Question de M. CAMBON Christian (Val-de-Marne - UMP) publiée le 13/10/2005

M. Christian Cambon souhaite relayer auprès de M. le ministre délégué aux collectivités territoriales l'inquiétude d'un certain nombre de ses collèges, maires et présidents de communautés de communes ou d'agglomération, face aux propos tenus lors des assises des petites villes de France, à propos de l'intercommunalité. Se référant à un rapport de la Cour des comptes, il a été dressé un tableau particulièrement sombre de la pratique de l'intercommunalité par certaines collectivités territoriales : périmètres incohérents, absence de stratégie financière et fiscale, défaut de définition de l'intérêt communautaire, faiblesse de la mutualisation des moyens, notamment. S'il est vrai que certaines dérives ont pu être constatées, il n'en demeure pas moins que nombre de communes se sont résolument engagées dans l'intercommunalité en mutualisant leurs moyens pour assurer davantage de services à leurs administrés et cela à moindres coûts. Bien évidemment, le système comporte des failles. C'est pourquoi il doit pouvoir être perfectionné. L'expérience et le succès de nombreuses communautés de communes et d'agglomération doivent permettre d'y parvenir. Il lui demande de bien vouloir préciser ses intentions quant aux mesures qu'il compte prendre pour remédier aux dérives constatées et rassurer les élus déjà engagés dans l'intercommunalité.

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Réponse du Ministère délégué à l'aménagement du territoire publiée le 17/11/2005

Réponse apportée en séance publique le 16/11/2005

M. Christian Cambon. Monsieur le ministre, la France compte aujourd'hui 2 525 établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre - communautés urbaines, communautés d'agglomération et communautés de communes - regroupant ainsi 88 % de nos communes et 82 % de la population. Cette construction intercommunale s'est effectuée sur la base du volontariat et a été aidée par de fortes incitations financières de l'État, ce qui explique pour une bonne part le succès quantitatif du processus.

Un récent sondage réalisé par l'IFOP à la demande de l'Assemblée des communautés de France révèle une réelle adhésion des Français à l'intercommunalité. En effet, 88 % de nos concitoyens pensent que l'intercommunalité permet de mieux mutualiser les investissements et 64 % d'entre eux estiment qu'elle renforce la solidarité financière entre les communes.

Néanmoins, la pratique de l'intercommunalité a récemment fait l'objet, et à plusieurs reprises, d'une évaluation assez préoccupante de la part de la Cour des comptes ou lors des récentes Assises des petites villes de France.

Si l'intercommunalité répond bien à un besoin réel des collectivités territoriales, force est de constater une grande diversité dans sa mise en oeuvre. Certains regroupements ont en effet des compétences et des moyens plus ou moins limités alors que d'autres ont des capacités d'intervention très étendues.

Cela conduit à une forte hétérogénéité de situations qui se retrouve également à l'échelle des périmètres : si le territoire de la majorité des communautés tend à se rapprocher des territoires vécus par les habitants en termes de bassin de vie ou de bassin d'emploi, des considérations politiques ou d'opportunité ont parfois pu conduire à des regroupements de faible taille qui ne sont pas toujours cohérents.

D'autres dérives ont pu être constatées. Comme vous l'avez à juste titre souligné, monsieur le ministre, il nous faut aujourd'hui tirer la leçon des succès et des lacunes de l'intercommunalité.

Permettez-moi donc de relayer auprès de vous l'inquiétude d'un certain nombre de mes collègues maires et présidents de communautés de communes ou d'agglomération à la lecture des récents rapports qui démontrent à quel point la pratique intercommunale connaît des dysfonctionnements auxquels il nous faut remédier. Je n'en citerai pour exemple que trois.

Tout d'abord, je pense aux périmètres incohérents ou parfois, comme je l'ai vécu dans mon département du Val-de-Marne, aux périmètres imposés, ce qui crée de nombreux dysfonctionnements pendant plusieurs années au sein même de l'intercommunalité.

Ensuite, il existe des économies d'échelle insuffisantes dues à l'absence de rationalisation des effectifs. De nombreuses intercommunalités emploient, en effet, d'importants effectifs sans que ceux-ci aient pu être réduits dans les communes d'origine.

Enfin, il y a l'absence de transparence démocratique. On constate également dans ce domaine des transferts de compétences très importants des communes vers les communautés sans que les procédures démocratiques et l'expression démocratique de l'opposition aient toujours pu y trouver leur compte.

On le voit, le système comporte des failles. C'est pourquoi il doit pouvoir être perfectionné. L'expérience et le succès de nombreuses communautés de communes et d'agglomération doivent permettre d'y parvenir.

En s'appuyant sur le patrimoine que représentent nos communes françaises, l'intercommunalité a permis d'apporter une valeur ajoutée importante à l'action municipale tant pour les communes rurales, qui ont pu y trouver une aide précieuse au développement de leur service public, que pour les communes urbaines, qui ont pu rationaliser leurs investissements.

Comme le propose le Conseil économique et social, peut-être faut-il maintenant donner une légitimité renouvelée à cette dynamique. Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer quelles sont vos priorités afin de remédier aux dérives constatées et, surtout, de rassurer les élus déjà engagés dans l'intercommunalité ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire. Monsieur le sénateur, au moment où certains dysfonctionnements de l'intercommunalité sont pointés du doigt dans plusieurs rapports, je souhaite vous donner mon sentiment sur ce mouvement et vous indiquer les mesures que nous comptons, avec M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, et M. le ministre délégué aux collectivités territoriales, mettre en oeuvre pour passer à un nouvel âge de la coopération intercommunale.

D'abord, nous croyons profondément que l'intercommunalité est un phénomène structurant pour le développement local. Son succès quantitatif ne doit rien au hasard.

Dans un pays qui compte près de 36 800 communes, le regroupement était en effet une nécessité absolue. Après l'échec des fusions de communes et le succès des communautés urbaines, l'État a opté pour des formules souples et financièrement incitatives. Je pense notamment à la loi d'orientation du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République et à la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale.

Ces lois ont eu un effet déclencheur.

Les résultats sont probants : l'intercommunalité à fiscalité propre compte aujourd'hui 2 525 établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, qui regroupent 32 308 communes. Sont ainsi directement concernés 52 millions d'habitants, soit 84 % de la population.

Les encouragements financiers de l'Etat ont également beaucoup compté et la « maturation des esprits », combinée au recours au volontariat, a permis le développement de l'intercommunalité.

L'intercommunalité permet enfin à de nombreux bassins de vie de se doter d'équipements et de mutualiser les coûts de fonctionnement qui en découlent. Elle a ainsi été le support d'un formidable mouvement de réalisation d'équipements publics en France.

Nous voulons une intercommunalité qui devienne le principal instrument de gestion des services publics locaux, l'outil majeur de la politique de nos territoires et, à travers eux, la matrice de la France de demain.

Or telle qu'elle est menée actuellement, l'intercommunalité connaît des limites que nous devons regarder en face. Je vous remercie, monsieur le sénateur, d'en avoir souligné quelques-unes.

Pour notre part, nous voyons plusieurs dysfonctionnements à corriger.

Tout d'abord, l'intercommunalité a trop souvent entraîné des surcoûts, notamment en matière de personnels, alors que sa raison d'être était très précisément inverse : elle doit permettre de faire mieux, mais en dépensant moins. Les économies d'échelle qui devaient être réalisées ne l'ont pas été.

Ensuite, l'intercommunalité manque parfois de pertinence, tant du point de vue territorial, notamment par rapport aux bassins de vie, aux bassins d'emploi ou aux zones de chalandise, que de celui des compétences prévues par la loi. Il existe en effet de trop nombreuses redondances. Ainsi, des syndicats intercommunaux à vocation unique, des SIVU, gèrent parfois des compétences qui devraient logiquement relever des structures intercommunales plus récentes, ce qui rend le paysage administratif souvent illisible.

Enfin, l'intérêt communautaire est resté trop souvent flou, voire inexistant. Après plusieurs années d'existence, certaines compétences ne sont en effet exercées que partiellement. Cette situation, dont on ne peut pas se contenter, est source de gaspillages et d'incompréhension pour les citoyens usagers.

Il résulte de ces dysfonctionnements des projets souvent trop faibles pour fédérer les énergies locales. De nombreuses communautés de communes éprouvent des difficultés pour piloter de véritables projets intercommunaux. Soyons clairs : l'intercommunalité doit être réservée à ceux qui ont des choses à mettre en commun et seulement à ceux-là.

Après la phase de développement quantitatif, une phase d'approfondissement qualitatif s'impose donc pour créer une intercommunalité de projet, aux périmètres pertinents et aux synergies véritables.

Trois objectifs doivent être atteints.

Tout d'abord, nous voulons créer un véritable intérêt communautaire, afin de redonner du souffle aux groupements. Nous profiterons du nouveau et ultime délai - le 18 août 2006 - pour donner une définition consistante à l'intérêt communautaire. Ce travail de redéfinition est essentiel pour clarifier la frontière entre les attributions du conseil municipal et celles du groupement intercommunal, afin de permettre un exercice effectif des compétences transférées.

Ensuite, nous voulons renforcer la cohérence de la carte intercommunale. La Cour des comptes stigmatise, en effet, le caractère trop exigu des périmètres communautaires, qui ne permet pas d'apporter des réponses pertinentes aux problématiques locales et qui a nécessité la création de pays pour rendre ces périmètres opérationnels.

Cette critique concerne notamment les zones rurales, dans lesquelles bon nombre de communautés de communes n'atteignent pas la taille nécessaire pour constituer un véritable outil de développement local.

La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a institué une procédure de fusion facilitant le regroupement de plusieurs EPCI en un seul. Il faut l'utiliser.

En outre, la superposition des structures de coopération locale sur un même territoire doit, chaque fois que cela est envisageable, être évitée. La question du maintien des syndicats intercommunaux, qui ont vu leurs compétences s'amenuiser au fil du temps au profit d'autres EPCI à fiscalité propre, doit donc être systématiquement posée.

Enfin, notre objectif ultime est de constituer des intercommunalités de projets. Il est temps de rappeler la vocation première de l'intercommunalité à fiscalité propre : être le périmètre de réalisation de nouveaux projets très concrets, tels que des équipements sportifs, des équipements culturels ou encore des logements ou des zones d'activité. C'est bien cette intercommunalité de projets qui doit nous mobiliser.

Nous sommes très conscients, monsieur le sénateur, du fait que le mouvement intercommunal a beaucoup apporté et que ses dysfonctionnements actuels ne sont que des erreurs de jeunesse. (Sourires.) Nous n'en sommes pas moins désireux de les rectifier au plus vite.

Nous souhaitons tout simplement créer un mouvement intercommunal d'ampleur, à la hauteur des attentes des Français, une intercommunalité financièrement avantageuse et fondamentalement porteuse de progrès et de développement local.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Cambon.

M. Christian Cambon. Je tiens d'abord à vous exprimer ma satisfaction, monsieur le ministre, après les éléments de réponse que vous venez d'apporter sur ce sujet qui est au coeur des préoccupations des maires et, plus généralement, des élus locaux.

En annonçant une nouvelle étape qualitative à ce vaste mouvement de l'intercommunalité, le Gouvernement va, me semble-t-il, dans le sens des attentes des élus.

J'approuve, bien évidemment, les orientations qui viennent d'être évoquées, s'agissant tant du recentrage de l'intérêt communal que de la cohérence des périmètres. Je partage également votre sentiment, monsieur le ministre, sur la nécessité, que vous avez soulignée, de supprimer, en cas de superposition, des anciens syndicats de communes ayant moins d'efficacité au regard des nouvelles compétences.

Je souhaite toutefois revenir sur un point important, celui du fonctionnement démocratique des structures intercommunales.

En effet, dans certaines communautés d'agglomération, des transferts de compétences très importants sont effectués sans que toutes les garanties en termes d'expression et de contrôle démocratiques soient apportées. Je pense notamment aux droits de l'opposition, qui ont moins progressé dans les structures intercommunales que dans les conseils municipaux.

Il faudra également, me semble-t-il, prendre en compte cet aspect pour améliorer le statut de l'intercommunalité.

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