Question de Mme BORVO COHEN-SEAT Nicole (Paris - CRC) publiée le 16/03/2006

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat attire l'attention de M. le ministre de la santé et des solidarités sur la proposition de la Commission nationale des stupéfiants (CNS) de classer le Subutex dont le principe actif est la buprénorphine haut dosage (BHD) comme produit stupéfiant.
Au plan national un tel changement de statut ne pourrait qu'accentuer les difficultés des uns et des autres, usagers et dispensateurs de la BHD. Or l'on connaît les succès du dispositif français. En permettant l'accès à la substitution de 90 000 personnes dépendantes des opiacés, la mise à disposition de BHD a contribué à vaincre l'hécatombe du SIDA chez les usagers de drogues : en France, ces derniers forment le seul groupe exposé qui ait réussi à changer radicalement ses comportements. Selon l'I.N.V.S., il ne représente plus que 3 % des nouvelles contaminations VIH en 2004, contre 40 % en 1993 avant l'arrivée du Subutex. La politique de la réduction des risques, dont la mise à disposition de la BHD est partie intégrante, a produit des résultats remarquables : chute des décès par overdoses (divisés par cinq entre 1994 et 2002), diminution spectaculaire des contaminations VIH/SIDA chez les usagers de drogue par voie intraveineuse (2% des infections), meilleure qualité de vie et réinsertion réussie pour les personnes bénéficiant de la substitution.
Il y a près de deux ans une conférence réunissant l'ensemble des experts et des institutions médico-sociales impliqués dans le champ de la substitution, ainsi que des représentants de groupes d'usagers avait conclu de façon unanime au succès de ces traitements et a publié en septembre 2004 une liste de recommandations nécessaires en vue de remédier aux lacunes qu'ils avaient identifiés dont le développement d'un marché noir marginal (5% de la totalité des traitements délivrés) mais préoccupant. Certaines de ces recommandations ont été suivies d'effets et ont donné des résultats encourageants car le contrôle plus rigoureux a été adjoint à la volonté de se donner les moyens de respecter le principe d'un accès plus large possible aux traitements. Ainsi cette politique n'a jamais été synonyme de banalisation des drogues et de leur consommation. Le reclassement de la BHD comme stupéfiant irait à l'encontre de cette logique sanitaire et serait particulièrement mal venue au moment où de nombreux pays confrontés à une explosion des contaminations liées à l'injection, s'ouvrent aux politiques de réduction des risques et à la substitution. Ce serait ne plus considérer que lutter contre les drogues et les toxicomanies, c'est tout à la fois, réprimer les trafics, prévenir les usages, réduire les risques sanitaires et sociaux et prendre en charge les usagers et aller dans le sens d'une logique de plus en plus répressive cherchant à raréfier la circulation des produits sans proposer de solutions de remplacements. On contribuerait ainsi à une criminalisation accrue des usagers.
Au vu de tous ces éléments elle lui demande si les engagements pris par l'Etat il y a deux ans, à savoir la mise en place d'une commission de suivi des recommandations de la conférence de consensus seront tenus avant d'envisager toute suite à la proposition de la CNS en vue d'un classement de la BHD.

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Réponse du Ministère de la santé et des solidarités publiée le 22/03/2007

La politique de réduction des risques menée en France depuis dix ans a montré son efficacité, En effet, depuis dix ans, la proportion de toxicomanes infectés par le VIH a été divisée par 4 (de 40 % à presque 10 %). Les surdoses mortelles ont été divisées par 5, le nombre d'interpellations pour usage d'héroïne a été diminué de 75 %, et le nombre de toxicomanes qui s'injectent de la drogue a été divisé par 6. La mise sur le marché des produits de substitution aux opiacés, notamment la buprénorphine à haute dose (BHD, Subutex) en juillet 1995, est un des éléments centraux de cette politique. La contrepartie d'un accès facilité de la BHD est son détournement d'usage et un trafic mené par un petit nombre de personnes. En effet, si la plupart des patients traités suivent correctement leur traitement, une toute petite fraction des bénéficiaires de celui-ci (moins de 5 %, soit moins de 5 000 personnes), utilise le dispositif pour le détourner et alimenter le trafic de rue. La priorité du ministre de la santé et des solidarités est de poursuivre la politique de réduction des risques tout en luttant contre les trafics et en agissant sur les mésusages. Le classement de la BHD comme médicament stupéfiant a été proposé par la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les toxicomanies et par la commission nationale des stupéfiants et psychotropes de l'AFSSAPS. Son objectif était de disposer d'outils judiciaires permettant la répression des plus gros trafics, et de mieux sensibiliser et responsabiliser médecins et pharmaciens sur le respect des règles de prescription et de délivrance du Subutex, sans pour autant les modifier fondamentalement, car elles sont actuellement déjà très proches de celles d'un stupéfiant. Le ministre de la santé et des solidarités a souhaité, avant toute décision, procéder à une concertation avec l'ensemble des parties prenantes à la réduction des risques, en évaluer les conséquences sur le terrain et rechercher l'existence d'alternative à cette mesure. La concertation qu'il a lancée au mois de juin dernier met en évidence le point fondamental suivant : le classement du Subutex, même s'il n'entraîne aucun changement théorique dans l'accès à ce traitement, serait vécu comme une stigmatisation par les usagers et comme un frein par les professionnels de santé qui hésiteraient à le prescrire ou à le délivrer. Ces réactions amènent à penser que le classement induirait de réelles difficultés d'accès à ce traitement, par incompréhension ou réticences de la part des usagers et de certains professionnels de santé. Par ailleurs, il existe d'autres moyens de réduire les trafics et d'agir sur les mésusages qui n'ont pas encore produit tous leurs résultats. Ainsi, la CNAMTS a systématisé ses contrôles sur l'ensemble du territoire par la mise en place d'un plan national. Dès 2005, on a observé une réduction de près de moitié du nombre des personnes se faisant délivrer des quantités trop élevées de produits de substitution. Leur proportion est passée de 2,4 en 2004 à 1,6 % en 2005. Le ministre de la santé et des solidarités souhaite que d'autres mesures soient mises en oeuvre, par exemple une meilleure formation des médecins et pharmaciens aux traitements de substitution. Il demande également à la commission addictions, composée de professionnels, usagers, associations, sociétés savantes et experts, qui a été mise en place le 15 novembre dernier, de lui faire des propositions d'ici à juin sur les moyens de limiter les trafics et d'agir sur les mésusages.

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