Question de M. SEILLIER Bernard (Aveyron - NI) publiée le 17/10/2003

Question posée en séance publique le 16/10/2003

M. Bernard Seillier. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

En 1970, Michel Crozier publiait la Société bloquée : une question pertinente derrière un titre provocateur. Le corps social, comme tout corps vivant, doit-il, pour exprimer toute sa vitalité, être régulièrement allégé des éléments obsolètes ou paralysants ?

La Constitution de 1958 a de fait rendu son efficacité à la démocratie parlementaire en la libérant de l'impuissance où la confinaient des pratiques stériles. Or, monsieur le ministre, n'est-ce pas un objectif analogue que vous visez aujourd'hui pour la société civile avec un projet de revitalisation de la démocratie sociale ?

Les premières réactions enregistrées à la suite de vos propos devant la Commission nationale de la négociation collective traduisent l'embarras des partenaires sociaux devant le projet de loi que vous avez présenté. Relatif à la formation tout au long de la vie et au dialogue social, il ne peut, il est vrai, laisser personne indifférent.

Il engage à une réflexion fondamentale sur notre démocratie sociale en proposant, d'une part, une articulation de la voie législative sur la démarche conventionnelle et, d'autre part, la conciliation plus facile, au niveau du terrain, de la contrainte économique et de la réalité des relations du travail, dans le respect du droit et de la dignité des personnes.

Je souhaite vivement que ce projet de loi produise toute l'efficacité dont il est porteur et qu'une cohésion sociale plus forte résulte d'une justice mieux répartie entre les exigences du tout, au niveau interprofessionnel ou des branches, et celles de la partie, au niveau de l'entreprise.

La difficulté d'un tel équilibre est bien connue, car « qui veut faire justice en gros fera l'injustice en détail », selon les propos mêmes de Montaigne. Mais, à l'instar de la démocratie politique, la question de la décentralisation de la démocratie sociale ne peut être éludée. Votre projet, monsieur le ministre, me paraît justement caractérisé par une articulation harmonieuse entre le maintien d'une hiérarchie des normes, la préservation de l'initiative à la base au sein même de l'entreprise et la responsabilisation à tous les niveaux de la représentation professionnelle.

Nous soutiendrons donc votre démarche avec conviction. Mais pouvez-vous nous dire comment vous espérez surmonter les divers obstacles qui peuvent se dresser sur le chemin de ce renouveau de la participation responsable, tant individuelle que collective, à la régulation de la vie économique et sociale ?

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Réponse du Ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité publiée le 17/10/2003

Réponse apportée en séance publique le 16/10/2003

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le sénateur, le Gouvernement attache une très grande importance à ce projet de réforme du dialogue social, parce qu'il pense qu'il constitue l'un des éléments de réponse - ce n'est pas le seul - à la crise politique qui s'est révélée, notamment à l'occasion du premier tour de l'élection présidentielle. (M. Raymond Courrière s'exclame.)

Face à la montée des extrémismes, de tous les poujadismes, nous avons besoin d'un dialogue social plus intense, nous avons surtout besoin de syndicats plus forts, plus responsables et plus représentatifs. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

M. Jacques Oudin. Très bien !

M. François Fillon, ministre. Nous avons donc décidé d'engager une discussion autour d'une réforme qui s'appuie sur une position élaborée par les organisations syndicales, à l'exception de la CGT, en 2001.

La réforme que nous proposons s'articule autour de trois idées.

Premièrement, le Gouvernement s'engage solennellement à soumettre à la négociation collective toute proposition de réforme qui se trouve dans le champ social.

Deuxièmement, nous voulons que la légitimation des accords passe par le vote majoritaire, même si nous proposons une marche progressive vers cet accord majoritaire. En effet, si l'on veut confier demain plus de responsabilités aux partenaires sociaux, il faut naturellement que les salariés concernés par les accords se sentent représentés par leurs signataires.

Troisièmement, nous voulons donner plus de liberté aux entreprises (Ah ! sur les travées du groupe socialiste) pour négocier, notamment autour de la question du temps de travail et des conditions d'organisation du travail.

M. René-Pierre Signé. Flexibilité !

M. François Fillon, ministre. Cette réforme est très difficile, d'abord parce qu'elle met en mouvement un sujet figé depuis quarante ans. Elle se heurte à ceux qui pensent qu'ils sont protégés indéfiniment par le système actuel, à ceux qui se satisfont de la faiblesse des syndicats (M. René-Pierre Signé s'exclame) et à ceux qui croient que l'opposition systématique est la meilleure défense de l'intérêt des salariés.

Cette réforme est difficile aussi parce qu'elle s'appuie sur une position commune très ambiguë qui, de surcroît, n'a pas été signée par un syndicat représentant plus de 30 % des salariés syndiqués.

Cette réforme est très difficile, enfin, parce qu'elle se heurte à toute une série de conservatismes. Tant qu'on est dans le débat général, chacun se dit prêt à avancer, mais lorsque les échéances approchent, tout le monde prend peur.

A l'occasion de la Commission nationale de la négociation collective, deux grandes idées, d'ailleurs contradictoires, ont été énoncées par les partenaires sociaux. Il y a, d'un côté, ceux qui veulent aller plus vite vers des élections de représentativité afin de mieux fonder la légitimité syndicale et, de l'autre, ceux qui souhaitent donner plus de champ à l'accord d'entreprise.

Le Gouvernement est prêt à évoluer sur ces deux sujets. Je travaille d'ailleurs avec les partenaires sociaux pour trouver le meilleur équilibre. Toutefois, une chose est sûre : nous sommes déterminés à faire voter cette réforme, essentielle pour l'avenir de la démocratie sociale, mais aussi, de manière plus générale, pour celui de la démocratie.

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