Question de M. CHARASSE Michel (Puy-de-Dôme - SOC) publiée le 12/06/2003

M. Michel Charasse rappelle à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, que le concept juridique de trust, né dans le droit médiéval anglais, connaît, depuis quelques dizaines d'années, une renaissance dans les milieux financiers internationaux où il est devenu l'un des instruments privilégiés de la gestion des patrimoines personnels ou industriels. Né dans la loi coutumière (common law) et solidement ancré dans cette culture, dominante dans le Commonwealth et aux Etats-Unis, le trust n'a pas été introduit dans notre droit, en raison probablement de sa nature trinaire qui le distingue radicalement des structures binaires familières au raisonnement juridique civiliste. Toutefois, il existe de multiples occasions, pour le droit français, de rencontrer et de gérer certains aspects, notamment fiscaux, du trust anglo-saxon lorsqu'il pénètre, dans des cas d'espèce, sur l'aire d'application de notre droit. Les auxiliaires de justice sont de plus en plus fréquemment en contact avec le trust, en qualité d'avocat ou d'expert trustal, d'arbitre, de trust protector, voire de trustee. Le droit français interdit la fonction de trustee aux auxiliaires de justice, qui ne sont pas autorisés à gérer les valeurs in trust (patrimoine actif du trust). D'autres obscurités règnent sur les autres fonctions en cause, en particulier sur celle de trust protector. Aussi conviendrait-il de savoir si un avocat membre d'un barreau français peut accepter la fonction de trust protector, dès lors qu'à ce titre le professionnel aurait pour seule mission aux termes des " statuts "du trust (trust deed) d'émettre des avis juridiques. Si la réponse est affirmative, il conviendrait de préciser si l'avocat français trust protector doit être soumis, à tous égards, à l'ensemble des normes réglementaires ou ordinales qui le régissent et spécialement : 1) celle qui lui fait l'obligation de souscrire, antérieurement à l'acceptation du mandat, une police d'assurance couvrant raisonnablement le risque encouru ; 2) celle dont découle, pour lui, le droit, en cas d'empêchement par lui constaté, et d'impossibilité pratique de trouver un suppléant volontaire, de voir désigner ce suppléant par son bâtonnier sous le contrôle du procureur général compétent. La multiplication des " formules " juridiques fantaisistes offertes par le marché fiduciaire à une clientèle trop souvent ignorante et crédule, offres utilisant parfois, fallacieusement, le lexique et les appellations du droit trustal anglais ou américain (Etat de New York) ouvre largement la porte à des abus, notamment à des escroqueries ou des abus de confiance pouvant avoir de graves conséquences, même au niveau de l'économie et de la Bourse. Il lui demande donc de bien vouloir se prononcer sur ces divers points.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 18/12/2003

Le garde des sceaux, ministre de la justice, fait connaître à l'honorable parlementaire que le terme trust, tel que défini par la convention de La Haye du 1er juillet 1985, sur les lois relatives aux trusts et la reconnaissance internationale des trusts, vise les relations juridiques créées par une personne, le constituant, qui place un actif sous le contrôle (et la propriété légale) d'un gestionnaire (trustee), dans l'intérêt d'un bénéficiaire ou dans un but déterminé. Le constituant se dessaisit de la propriété du bien au profit de deux personnes ayant des droits différents : le trustee et le bénéficiaire. Contrairement à la fiducie qui est une convention, le trust relève davantage du droit des biens. Par ailleurs, la loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990 a créé une nouvelle profession d'avocat, libérale et indépendante, dont les membres exercent l'ensemble des fonctions antérieurement dévolues aux professions d'avocat et de conseil juridique, dans les conditions prévues par le titre 1er de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971. La profession est soumise à un régime strict d'incompatibilités prévues par les dispositions des articles 111 à 123 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991. Elle est en principe incompatible avec l'exercice de toute autre profession mais aussi avec les activités de caractère commercial, qu'elles soient exercées directement ou par personnes, interposées. Le Conseil national des barreaux qui est chargé de veiller à l'harmonisation des règles et usages de la professions d'avocat a décrit le champ d'activité professionnelle de l'avocat dans l'article 6 du règlement intérieur harmonisé des barreaux de France. Il est notamment " habilité à fournir à ses clients toute prestation de conseil et d'assistance ayant pour objet, à titre principal ou accessoire, la mise en oeuvre des règles, la rédaction d'actes, la négociation et la pratiques des relations contractuelles. (...) Il est habilité à exercer toutes fonctions dans le cadre d'une fiducie, sous réserve de veiller au respect du droit applicable à l'opération ". Le trust est une institution ancienne, typiquement anglo-saxonne, que l'on trouve dans les pays de common law, mais qui n'a pas d'existence légale en droit français. Il n'y a donc pas d'interdiction formelle, pour les avocats, d'être désignés en qualité de fiduciaire (ou de trustee), en application d'un droit étranger, dès lors qu'elle n'implique pas l'exercice d'activités qui leur sont interdites. Cette règle semble applicable a fortiori pour un professionnel exerçant la fonction de trust protector, dès lors que sa mission se limiterait à la délivrance de consultation juridique. S'agissant des activités incompatibles en France mais autorisées à l'étranger et notamment au Royaume-Uni, elles se voient appliquer la règle du traitement national. Par application de l'article 6-3 de la directive 98/5/CE du 16 février 1998, visant à faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat dans un Etat membre autre que celui où la qualification a été acquise, l'obligation d'assurance imposée à l'avocat exerçant sous son titre d'origine doit être définie " selon les règles que l'Etat membre d'accueil fixe pour les activités professionnelles exercées sur son territoire ". Elles peuvent donc justifier l'exigence d'un complément d'assurance, la directive permettant que des garanties complémentaires soient imposées pour des activités non couvertes en France. En vertu du même principe (cf. article 6-1 de la directive 98/5/CE), les règles relatives à la suppléance d'un avocat temporairement empêché, prévues aux articles 170 et suivants du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ne semblent pas applicables pour ce type d'activités exercées à l'étranger. Les trusts et la fiducie sont des instruments juridiques permettant une opacité certaine et sont donc parfois liées à des opérations de blanchiment, ce qui doit inciter les auxiliaires de justice français, en contact avec ce type d'institution, à une grande prudence.

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