Question de M. CHARASSE Michel (Puy-de-Dôme - SOC) publiée le 24/06/2004

M. Michel Charasse indique à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, qu'il a pris connaissance avec un très grand intérêt mais aussi une très vive surprise pour ne pas dire une profonde stupéfaction dès résultats de la mission de médiation confiée au premier président de la Cour de Cassation pour trouver un arrangement entre un quotidien français national du soir et les auteurs d'un livre qui a connu un succès aussi immense que justifié mettant en doute non sans raisons et donc très largement à juste titre l'honnêteté, le professionnalisme et l'objectivité de ce journal. Sans remettre en cause l'utilité de la médiation prévue par nos lois, qui permet souvent d'aboutir à la satisfaction des parties tout en contribuant à alléger les charges de l'institution judiciaire, il n'est pas donné à tout le monde - même les gens les plus pauvres, les plus malheureux, les plus violemment atteints dans leurs intérêts- de bénéficier de la haute autorité et du poids moral que la fonction entraîne pour le titulaire de la charge de premier président de la Cour de cassation, même si par ailleurs de très nombreux médiateurs choisis ou acceptés par les juridictions sont dignes dès plus grands éloges. Il lui demande donc de bien vouloir lui faire connaître : 1°) s'il ne lui parait pas dangereux, et même dramatique, pour la crédibilité et l'indépendance de l'autorité judiciaire que le principal responsable de la plus haute juridiction française - chargée de dire et d'imposer le droit à tous les magistrats et dont les décisions s'imposent à tous - soit ainsi conduit à prendre position sur dès questions de principe susceptibles d'être portées un jour devant la Cour de cassation, sans même parler dès honoraires qui ont pu lui être proposés à l'occasion de son intervention ; 2°) si, au cas particulier, il s'agit d'une exception qui serait justifiée par le fait que le premier président de la Cour de cassation estimerait, comme beaucoup au sein dès pouvoirs publics, et comme le journal lui-même, dont la morgue et le culot sont bien connus, que ce quotidien est une sorte de " Journal officieux de la République ", qu'il diffuse tous les jours une morale et une parole d'évangile auxquelles les autorités judiciaires sont sensibles et qu'il a donc droit à un traitement de faveur, ne serait-ce que parce qu'il rend souvent la justice à la place dès juges mais accueille en contrepartie, par plume interposée, de très nombreux magistrats parmi ses journalistes, notamment sur les affaires les plus sensibles, et qu'il est en fait le complice objectif dès violations du secret de l'instruction pour lesquelles aucun magistrat n'est jamais condamné par le corps auquel il appartient ; 3°) s'il n'estime pas que l'intervention du plus haut magistrat de France constitue la manifestation évidente du fait que le principe " selon que vous serez puissant ou misérable " continue à subsister plus que jamais au point de recevoir l'onction officielle du premier président de la Cour de Cassation ; 4°) s'il envisage, en raison du malaise que l'intervention de ce haut magistrat a suscité dans beaucoup de milieux, de rappeler aux juridictions de l'ordre judiciaire - sans naturellement porter atteinte à leur liberté de choix - en attendant que la loi fasse le nécessaire, et au premier président lui-même que pour la dignité, la crédibilité et l'indépendance de la haute Juridiction il est préférable à l'avenir d'éviter que le premier magistrat judiciaire de notre pays intervienne pour régler des querelles aussi financièrement nausèabondes tout en étant par ailleurs très ordinaires, banales et même minables qui n'émeuvent qu'une toute petite partie du microcosme parisien et dont la France entière se moque.

- page 1379


Réponse du Ministère de la justice publiée le 17/02/2005

Le garde des sceaux, ministre de la justice, fait connaître à l'honorable parlementaire que, depuis l'entrée en vigueur de la loi organique du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats, ceux-ci se voient interdire l'exercice de l'activité d'arbitrage, estimée incompatible avec les exigences d'impartialité qu'impose leur fonction. La mission confiée au premier président de la Cour de cassation, dans le cadre du litige ayant opposé le quotidien et les auteurs ainsi que leur éditeur, est de nature différente puisqu'il s'agit d'une médiation qui intervient dans le cadre d'une saisine d'une juridiction étatique et constitue une mesure de mise en état du dossier. Elle résulte de l'application de l'article 131-1, alinéa 1er du nouveau code de procédure civile, aux termes duquel " le juge saisi d'un litige peut, après avoir recueilli l'accord des parties, désigner une tierce personne afin d'entendre les parties et de confronter leurs points de vue pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose ". Les conditions que la personne physique qui assure l'exécution de la mesure de médiation doit satisfaire sont posées par l'article 131-5 du nouveau code de procédure civile : " 1° Ne pas avoir fait l'objet d'une condamnation, d'une incapacité ou d'une déchéance mentionnées sur le bulletin n° 2 du casier judiciaire ; 2° N'avoir pas été l'auteur de faits contraires à l'honneur, à la probité et aux bonnes moeurs ayant donné lieu à une sanction disciplinaire ou administrative de destitution, radiation, révocation, de retrait d'agrément ou d'autorisation ; 3° Posséder, par l'exercice présent ou passé d'une activité, la qualification requise eu égard à la nature du litige ; 4° Justifier, selon le cas, d'une formation ou d'une expérience adaptée à la pratique de la médiation ; 5° Présenter les garanties d'indépendance nécessaires à l'exercice de la médiation. " La possibilité pour un magistrat de se voir confier une telle mission de médiation n'est par conséquent exclue ni par les dispositions du nouveau code de procédure civile, ni par les dispositions statutaires applicables aux magistrats de l'ordre judiciaire qui ne prohibent que l'arbitrage. Enfin, il n'est pas inutile de souligner que le haut magistrat n'a sollicité ni perçu aucune rémunération pour l'exécution de la mission de médiation qui lui a été confiée, ce qui constitue une différence notable avec les pratiques en matière d'arbitrage. Par ailleurs et concernant les critiques émises sur la solution retenue à l'issue de la mesure de médiation en cause, il convient de rappeler que le demandeur comme les défendeurs étaient susceptibles d'en refuser les termes, étant au surplus observé que, selon la jurisprudence, la juridiction saisie n'est pas tenue d'homologuer l'accord qui lui est soumis par les parties, mais doit au contraire vérifier qu'il préserve leurs droits.

- page 488

Page mise à jour le