Question de M. LAGAUCHE Serge (Val-de-Marne - SOC) publiée le 13/05/2005

Question posée en séance publique le 12/05/2005

M. Serge Lagauche. Ma question s'adressait à M. le ministre de la culture et de la communication.

A travers la presse, M. Pinault a annoncé sa décision de renoncer à son projet de fondation d'art contemporain sur le site des anciennes usines Renault. Plutôt que de donner suite à ce projet, dont le coût était estimé à 150 millions d'euros, il a préféré racheter pour 29 millions d'euros le Palais Grassi, à Venise, dont M. Aillagon a été conseiller culturel.

M. François Pinault, conseillé par M. Aillagon, a-t-il trouvé ce projet trop coûteux ? Rappelons qu'il est devenu milliardaire en bâtissant le groupe Pinault-Printemps-La Redoute et en s'investissant dans l'opération Executive Life, qui a coûté cher à nos concitoyens. De plus, il a bénéficié d'une loi portée par M. Aillagon visant à simplifier la création de fondations d'intérêt général, et lui permettant d'obtenir une réduction d'impôt de 60 %.

M. René-Pierre Signé. C'est scandaleux !

M. Serge Lagauche. M. Pinault, dont la fondation n'a jamais vu le jour, a-t-il refusé l'inaliénabilité à 90 % pour sa collection ?

Par ailleurs, M. Jean-Jacques Aillagon, lorsqu'il était ministre, a joué un rôle quelque peu surprenant au regard des intérêts culturels français qu'il aurait dû être le premier à promouvoir.

Il n'a pas su trouver les moyens de défendre un projet aussi prestigieux et a, entre autres, mis plus d'un an à signer l'arrêté de démolition des usines Renault.

Tout aussi éloquent est le long silence de M. Donnedieu de Vabres sur cette affaire. On a beau jeu de pointer du doigt la ville de Boulogne-Billancourt, les vicissitudes des aménageurs, les lenteurs administratives, le coût exorbitant du projet.... La vérité est que le soutien de l'Etat au projet a cruellement fait défaut.

Il était prévu que l'Etat le conforte en s'engageant sur la construction d'autres équipements culturels ; concrètement, rien n'a vu le jour.

Quand il y a une volonté politique forte, les projets aboutissent.

M. Robert Bret. Sous la gauche !

M. Serge Lagauche. C'est vrai des projets portés par les mécènes comme des initiatives publiques.

Il n'y a malheureusement plus aucune politique de l'Etat pour promouvoir l'art contemporain et les projets architecturaux. Il n'y a plus de commande publique, plus d'acquisitions publiques, plus de grands projets publics !

M. Jean-Pierre Sueur. C'est vrai !

M. Serge Lagauche. Il est certes plus facile de crier haro sur le mécène fuyant, mal conseillé.

La France a pourtant connu à la fin du XXe siècle une période glorieuse en matière de grands projets : Beaubourg, le Grand Louvre, la Villette, l'Institut du monde arabe... la liste serait longue. Mais il y avait, à l'époque, une volonté politique forte.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner votre jugement sur l'attitude de MM. Aillagon et Pinault et nous indiquer les mesures que vous envisagez de prendre afin d'éviter qu'un tel gâchis pour la créativité artistique et architecturale française ne se reproduise ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.-M. Jean-Pierre Fourcade applaudit également.)

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Réponse du Ministère délégué aux relations avec le Parlement publiée le 13/05/2005

Réponse apportée en séance publique le 12/05/2005

M. Henri Cuq, ministre délégué aux relations avec le Parlement. Monsieur Lagauche, je comprends naturellement votre déception et celle de tous ceux qui se sont investis dans le projet de M. François Pinault, qui souhaitait exposer sa collection d'art contemporain à Boulogne-Billancourt. Je tiens à vous assurer que l'Etat est mobilisé pour que cette très remarquable collection puisse être présentée au public français. (Rires sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Sueur. Avant de partir !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Avec l'argent des contribuables !

M. Didier Boulaud. A Venise !

M. Henri Cuq, ministre délégué. Je rappelle d'abord que le projet...

M. René-Pierre Signé. C'est La Tentation de Venise !

M. Didier Boulaud. Ou La Mort à Venise !

M. Henri Cuq, ministre délégué. ... ne consistait pas pour M. Pinault à faire don à la France de sa prestigieuse collection. Il prévoyait seulement qu'elle soit exposée en France.

M. Jean-Pierre Sueur. Ce n'est déjà pas mal !

M. Henri Cuq, ministre délégué. Le Gouvernement n'a évidemment pas à commenter le fait que M. Pinault a décidé d'exposer une partie de sa collection ailleurs qu'en France. Il n'a pas non plus à porter un quelconque jugement sur les raisons qui l'ont conduit à prendre cette décision.

M. Didier Boulaud. Ce ne sont pas les raisons, ce sont les réseaux !

M. Henri Cuq, ministre délégué. En l'état, le Gouvernement ne peut que regretter que les nombreuses oeuvres d'art acquises par M. Pinault ne soient pas exposées de façon permanente en France.

M. Roland Muzeau. Il n'a qu'à rembourser les avantages fiscaux !

M. Henri Cuq, ministre délégué. C'est pourquoi, compte tenu de la qualité de ces oeuvres et de façon que les Français puissent les admirer, le Gouvernement proposera un lieu où elles puissent être exposées de façon temporaire et régulière. (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.). Pourquoi pas le Palais de Tokyo ?

M. René-Pierre Signé. Et l'Elysée ?

M. Didier Boulaud. Ou sur les grilles du jardin du Luxembourg !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On nous prêtera des photos !

M. Henri Cuq, ministre délégué. La mission de l'Etat, monsieur le sénateur, est non pas d'entraver la démarche des collectionneurs privés mais de tout mettre en oeuvre pour que notre patrimoine continue de s'enrichir d'oeuvres modernes mais aussi classiques.

M. Yannick Bodin. Vous proposez de les racheter à M. Pinault ?

M. Henri Cuq, ministre délégué. Plusieurs Fragonard, vous le savez, ont été acquis par l'Etat et ont ainsi rejoint le musée d'Angers cette année.

M. Jean-Pierre Sueur. Cela n'a rien à voir !

M. Henri Cuq, ministre délégué. Cela n'a rien à voir, mais écoutez quand même ! (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. René-Pierre Signé. Rendez-nous Aillagon !

M. Didier Boulaud. Faute avouée est à moitié pardonnée !

M. Alain Gournac. Donneurs de leçon !

M. Henri Cuq, ministre délégué. Le Gouvernement a par ailleurs prévu dans le budget que vous avez voté des moyens pour développer la commande publique, ce qui n'avait pas été fait depuis plusieurs années, contrairement à ce que vous avez laissé entendre ! Cet effort sera poursuivi en 2006.

Nous disposons aussi d'autres leviers pour encourager la création contemporaine.

M. Jean-Pierre Sueur. Lesquels ?

M. Henri Cuq, ministre délégué. Le Fonds national d'art contemporain, de même que les fonds régionaux d'art contemporain, bénéficient chaque année d'un budget d'acquisition de 8 millions d'euros, soit beaucoup plus que sous la majorité que vous soutenez, monsieur le sénateur, ...

M. Didier Boulaud. C'est faux !

M. Henri Cuq, ministre délégué. ... sans compter les dispositifs d'aides publiques à la création, à la recherche et à l'édition, notamment sous la forme de bourses ou d'allocations.

M. René-Pierre Signé. Et les régions ?

M. Paul Raoult. Ce sont les régions qui paient !

M. Henri Cuq, ministre délégué. Plus généralement, je tiens à vous dire que le Gouvernement étudie toutes les mesures qui seraient de nature à renforcer l'attractivité du marché de l'art français.

M. Didier Boulaud. Tous à Venise !

M. Henri Cuq, ministre délégué. Monsieur le sénateur, je pense ainsi avoir répondu à vos inquiétudes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

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