Question de Mme LUC Hélène (Val-de-Marne - CRC) publiée le 14/09/2006

Mme Hélène Luc attire l'attention de Mme la ministre de la défense sur les faits qui ont été évoqués lors d'un colloque tenu à Papeete, du 27 juin au 2 juillet derniers, à l'occasion du 40ème anniversaire du début de la campagne d'essais nucléaires en Polynésie française.
Ce colloque a réuni des scientifiques, des juristes, des responsables d'associations, des parlementaires de différents pays, ainsi que des personnes ayant eues à subir elles-mêmes les conséquences néfastes de ces essais. Le colloque a entendu des communications scientifiques et des témoignages qui tous tendaient à établir un lien de causalité entre les essais nucléaires pratiqués par notre pays et certaines pathologies observées sur des civils ou des militaires présents à l'époque sur les sites, tant polynésiens que sahariens.
Dans un souci d'honnêteté et de transparence envers ces personnes, et pour répondre aux demandes de nombreuses associations, dont l'AVEN (association des victimes des essais nucléaires) et "Mururoa et Tatou", elle lui demande de prendre la décision de lever le secret défense sur des documents émanants du Service mixte de sécurité radiologique (SMSR) et du Service mixte de contrôle biologique (SMCB).
Ceci permettrait de procéder à des études aux réelles garanties scientifiques qui évalueraient, à sa juste mesure, l'impact réel de ces essais sur la santé des populations et leur environnement.

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Réponse du Ministère de la défense publiée le 11/10/2006

Réponse apportée en séance publique le 10/10/2006

M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc, auteur de la question n° 1112, adressée à Mme la ministre de la défense.

Mme Hélène Luc. Madame la ministre, au mois de février dernier, j'avais assisté à la conférence de presse donnée à l'Assemblée nationale par les membres de la commission d'enquête constituée par le gouvernement de la Polynésie française sur les conséquences des essais nucléaires que nous avions effectués entre 1966 et 1996.

Les conclusions de cette commission d'enquête tendaient à démontrer la dangerosité de ces essais pour les populations locales, ainsi que pour les civils et les militaires présents sur les sites.

Par la suite, à la fin juin, j'ai participé, à Papeete, à un colloque international organisé à l'occasion des célébrations du quarantième anniversaire des premiers essais nucléaires en Polynésie française et réunissant des scientifiques, des juristes, des responsables d'associations, des parlementaires de différents pays de la région, des personnes ayant eu elles-mêmes à subir les conséquences néfastes de ces essais, ainsi que des veuves de Polynésie, de France et du Sahara. Certains moments, madame la ministre, ont été difficiles à supporter.

Ce colloque a donné lieu à des communications scientifiques et des témoignages, qui tendaient tous à établir un lien de causalité entre les essais nucléaires pratiqués par notre pays et certaines pathologies observées sur des civils ou des militaires présents à l'époque - on estime leur nombre à 150 000 au total - sur les sites tant polynésiens que sahariens.

L'association polynésienne Mururoa e Tatou a constaté que 80 % de ses membres souffraient de pathologies de la thyroïde, de cancers du poumon ou de la peau et que les femmes polynésiennes mouraient trois fois plus de cancers qu'en métropole. L'association des vétérans des essais nucléaires, l'AVEN, a pour sa part montré, dans une enquête réalisée auprès de 16 000 vétérans, que 36 % d'entre eux sont affectés de cancers, soit deux fois plus que la population française du même âge.

Ces éléments ont été confortés par une étude épidémiologique réalisée par un médecin chercheur à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, l'INSERM, qui a démontré que le lien entre les retombées et le nombre de cancers de la thyroïde en Polynésie pouvait être considéré comme acquis. Cette étude a été relayée au mois d'août par toute la presse nationale et régionale. De nombreux Français ont découvert ce problème, qui appelle des réponses.

Or, récemment, le délégué à la sûreté nucléaire de la défense que vous avez missionné, M. Jurien de la Gravière, a présenté, à Papeete, aux responsables polynésiens le bilan complet de son étude sur les retombées radioactives des essais nucléaires. Il conclut à la dangerosité de dix d'entre eux sur quarante et un, dont six ont concerné les populations polynésiennes - jusqu'ici, la version officielle était de parler d'essais « propres » -, et il préconise en conséquence un suivi médical des populations concernées.

M. Jurien de la Gravière fait également des propositions pour la surveillance de certains sites, autres que Mururoa et Fangataufa, et la destruction ou la réhabilitation d'anciennes installations laissées à l'abandon sur les îles de Mangareva, Tureia et Hao. Grâce à l'émission « Envoyé spécial » de jeudi dernier, nous avons pu nous rendre compte de la situation révoltante dans laquelle ces îles ont été laissées après les essais nucléaires, là où la nature est d'une grande beauté.

Vous savez pourtant, madame la ministre, que ce premier bilan des données radiologiques est déjà contesté par les associations, car il leur semble partial. En outre, dans la mesure où certaines données à partir desquelles de nouveaux calculs ont été effectués par M. de la Gravière sont couvertes par le secret-défense, cette étude n'offre pas toutes les garanties de transparence.

Madame la ministre, dans le souci de clarté dont vous vous réclamez, à juste titre, à l'égard des militaires ayant servi sur ces sites, des personnels civils, des populations et des associations, et pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté, je vous demande de lever le secret-défense sur l'ensemble des documents émanant du service mixte de contrôle biologique et du service mixte de sécurité radiologique. Cela permettrait à d'autres scientifiques de réaliser, s'ils le souhaitent, une étude indépendante sur le même sujet.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Madame la sénatrice, en matière de défense, notamment dans le domaine des essais nucléaires, la France n'a rien à craindre de la transparence.

Nous sommes suffisamment forts et fiers de nos actions pour pouvoir dire ce qui a été fait et, le cas échéant, pour en tirer les conséquences lorsque certaines personnes peuvent souffrir des conséquences d'une activité. C'est ma politique, et je crois que nous avons tout à y gagner.

Les essais nucléaires dans le Pacifique font partie de l'histoire de notre pays. Ils nous permettent aussi d'être aujourd'hui protégés contre des risques qui, nous l'avons constaté hier encore, sont toujours actuels.

Il me paraît indispensable de dépassionner le débat, contrairement à ce que certains essaient de faire en suscitant des peurs ou des rancoeurs qui n'ont pas lieu d'être. Le dialogue et la concertation doivent permettre de pratiquer une politique de transparence.

C'est dans cet esprit que j'ai créé avec le ministre de la santé au cours de l'été 2003, à la demande de M. le Président de la République, un comité de liaison pour la coordination du suivi sanitaire des essais nucléaires français - c'était une première -, qui a rendu public un premier rapport d'étape en avril 2005.

Par ailleurs, en octobre 2005, j'ai mandaté M. de la Gravière, délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la défense, afin de reprendre localement le dialogue avec les membres du gouvernement polynésien, les parlementaires, les élus et les représentants de la société civile.

Le délégué à la sûreté nucléaire s'est rendu à trois reprises en Polynésie, notamment la semaine dernière, en vue de répondre en particulier aux demandes d'information émises par le conseil d'orientation pour le suivi des conséquences des essais nucléaires.

Un travail complet, sur le plan technique, a été engagé par le Commissariat à l'énergie atomique et par le département de suivi des centres d'expérimentation nucléaire de la délégation générale pour l'armement afin de vérifier concrètement les conséquences radiologiques des essais et d'affiner l'évaluation de leurs effets.

Le délégué à la sûreté nucléaire a, dans ses déplacements du mois d'avril et d'octobre, commenté et expliqué les premiers résultats obtenus, qui confirment les mesures prises à l'époque.

D'ici à la fin de l'année, le ministère de la défense et le Commissariat à l'énergie atomique publieront un ouvrage sur l'ensemble des essais nucléaires français dans le Pacifique complétant les données qui ont déjà été fournies. Ainsi, l'ensemble des données radiologiques des essais nucléaires dans le Pacifique auront été publiées.

En revanche, madame Luc, je ne peux pas lever le secret-défense sur les documents émanant du service mixte de sécurité radiologique et du service mixte de contrôle biologique sans contrevenir à nos obligations internationales en la matière. Je n'ai pas le droit de le faire. Néanmoins, je n'exclus pas que des scientifiques dûment habilités et travaillant dans un cadre très précis puissent avoir accès à ces dossiers.

Quant au colloque auquel vous avez participé et auquel l'État n'était pas invité, les affirmations qui y ont été formulées reposent sur des travaux qui, à ce jour, n'ont pas été publiés et dont la valeur scientifique ne peut donc pas être appréciée.

Pour pouvoir estimer la valeur de ces travaux - et je me prononce ni dans un sens ni dans l'autre -, j'ai personnellement saisi l'Académie des sciences et l'Académie nationale de médecine afin qu'elles puissent, dès que ces travaux seront publiés, nous éclairer sur la validité de leurs conclusions. Ces avis, bien entendu, seront rendus publics. Comme vous pouvez le constater, madame la sénatrice, ma volonté de transparence est entière et concrète. Ce ne sont pas là simplement des paroles ; en témoignent toutes celles qui ont été suivies d'actes depuis maintenant plusieurs années.

À cet égard, je tiens à souligner, mesdames, messieurs les sénateurs, que la France est le seul État doté d'armes nucléaires à pratiquer une telle politique de transparence sur ses essais. Ce point mérite d'être souligné et salué. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc.

Mme Hélène Luc. Madame la ministre, je ne peux pas être complètement satisfaite de votre réponse dans la mesure où vous ne pouvez pas lever le secret-défense.

Néanmoins, je prends acte de vos engagements et de votre volonté de dépassionner le débat, d'engager un dialogue et de pratiquer la transparence.

Avec le rapport de M. de la Gravière, nous avançons à petits pas dans la reconnaissance de la nocivité des essais nucléaires de la France. L'action engagée par les associations et soutenue par Me Tessonière a certes beaucoup aidé à faire progresser le dossier. Mais, au regard de la complexité et de l'ampleur du problème, nous sommes encore loin du compte. Demeure toute la question des essais souterrains et de ceux du Sahara.

Sur le fond, les associations notamment veulent obtenir, grâce à une étude impartiale, que l'État reconnaisse, comme l'ont fait les Américains et les Britanniques, que les essais nucléaires français ont eu des conséquences dommageables pour les populations civiles et les militaires, ainsi que pour l'environnement.

Madame la ministre, votre réponse rejoint la proposition que j'allais vous faire. Si la levée du secret-défense sur certaines données ne vous semble pas réalisable, car elle nuirait à notre sécurité - ces essais datent de quarante ans ! - des scientifiques dûment habilités pourraient avoir accès au dossier pour mener à bien une étude indépendante ; je pense, par exemple, à M. de Vathaire.

J'ai conscience que vous avez hérité d'une situation difficile. Mais le temps est venu de faire toute la lumière sur les conséquences de ces essais nucléaires et de les assumer. Les victimes civiles et militaires en ont besoin pour retrouver leur dignité et pour bénéficier d'une indemnisation, comme les veuves que j'ai entendues témoigner à Papeete en ont besoin pour faire leur deuil.

Madame la ministre, vous pourriez rester dans l'histoire comme celle qui aura créé les conditions de la transparence, ce qui serait de nature à améliorer nos rapports avec la Polynésie française et à développer le tourisme.

De son côté, M. de la Gravière doit également mesurer toute la difficulté de sa tâche afin que les vaines polémiques soient évitées. Le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a accepté de l'auditionner, ce qui ne s'est jamais fait.

Au moment où la Corée du Nord vient d'effectuer ses premiers essais nucléaires, où le droit international n'est pas respecté, le monde a peur de la prolifération des armes nucléaires. Il faudra bien un jour interdire ces essais pour sauver les hommes et la planète, car ils ont déjà tué, notamment dans les îles Marshall et Fidji.

Un groupe de sénateurs appartenant à toutes les tendances politiques vient de se constituer pour lutter contre la prolifération des armes nucléaires, car nous ne voulons plus jamais revoir ce qui s'est passé au Japon.

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