vocation de les défendre, c'est notre responsabilité de les mettre en oeuvre.

- page 1988

Page mise à jour le