Question de M. AUTAIN François (Loire-Atlantique - CRC-SPG-R) publiée le 13/04/2006

M. François Autain attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur les inquiétantes dérives introduites par la circulaire ministérielle qu'il a signée le 21 février 2006 et adressée aux préfets et aux procureurs. Celle-ci détaille les modalités d'interpellation des personnes sans titre de séjour et permet de procéder, entre autres, à des arrestations dans les hôpitaux, blocs opératoires compris. Ceci s'inscrit pourtant en totale contradiction avec le respect des libertés et droits fondamentaux dont la valeur constitutionnelle a été reconnue à tous ceux qui résident sur le territoire de la République et qu'il juge nécessaire de lui rappeler. Le conseil constitutionnel, en effet, s'appuyant sur le onzième alinéa du préambule de la constitution de 1946 a déjà précisé qu'un étranger, même en situation irrégulière, ne peut être laissé sans soins si son état le requiert (décision n° 93-325 DC du 13 août 1993). En outre, il note que la teneur de cette circulaire a pour corollaire de dissuader les étrangers séjournant illégalement sur notre territoire de se rendre dans les hôpitaux et s'interroge quant à la validité d'une telle interprétation, dès lors que les neuf sages, à propos des modalités du mariage qu'ils considèrent comme une liberté individuelle, ont déclaré inconstitutionnel le fait d'empêcher quiconque, même en situation irrégulière, d'exercer ses droits (décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003). Par ailleurs, il s'alarme de ce que de telles arrestations ne « mettent en jeu le pronostic vital » de leurs victimes ou « portent à conséquence de façon grave ou durable sur leur santé ou celle de leur enfant à naître », ce qui contrevient à l'article L 254-1 du code de l'action sociale et des familles. Enfin, il s'inquiète de constater que cette circulaire pourrait être à l'origine de bavures et lui demande s'il a conscience de placer ainsi les fonctionnaires de police en situation de mettre pour le moins en danger la vie d'autrui, commettant ainsi un acte sanctionné par le droit pénal. Il lui demande en conséquence s'il compte recommander dans les plus brefs délais aux procureurs de poursuivre ceux qui, en procédant à des interpellations dans les hôpitaux, commettent un délit, voire un crime.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 07/09/2006

Le garde des sceaux, ministre de la justice, a l'honneur de rappeler à l'honorable parlementaire que la circulaire du 21 février 2006 relative aux conditions de l'interpellation d'un étranger en situation irrégulière, aux gardes à vues des étrangers en situation irrégulière et aux réponses pénales devant être apportées en matière de lutte contre l'immigration clandestine (n° NOR : JUSD. 0630020C) est une circulaire à droit constant qui a notamment pour objet de rappeler aux services compétents l'étendue de leurs prérogatives en la matière. Dans ce cadre, il est apparu nécessaire de préciser à nouveau les conditions dans lesquelles les services de police et de gendarmerie peuvent procéder à des contrôles d'identité et/ou des interpellations, tout en rappelant la protection juridique dont jouissent les lieux privés et plus particulièrement les domiciles. La définition du domicile retenue par la chambre criminelle de la Cour de cassation ne recouvrant qu'imparfaitement la distinction entre espaces privés et espaces publics, la circulaire s'est efforcée de dresser un panorama de la jurisprudence en la matière, afin de montrer le caractère complexe de la notion et d'insister sur la nécessité de la manier avec précaution. C'est à ce titre qu'est rappelé un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 27 novembre 1996 dans lequel il est affirmé « que le bloc opératoire d'un établissement de santé ne saurait constituer pour celui-ci un domicile ». Si ce rappel a pour objet d'illustrer la subtilité de la notion de domicile dans la jurisprudence, il ne saurait être compris comme remettant en cause la règle fondamentale qui veut que toute personne en état de nécessité doit être accueillie et soignée, quelle que soit sa situation administrative. La circulaire souligne d'ailleurs expressément que les espaces privés que constituent par exemple les chambres des patients et les bureaux individuels du personnel médical doivent être considérés comme des domiciles. Il convient enfin de rappeler que les opérations de police judiciaire - y compris celles menées dans le cadre de la lutte contre l'immigration irrégulière - sont placées sous le contrôle de l'autorité judiciaire qui est, aux termes de l'article 66 de la Constitution, la gardienne de la liberté individuelle.

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