Question de Mme BEAUDEAU Marie-Claude (Val-d'Oise - CRC) publiée le 02/10/2003

Mme Marie-Claude Beaudeau attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur le projet, rendu public début juillet 2003, de cession des filiales Eulia et Ixis, rassemblant les activités bancaires et financières dites " concurrentielles " de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) à la Caisse nationale des caisses d'épargne (CNCE). Ce projet, conçu dans la plus grande opacité et aux contours toujours flous, conduirait d'ici la mi-2004 à la privatisation pure et simple de l'une des dernières grandes institutions publiques de crédit. Elle lui fait observer les conséquences extrêmement lourdes de cette opération, hors de proportion avec les 600 millions de plus-value qui reviendraient à la CDC et seraient susceptibles d'être reversés sous forme de dividende exceptionnel au budget de l'Etat. La pérennité des activités d'Eulia et Ixis est remise en question. Cette privatisation priverait l'Etat et la collectivité de moyens considérables, 17 milliards de fonds propres, et entraînerait une déperdition de compétences publiques uniques dans les professions financières. Elle serait également de nature à dèstabiliser toutes les autres missions publiques du CDC, mais également le Crédit foncier, la Caisse nationale de prévoyance, voire les services financiers de La Poste. Pour les caisses d'épargne, elle aboutirait à la banalisation définitive de leurs activités dans le cadre d'un " nouveau grand pôle bancaire français ". Un nouveau coup serait porté entre autres à la collecte du livret A et au financement du logement social. Enfin, cette opération porte à court terme de graves menaces pour les 5 000 personnels d'Eulia-Ixis, fonctionnaires ou non. Elle lui fait remarquer que le projet rencontre leur opposition quasi générale comme celle de leurs organisations syndicales, ainsi que de nombreuses associations et d'élus de plusieurs tendances. Elle s'étonne qu'il ait donné publiquement, le 23 juillet dernier, son aval à cette opération, et lui rappelle que la CDC est directement placée sous la tutelle du Parlement. Aussi, elle lui demande de quelle façon il compte à l'avenir respecter les prérogatives de l'autorité législative, pour l'instant tenues à l'écart du dossier dont elle apprend les évolutions par la presse. Elle lui demande également de lui faire connaître l'ensemble du projet, notamment concernant l'avenir des personnels de chaque filiale d'Ixis et de l'activité de conservation de titres. Elle lui demande encore s'il est dans les intentions du Gouvernement de modifier la loi qui assigne à la CDC et à l'ensemble de ces filiales une mission de service public et d'intérêt général. Enfin, elle lui demande s'il ne considère pas, comme elle-même, qu'il va dans l'intérêt de la nation de préserver l'unité du groupe CDC, d'assurer son évolution dans le cadre de ses missions d'intérêt général et de constituer à partir de la CDC un pôle public financier.

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Réponse du Ministère de l'écologie et du développement durable publiée le 08/10/2003

Réponse apportée en séance publique le 07/10/2003

Mme Marie-Claude Beaudeau. Madame la ministre, j'estime nécessaire de rappeler que la Caisse des dépôts et consignations, la CDC, est placée depuis sa fondation, en 1816, sous la « surveillance spéciale » du Parlement, selon les termes de la loi.

Or tout semble pourtant fait pour tenir celui-ci à l'écart d'un projet aussi lourd de conséquences pour la nation que la cession - c'est-à-dire, en fait, la privatisation - des filiales Eulia et Ixis de la CDC à la Caisse nationale des caisses d'épargne, la CNCE.

M. Mayer, directeur général de la CDC, s'est permis d'éluder totalement la question devant la commission des finances du Sénat, qui l'auditionnait le 2 juillet dernier, avant de rendre public le projet le lendemain même !

Dois-je interpréter l'absence, ce matin, de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, qui vient d'ailleurs d'apporter par presse interposée sa bénédiction à la convention passée entre la CDC et la CNCE sans aucune consultation du Parlement, comme relevant du même mépris des prérogatives de l'autorité législative ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable. Mais non ! Il est à Bruxelles !

Mme Marie-Claude Beaudeau. M. Mayer se prévaut déjà, pour sa part, d'un engagement du Gouvernement à « introduire une disposition législative, si nécessaire » pour que des centaines de fonctionnaires de la CDC puissent être mis au service de la future banque privée, la Caisse nationale des caisses d'épargne.

Le projet que MM. Mayer et Milhaud, président du directoire de la CNCE, tentent de faire passer en force se situe à l'exact opposé des missions d'intérêt général que la loi assigne à l'ensemble du groupe CDC. Sa mise en oeuvre porterait un coup grave, sans doute irrémédiable, à la CDC, à l'ensemble du secteur public du crédit, à la nation tout entière, en amputant l'Etat de son bras armé.

La constitution d'Eulia, en 2001, a bien préparé le terrain, comme je l'avais dénoncé à l'époque. La future CNCE, avec ses 18 milliards d'euros de fonds propres issus d'Eulia et d'Ixis, sera une banque totalement privée, banalisée, ignorant tout critère d'intérêt public.

Le montage financier retenu, très complexe, comprenant notamment la recapitalisation à hauteur de 6 milliards d'euros de la CNCE par la CDC, ne laisse à celle-ci qu'une plus-value finale de 400 millions d'euros, aussitôt engloutis sous forme de dividende extraordinaire par le déficit budgétaire de l'Etat.

Dix-huit milliards d'euros de fonds propres détournés d'un côté, 400 millions d'euros récupérés de l'autre : il s'agit bien d'une spoliation de la nation.

Ces 400 millions d'euros sont aussi à comparer aux 20 milliards d'euros que la CDC a rapportés à l'Etat depuis six ans. L'apport ne sera plus le même dans l'avenir : la privatisation de ses filiales concurrentielles ouvre en effet la voie au démantèlement de toute la CDC.

Peut-on imaginer une Caisse des dépôts et consignations sans dépositaire ? C'est pourtant bien ce que le Gouvernement programme avec la privatisation et la filialisation de CDC-dépositaire, qui conserve actuellement 575 milliards d'euros de titres. Cette opération va ainsi priver la CDC elle-même, mais aussi l'Etat, La Poste et tous ses autres clients principaux d'un instrument financier public essentiel.

En outre, qui va conserver et gérer les titres des fonds de retraite et des fonds d'épargne publics confiés à la CDC après la privatisaion d'Ixis ? Sera-ce le secteur privé ? Où est la logique de ces choix, madame la ministre ?

Par ailleurs, la perte de près de la moitié des activités des services communs de la CDC menace de déséquilibrer tout le reste du groupe. Ainsi, l'avenir de la filiale informatique du groupe ICDC, détenue à 60 % par Ixis, est particulièrement incertain.

Toutes les missions d'intérêt général de la CDC vont être touchées et rendues tributaires du secteur privé, aussi bien la gestion des caisses de retraite que le financement du logement social. Sur ce point, l'opération aboutira à détourner un peu plus les caisses d'épargne de la collecte de fonds au titre du livret A et à pousser à la banalisation de celui-ci. La baisse du taux décidée à la fin de juillet a déjà provoqué, au mois d'août, une décollecte à hauteur de 667 millions d'euros.

Madame la ministre, le véritable objectif visé au travers de la cession d'Eulia et d'Ixis est en fait de constituer un nouveau champion de la finance à partir de fonds publics, pour mieux draîner l'épargne des Français vers les marchés. Cette opération risque d'achever de déstabiliser les dernières institutions financières publiques, notamment le Crédit foncier et la Caisse nationale de prévoyance mais aussi les services financiers de La Poste, qui, isolés, seront privés de toute possibilité de partenariat financier public. Enfin, la CNCE elle-même, et ce en contradiction avec la loi de 1999, sera définitivement orientée vers le privé.

Le dernier point, mais non le moindre, que j'aborderai, concerne l'avenir des personnels. Les 4 600 suppressions d'emploi entraînées par la fusion du Crédit lyonnais et du Crédit agricole sont dans tous les esprits. Les propos rassurants de MM. Milhaud et Mayer ne convainquent personne. Des centaines d'emplois sont menacés, chez le dépositaire, par le projet de concentration. L'inquiétude est grande parmi les 1 200 salariés d'ICDC. En effet, l'avenir de la convention collective dont relèvent les 3 000 salariés d'Ixis n'est pas du tout garanti, puisque M. Milhaud est en train de casser celle des salariés des caisses d'épargne. Enfin, s'agissant des 400 fonctionnaires en poste au sein d'Ixis, M. Mayer a fait état d'une disposition législative : de quoi s'agit-il, madame la ministre ?

Le projet que défend le Gouvernement rencontre l'hostilité de la quasi-totalité des salariés et de leurs organisations syndicales, ainsi que celle d'un nombre croissant d'associations, d'élus et de citoyens.

Madame la ministre, le Gouvernement compte-t-il continuer à ignorer les prérogatives du Parlement ? Quel cas comptez-vous faire des dispositions de la loi relative aux nouvelles régulations économiques de 2000, qui assignent à l'ensemble du groupe CDC, y compris à ses filiales dites « concurrentielles », une mission d'intérêt général ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable. Madame la sénatrice, je vous prie d'excuser l'absence de M. Francis Mer, qui, comme vous le savez, est retenu à un conseil européen.

Vous m'interrogez sur l'avenir des filiales Eulia et Ixis de la Caisse des dépôts et consignations.

Au terme de plusieurs mois de travaux, le groupe des caisses d'épargne et la Caisse des dépôts et consignations ont en effet annoncé, en juillet dernier, leur projet de créer une nouvelle grande banque universelle.

La signature d'un protocole d'intention, le 2 octobre 2003, a scellé la volonté des deux groupes de mettre en oeuvre un projet qui offre des perspectives industrielles nouvelles aux métiers et aux personnels concernés.

Cette stratégie a été confirmée par la commission de surveillance de la Caisse des dépôts, comme par le conseil de surveillance de la Caisse nationale des caisses d'épargne, qui ont été naturellement associés à la construction du projet.

A la demande de son président, la commission de surveillance de la Caisse des dépôts a d'ailleurs mandaté, au mois de juillet, un expert indépendant pour auditer le projet d'accord, afin de s'assurer que celui-ci préserve les intérêts patrimoniaux de la CDC. Elle a ainsi pu s'assurer que les intérêts de la Caisse étaient préservés, en posant certaines conditions et en demandant que les accords définitifs lui soient soumis pour avis. Comme vous le voyez, l'information du Parlement et l'exercice de ses prérogatives sont parfaitement assurés par l'intermédiaire de ses représentants au sein de la commission de surveillance.

Le groupe des caisses d'épargne devient l'opérateur de ce nouveau pôle bancaire, la Caisse des dépôts et consignations en restant un actionnaire important. Il aura ainsi les moyens de poursuivre son évolution vers un modèle qui a fait ses preuves en France, conciliant tradition mutualiste et approche de marché. C'est ainsi une nouvelle grande banque universelle qui va voir le jour.

Loin de remettre en cause la pérennité des activités d'Eulia et d'Ixis, le nouvel accord la consolide. Le transfert du contrôle opérationnel des activités au groupe des caisses d'épargne permettra d'offrir aux collaborateurs et aux métiers de ces entreprises les moyens de leur développement, dans le cadre d'une stratégie claire.

Cette évolution permet également de clarifier le rôle de la Caisse des dépôts dans le secteur bancaire concurrentiel, conformément aux orientations arrêtées par le Gouvernement.

Je rappelle que la séparation des missions d'intérêt général de la Caisse des dépôts et consignations de ses activités concurrentielles a été initiée dans la seconde moitié des années quatre-vingt-dix et a abouti à la filialisation des activités concurrentielles.

Cette nouvelle évolution permettra à la Caisse des dépôts de consacrer une part plus importante de ses ressources au développement de ses missions d'intérêt général. La Caisse des dépôts conserve de nombreuses fonctions financières - c'est d'ailleurs, vous en conviendrez, son coeur de métier historique ! - qui sont à l'origine de son développement : dépôts réglementés, gestions sous mandat de caisses de retraite publiques, pôle immobilier notamment. La palette des activités financières d'intérêt général au sein de l'établissement public demeure considérable.

Cet accord ne change évidemment rien à l'implication de la Caisse des dépôts et consignations comme des caisses d'épargne s'agissant du livret A ou du financement du logement social.

Pour les personnels, les équipes d'Eulia et d'Ixis possèdent une expertise et une qualité reconnues sur la place. Le nouvel accord ne fait pas peser de menace sur les emplois concernés. S'agissant des fonctionnaires et des personnels mis à disposition de CDC-Ixis par la CDC, une disposition législative sera prochainement proposée au Parlement afin de garantir à ceux qui le souhaiteront le maintien de leur statut actuel. Pour l'ensemble des personnels, le groupe des caisses d'épargne s'est pour sa part engagé à offir des conditions d'accueil favorables. Le Gouvernement sera très vigilant sur cette question. Au-delà du statut, qu'il faudra préserver, c'est bien de perspectives nouvelles de développement qu'il est question, pour l'ensemble de ces métiers.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Madame la ministre, en réponse à votre intervention, je formulerai quatre remarques.

Première remarque : les prérogatives du Parlement, dites-vous, sont garanties, puisque l'avis de la commission de surveillance a été demandé.

Mais, sur les douze membres que compte cette commission, seuls quatre sont des parlementaires. Dès lors, je considère qu'elle ne peut engager la représentation nationale tout entière, d'autant moins que son avis se fonde exlusivement sur les conclusions techniques d'un audit qui a eu pour mission de valoriser Eulia et Ixis et non de prendre en compte le rôle de la Caisse des dépôts et consignations au service de la nation.

Nous avons demandé que le Parlement soit consulté sur cette affaire et qu'il prenne une décision. Le groupe communiste républicain et citoyen a d'ailleurs écrit en ce sens à M. le président du Sénat au mois de juillet pour que le Parlement s'autosaisisse de cette question.

Deuxième remarque : vous nous dites, madame la ministre, qu'une mesure législative sera prise, précision déjà avancée par M. le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations lors d'une interview qu'il a donnée au journal Les Echos les 2 et 3 octobre dernier. Vous ne nous en dites pas plus ce matin, en particulier sur la forme que prendra cette mesure législative. Si, pour les personnels, elle est de même nature que celle qui est prévue au titre II du statut de France Télécom, dont le Sénat doit discuter en première lecture dans quinze jours, je suis extrêmement inquiète. En effet, nous estimons que si l'on privatise et qu'ensuite seulement on évoque les garanties des fonctionnaires, il sera trop tard et les fonctionnaires n'auraient alors plus aucune garantie.

Troisième remarque : si le montage financier donne des titres à la Caisse des dépôts et consignations, il s'agit de certificats coopératifs d'investissement, dont vous nous avez d'ailleurs peu parlé. Les sommes en jeu constituent 40 % des fonds propres de la Caisse des dépôts et consignations, fonds qui sont détournés vers la banque privée.

Quatrième remarque : on ne parle plus d'un partenariat public entre la Caisse des dépôts et La Poste, dont les activités sont pourtant complémentaires et dont les missions sont également d'intérêt général.

Comprenez que notre inquiétude, comme celle des salariés de la Caisse des dépôts et consignations, est grande.

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