Question de Mme BEAUDEAU Marie-Claude (Val-d'Oise - CRC) publiée le 06/05/2004

Mme Marie-Claude Beaudeau attire l'attention de M. le ministre de l'écologie et du développement durable sur l'existence d'un taux étonnamment élevé de thorium 234 dans des algues prélevées près de la base nucléaire américaine de La Maddalena, dans les bouches de Bonifacio. Des prélèvements auraient été effectués en février et mars de cette année sur des échantillons de sédiments, eau de mer, algues rouges, oursins, posidonies et rochers sous la responsabilité du ministre italien de l'environnement, de l'agence pour la protection de l'environnement italienne, confirmant les résultats mis en évidence par l'Institut de recherche français CRIIRAD. Elle lui demande de lui faire connaître son avis sur cette situation et ainsi que les mesures qu'il envisage de mettre en place pour procéder aux recherches afin d'apprécier l'existence de thorium 234 qui ne peut être que la conséquence d'une activité humaine et non celle d'une activité naturelle. Elle lui demande enfin dans de telles conditions de lui faire connaître les véritables causes d'une telle concentration et cela avant que ne débute la saison touristique particulièrement active dans cette région de la mer méditerranée.

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Réponse du Ministère de l'écologie et du développement durable publiée le 05/08/2004

Le ministre de l'écologie et du développement durable a pris connaissance, avec intérêt, de la question concernant le taux remarquablement élevé de thorium 234 dans des échantillons d'algues prélevées près de la base nucléaire américaine de la Maddalena, dans les Bouches de Bonifacio. Ces mesures ont été réalisées à la suite de l'incident du sous-marin nucléaire USS Hartford survenu en octobre 2003, incident qui, selon les déclarations de l'US Sixth Fleet, n'a conduit qu'à des avaries sur la coque et le gouvernail, sans dommage pour le réacteur nucléaire. Pour répondre aux demandes d'informations relatives à l'état radiologique du milieu marin à la suite de cet incident et à l'éventuel impact de la base nucléaire américaine implantée dans l'archipel sarde, plusieurs campagnes de mesures sur le milieu marin ont été diligentées par les autorités italiennes et françaises. Les mesures de radioactivité ont été réalisées par l'Institut de radioprotection et sûreté nucléaire (IRSN), par le laboratoire de la région autonome de Sardaigne et par la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD). Les analyses ont porté sur des échantillons d'eaux de mer, de sédiments, d'algues, de posidonies et de moules, provenant des Bouches de Bonifacio, de l'archipel de la Maddalena et des côtes ouest et sud de la Sardaigne, prélevés entre novembre 2003 et mars 2004. Quel que soit le laboratoire de mesures ou le type de prélèvement analysé, aucun radionucléide artificiel (comme le tritium ou encore les radioisotopes du césium et du cobalt), caractéristique d'une contamination potentielle par les activités de la base de sous-marins nucléaires, n'a été détecté à l'exception des traces résiduelles de césium 137 dans des moules (Corse : Santa Manza), attribuables aux retombées de Tchernobyl. Les mesures de la CRIIRAD ayant mis en évidence des niveaux élevés de thorium 234 dans des algues, une nouvelle campagne de mesure a été réalisée par le laboratoire sarde de la Maddalena sur des prélèvements d'algues, de posidonies et de sédiments prélevés en février et mars 2004 dans l'archipel de la Maddalena et en différents points de la côte ouest et sud de la Sardaigne, au niveau de l'île d'Asinara, à Alghero et jusqu'à Cagliari. Les mesures réalisées par spectrométrie gamma à très bas niveau d'activité ont confirmé l'absence de radionucléides d'origine artificielle et les fortes concentrations de thorium 234, observables dans des algues rouges, la Jania Rubens et la Corallina. Le niveau le plus élevé (voisin de 5 000 Bq/kg de matière sèche) a été enregistré sur des algues Jania Rubens prélevées sur l'île d'Asinara, à l'extrémité nord-ouest de la Sardaigne. Dans l'archipel de la Maddalena, les activités de Th 234 dans ce même type d'algues varient entre 1 600 et 2 900 Bq/kg, niveaux d'activité plus faibles qui pourraient s'expliquer par la présence d'algues vertes vivant en symbiose avec les algues rouges. Les niveaux les plus bas sont enregistrés à Cagliari avec des activités de Th 234 de l'ordre de 650 Bq/kg. Dans les algues Corallina, l'activité du Th 234 est généralement quatre fois moins élevée que dans la Jania Rubens. Un ensemble de constats montre que le thorium 234 dans les algues est certainement d'origine naturelle, les concentrations mesurées n'ayant vraisemblablement aucun lien avec les activités menées sur la base nucléaire américaine ou le récent incident sur le sous-marin USS Hartford. Tout d'abord, des algues provenant de régions éloignées de l'archipel de la Maddalena présentent des niveaux aussi élevés en thorium 234 que les échantillons prélevés par la CRIIRAD ou le laboratoire sarde à proximité de la base maritime américaine. Si le thorium 234 a pour origine des activités menées sur la base américaine ou le récent incident du sous-marin USS Hartford, il devrait être accompagné d'autres radionucléides caractéristiques. Or, aucun radionucléide artificiel comme les produits de fission ou d'activation n'a été détecté. Par ailleurs, les mesures faites par les Italiens sur les sédiments montrent que ces derniers, prélevés dans les mêmes lieux que les algues, ne présentent pas de valeur anormalement élevée (entre 13 et 76 Bq/kg sec pour Th 234 et entre 0,5 et 3 Bq/kg sec pour U 235) et le rapport d'activité entre les deux familles de l'uranium est caractéristique d'une origine naturelle. La variabilité des activités entre les échantillons prélevés le long des côtes sardes s'explique vraisemblablement par les variations géologiques locales. Les mesures conduites par les Italiens et la CRIIRAD ont montré que le niveau de thorium 234 dans certaines algues rouges peut atteindre des niveaux particulièrement élevés. Ce phénomène est vraisemblablement naturel. La teneur en thorium 234 varie d'une espèce à l'autre et suivant la configuration des peuplements d'algues. Le milieu géologique environnant est également un facteur influant comme en témoignent les différentes teneurs en thorium 234 observées dans des algues de même famille provenant de formation géologique différente. Ces données ne sont pas en contradiction avec la littérature qui fait état de la variation des teneurs en thorium dans les algues de plusieurs ordres de grandeur d'une espèce à l'autre et, au sein d'une même espèce, d'une partie à l'autre de l'organisme. Du fait de leurs complexités et des nombreux facteurs influents, les mécanismes de transfert du thorium dans les algues sont encore méconnus et font l'objet de recherches pour tenter d'appréhender les principales causes de ces phénomènes de bioaccumulation. Les premiers résultats des travaux des chercheurs ont montré des artefacts de bioaccumulation comme la présence de dépôts organiques sur les algues favorisant la complexation des métaux, ou comme celle de métaux fixés sur des particules d'argile elles-mêmes piégées à la surface des algues. Des effets locaux de composition physico-chimique, en conduisant à la formation d'espèces biodisponibles, peuvent aussi faciliter l'incorporation du thorium 234 par ces organismes. Indépendamment des recherches longues et complexes sur les mécanismes de transfert du thorium dans les algues, conduites au sein des organismes français et étrangers, plusieurs actions ont été engagées ou vont l'être prochainement afin de mieux connaître la situation radiologique dans les Bouches de Bonifacio. D'ores et déjà, le réseau de surveillance de la radioactivité, exploité par l'IRSN, a été complété par la mise en place, depuis novembre 2003, d'un programme de prélèvement mensuel des eaux de mer au niveau de Bonifacio, comme cela se pratique depuis plusieurs années à Ajaccio et à Bastia. Par ailleurs, pour combler le manque d'état radiologique de référence du milieu marin au sud de la Corse (point 0), l'IRSN, à la demande de la réserve naturelle de Bonifacio et de l'Office de l'environnement de la Corse, propose de réaliser cette étude de référence à partir de prélèvements d'indicateurs marins de contamination. Cela permettra de caractériser les niveaux de base des radionucléides dans les principaux composants de l'écosystème et leur distribution spatiale dans la réserve. Cette étude pourra servir également de point de départ pour un suivi régulier et pour toute future évaluation d'impact.

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