Question de M. RICHERT Philippe (Bas-Rhin - UMP) publiée le 15/01/2004

M. Philippe Richert attire l'attention de M. le ministre des affaires étrangères sur le sort des prisonniers politiques cubains actuellement détenus dans les prisons cubaines dans des conditions épouvantables. Soixante-quinze d'entre eux ont été condamnés à des peines exorbitantes (jusqu'à vingt-huit ans) en mars 2003. De nombreux autres croupissent dans des prisons sordides, depuis parfois des années, sans avoir été jugés. Tous appartiennent à la dissidence et luttent pacifiquement pour la restauration d'un Etat de droit, dans ce qui reste le dernier pays totalitaire occidental. En conséquence, il souhaiterait savoir quelles sont les démarches faites par le Gouvernement français pour obtenir la libération des prisonniers politiques et favoriser la transition de Cuba vers la démocratie et quels sont les moyens de pression de la France au sein de l'Europe. Il souhaiterait également savoir comment est définie la politique économique de la France envers Cuba, en particulier la gestion de la dette cubaine et l'aide aux investissements d'un pays qui viole honteusement la plupart des normes de l'Organisation internationale du travail.

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Réponse du Ministère délégué à la coopération et à la francophonie publiée le 28/01/2004

Réponse apportée en séance publique le 27/01/2004

M. Philippe Richert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite attirer l'attention du Gouvernement sur le sort des prisonniers politiques cubains actuellement détenus dans les prisons cubaines dans des conditions épouvantables. Soixante-quinze d'entre eux ont été condamnés à des peines de prison exorbitantes - jusqu'à vingt-huit ans -, en mars 2003. De nombreux autres croupissent dans des prisons sordides, parfois depuis des années, sans avoir été jugés. Tous appartiennent à la dissidence et luttent pacifiquement pour la restauration d'un Etat de droit dans ce qui reste le dernier pays totalitaire occidental.

En conséquence, j'aimerais savoir quelles sont les démarches entreprises par le Gouvernement français pour obtenir la libération des prisonniers politiques et favoriser la transition de Cuba vers la démocratie, et quels sont les moyens de pression de la France au sein de l'Europe.

Depuis plusieurs mois, je suis particulièrement la situation du poète et journaliste indépendant Manuel Vasque Portal, condamné à dix-huit ans de prison en avril 2003. Il a été récemment hospitalisé dans le service pénitentiaire de l'hôpital Ambrosio Grillo de Santiago de Cuba. Ses proches sont très inquiets. Son épouse s'est présentée le 13 janvier à l'hôpital, mais les officiers de la sécurité de l'Etat, la police politique, ne lui ont pas permis de le voir.

Face à la multiplication de ces cas et à la gravité de la situation, je souhaiterais savoir comment est définie la politique économique de la France envers Cuba, en particulier s'agissant de la gestion de la dette cubaine et de l'aide aux investissements d'un pays qui viole honteusement la plupart des normes de l'Organisation internationale du travail.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Monsieur le sénateur, la situation à Cuba nous préoccupe en effet, comme tous les démocrates, et je vous remercie de me donner l'occasion de préciser la position du Gouvernement français sur cette affaire.

Votre question comporte plusieurs aspects. Le premier concerne les droits de l'homme et les libertés, le second la situation économique en général, le troisième les investissements et l'aide au développement.

D'abord, en ce qui concerne les droits de l'homme et les libertés, l'arrestation de soixante-quinze opposants en mars 2003, puis leur condamnation à de très lourdes peines de prison, ainsi que la reprise des exécutions capitales ont été dénoncées vigoureusement et sans délai par la France.

Il se trouve que je m'étais rendu personnellement à Cuba peu avant ces décisions, début février 2003, dans le cadre de la XIIe session de la commission mixte franco-cubaine pour la coopération culturelle, scientifique et technique. A cette époque, les autorités cubaines cherchaient manifestement un rapprochement avec l'Union européenne et pensaient que, de ce point de vue, les conseils qui pouvaient leur être donnés par la France leur seraient peut-être utiles.

Avant de me rendre sur place, j'avais tenu à annoncer que je rencontrerais, outre les autorités de l'Etat, un certain nombre de personnalités indépendantes, mais aussi des représentants des principaux mouvements de l'opposition. Et je l'ai fait. J'ai constaté par la suite qu'au moins deux d'entre eux avaient été emprisonnés : je pense à Mme Marta Beatriz Roque et à Hervé Palacio.

Cette décision des autorités cubaines m'a particulièrement touché et choqué. J'ai eu l'occasion de le faire savoir à mes interlocuteurs principaux, en particulier au ministre des affaires étrangères cubain.

Dès le 5 juin dernier, les quinze Etats membres de l'Union européenne - dont, bien sûr, la France - ont rendu publiques les décisions prises en réaction à l'attitude nouvelle et brutale adoptée par les autorités cubaines en matière d'exercice des libertés politiques. Ces mesures se traduisent, globalement, par une limitation très stricte des relations avec les autorités cubaines.

La France est très soucieuse du sort réservé aux prisonniers politiques, qui sont incarcérés dans des conditions souvent très rudes et soumis à un régime d'isolement. De nombreuses démarches humanitaires ont été effectuées auprès des autorités cubaines, directement ou par d'autres voies, aussi bien par la France que par l'Union européenne.

S'agissant de ses relations économiques, il faut savoir que Cuba a accumulé des arriérés de dette pour près de 19 milliards de dollars, et que près des trois quarts de cette dette ne sont plus honorés depuis 1989. La part de la dette due à la France se monte à environ 150 millions d'euros.

Cuba a refusé les propositions émises par la France au sein du groupe des pays créanciers qui s'est constitué et campe sur une attitude qui ne permet plus d'avancer. La situation est donc, pour l'heure, bloquée et aucun crédit nouveau n'a naturellement été consenti au cours de la période récente.

Le dernier aspect de la question que vous avez soulevée, monsieur le sénateur, concerne les relations économiques, l'aide à l'investissement et au développement. Sur ce point, la France estime, comme ses partenaires de l'Union européenne, que les démarches de type embargo classique, qu'il s'agisse d'ailleurs de Cuba ou d'un autre pays, n'ont pas démontré leur efficacité. On a souvent constaté qu'elles avaient pénalisé les populations et servi de prétexte aux gouvernements pour dénoncer de manière démagogique l'isolement dont ils étaient ainsi l'objet.

Les Etats-Unis eux-mêmes, qui avaient à l'origine décidé l'embargo économique à l'égard de Cuba, reconnaissant que cette formule n'est pas forcément la plus efficace sur le plan politique et ils ont considérablement assoupli leur législation, au point de devenir le deuxième fournisseur de Cuba dans le domaine agro-alimentaire.

Cela dit, il convient de trouver d'autres moyens d'être vigilants, notamment en ce qui concerne, vous l'avez dit, la législation du travail. Nous y veillons notamment au sein des instances internationales compétentes.

Enfin, en ce qui concerne l'aide au développement, j'ai fait procéder, au mois de mai 2003, à la suite du durcissement de l'attitude du Gouvernement cubain en matière de libertés politiques individuelles, à un réexamen de notre coopération, et nous avons décidé de réduire fortement notre coopération bilatérale, en particulier dans les domaines de la police et de la justice.

En revanche, nous avons maintenu ce qui relève de la coopération non gouvernementale au profit de la population de Cuba. Il nous semble en effet essentiel que cette dernière ne soit pas victime des décisions particulièrement regrettables actuellement prises par les autorités.

Notre politique à l'égard de Cuba est sans complaisance à l'égard des violations des droits de l'homme, mais soucieuse aussi d'éviter, dans l'intérêt de la population, tout ce qui pourrait ressembler à des mesures qui la viseraient directement.

M. le président. La parole est à M. Philippe Richert.

M. Philippe Richert. Permettez-moi d'abord, monsieur le ministre, de vous remercier de vos propos et de votre engagement, qui traduisent une sensibilité personnelle que je partage.

Nous comprenons bien qu'il ne s'agit pas, au travers d'un embargo, de punir une nouvelle fois le peuple cubain. Mais nous ne visons pas ici les seules actions d'un chef d'Etat et de sa garde rapprochée : c'est un véritable régime, un système organisé, qui porte préjudice à l'ensemble du peuple cubain.

Il ne faut certes pas punir le peuple, mais il faut néanmoins veiller à ne pas apporter de façon indirecte à ce dictateur et à son régime un appui qui serait pour le moins inopportun.

Il convient, et c'est ce que fait le Gouvernement, d'utiliser tous les moyens dont nous disposons pour aider ce pays à préparer la transition, la mutation vers une réelle démocratie. Trop de personnes emprisonnées souffrent de conditions de détention difficiles.

Nous demandons donc au Gouvernement de poursuivre l'action qu'il a engagée.

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