Question de Mme BOUMEDIENE-THIERY Alima (Paris - SOC-R) publiée le 18/10/2007

Mme Alima Boumediene-Thiery interroge M. le ministre des affaires étrangères et européennes sur la situation des Roms en France. Depuis le 1er janvier 2007, les Roumains et les Bulgares sont devenus citoyens européens. Par voie de conséquence, de nombreux Roms établis en France sont devenus, de droit, des citoyens européens. Cependant, si les Roms sont désormais citoyens européens, ils ne peuvent encore accéder à la liberté d'installation avant la fin d'une période transitoire qui peut durer jusqu'en 2014. Ces restrictions de l'accès à l'emploi ont un effet désastreux sur le quotidien et la vie des Roms en France. La communauté rom ne cesse de faire l'objet, depuis des années, de discriminations dans divers domaines : accès à l'emploi, à la scolarisation, à la formation professionnelle, à l'alphabétisation. Cette situation a un impact direct sur la capacité de cette communauté à s'intégrer. Elle est d'ailleurs la cause de la précarité dans laquelle vivent aujourd'hui de nombreux Roms, occupant par nécessité des aires de stationnement ou logeant dans des bidonvilles que de nombreux maires souhaiteraient voir disparaître du territoire de leur commune. En dépit de l'existence de différents dispositifs législatifs visant à améliorer la condition des Roms en France, elle souhaite savoir si des dispositions spécifiques seront adoptées afin de permettre à ces citoyens européens de bénéficier du principe d'égalité entre citoyens européens. Elle souhaiterait également savoir si le Gouvernement est prêt à mettre en oeuvre des réponses durables à la question du logement des Roms, à l'instar de la communauté urbaine de Nantes Métropole où 180 Roms, dont 60 enfants, ont été logés dans des mobil-homes équipés.

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Transmise au Ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales


Réponse du Ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales publiée le 07/11/2007

Réponse apportée en séance publique le 06/11/2007

Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, auteur de la question n° 65, transmise à Mme le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame le ministre, depuis le 1er janvier 2007, la Roumanie et la Bulgarie sont entrées dans l'Union européenne. Par voie de conséquence, les Roms originaires de ces deux États sont devenus, de plein droit, citoyens européens.

Cependant, même si ces Roms bénéficient du droit à la libre circulation, ils ne peuvent bénéficier pleinement ni du droit au séjour ni du droit d'accès au travail, car ils sont soumis à des règles particulières pendant toute la période transitoire prévue par le traité d'adhésion. La restriction légale d'accès à l'emploi peut courir jusqu'en 2014.

Ces restrictions ont un effet désastreux sur le quotidien des Roms roumains et bulgares qui vivent en France. En effet, celui qui ne peut ni travailler, ni se loger, ni se nourrir, ni se soigner, ne peut pas vivre dignement : il ira donc s'installer, à son grand désarroi, dans des bidonvilles.

Pour m'être rendue dernièrement dans plusieurs de ces bidonvilles du Val-d'Oise, à Bessancourt, à Pierrelaye ou à Taverny, je peux témoigner de l'effrayante pauvreté et de la précarité des familles. J'ai été choquée par l'insalubrité, la misère, le manque d'hygiène, l'état de santé, l'absence de scolarisation des enfants. Ces personnes vivent dans le dénuement le plus total, au milieu des ordures, des rats, sans eau, ni électricité, ni chauffage...

Cette carence est directement imputable à l'État et aux collectivités territoriales mais aussi à un vide juridique européen. Toutefois, notre immobilisme pourrait être qualifié de non-assistance à personne en danger.

Le 22 décembre 2006, une circulaire du ministère de l'intérieur précisait les modalités d'admission au séjour et d'éloignement des ressortissants roumains et bulgares avec, bien sûr, l'idée de les renvoyer le plus vite possible. M. Hortefeux a même rappelé son souhait de trouver un moyen de raccompagner les Roumains et les Bulgares dans leur pays. Pourquoi ? La réponse est simple : en 2006, 6 000 des 24 000 expulsés étaient des Roms, preuve qu'ils servent de boucs émissaires pour remplir les quotas d'expulsions annuels et faire du chiffre, puisque telle est la politique actuelle !

Ainsi, des « obligations à quitter le territoire français », les fameuses OQTF, sont distribuées à tour de bras et le seul moyen d'y échapper est d'accepter l'aide au retour de l'Agence nationale d'accueil des étrangers et des migrations, l'ANAEM. En fait, on leur donne le choix entre deux formes de reconduite, sans même chercher à mettre en place une vraie politique d'intégration de ces populations qui, demain, resteront là, bien ancrées. Aucun dispositif n'existe, si ce n'est dans quelques villes.

Je dois souligner le cas de Nantes, où 180 Roms, dont 60 enfants, ont été logés dans des mobile homes équipés sur des terrains avec sanitaires, mis à disposition par la communauté urbaine de Nantes Métropole.

Je sais que d'autres villes consentent aussi d'énormes efforts sur ce plan.

Vous me direz que la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage vise précisément à encadrer le stationnement des Roms, en favorisant la mise en place d'aires de stationnement pour les gens du voyage. Cependant, connaissez-vous exactement le nombre des communes qui respectent les obligations découlant de cette loi ?

Au début de 2005, 1 460 aires d'accueil restaient à créer, 260 étaient dans l'attente d'une réhabilitation, tandis que seulement 7 000 places ont été créées sur les 30 000 prévues !

Depuis l'entrée en vigueur de la loi, on le sait, certaines communes se désistent et laissent en fait à d'autres le soin de prendre en charge cette action. En outre, de nombreuses lois ont été votées qui visent à renforcer considérablement les procédures destinées à faciliter l'expulsion des gens du voyage.

Les « lois Sarkozy » de 2003 et de 2007 ont ainsi introduit des délits spécifiques liés au stationnement des gens du voyage. Selon les propres mots de M. Sarkozy, leur objet est de sanctionner pénalement l'occupation illégale de propriétés privées ou publiques et d'accélérer la construction d'aires d'accueil pour les gens du voyage. Malheureusement, cet effort en matière de construction d'aires d'accueil se fait attendre...

En définitive, cet arsenal législatif ne sert aujourd'hui qu'à une chose : chasser les Roms considérés comme indésirables, sans même réfléchir aux moyens de leur insertion et au respect effectif de leurs droits fondamentaux, comme l'accès aux soins ou l'accès à l'éducation pour les enfants.

Il est grand temps, madame le ministre, de mettre en place une vraie politique d'insertion de ces populations. Les Roms sont déjà citoyens européens, ils le seront plus encore dans un avenir proche, à l'issue de la période transitoire, mais ils sont aussi pleinement européens par leur histoire. Ils aspirent, comme tous les citoyens européens, à accéder aux services élémentaires, notamment en matière de logement, d'éducation, de soins. Il ne sert à rien de vouloir les chasser car, en tant que citoyens européens, ils ont le droit d'aller et venir : après qu'ils auront été expulsés, ils pourront revenir une fois de plus.

Il faut au contraire encourager, conjointement avec les communes, les projets d'insertion visant à mettre en place un accompagnement social des familles, dans leurs démarches pour accéder à l'emploi, à la scolarisation des enfants, à l'alphabétisation, en particulier des femmes, et à la formation professionnelle.

L'État a le devoir de s'engager, avec l'aide des collectivités territoriales, des associations et des personnes concernées qui oeuvrent déjà sur ces questions, pour élaborer des réponses durables et respectueuses de la dignité humaine. La France exercera bientôt la présidence de l'Union européenne : ce serait un signe fort de sa part que de trouver une solution pour permettre l'intégration de ces citoyens européens.

Madame le ministre, ma question est simple : quelles mesures comptez-vous prendre pour instaurer une vraie politique d'insertion des Roms en France, pour mettre un terme aux souffrances qu'ils endurent au quotidien, à la misère qu'ils vivent, à la suspicion généralisée qui pèse sur leur communauté et à l'aggravation d'un racisme qui les exclut toujours davantage ?

Mme la présidente. La parole est à Mme le ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. Madame le sénateur, il est parfois difficile à nos concitoyens de cerner les différences de statuts et, par conséquent, de comprendre la variété des textes qui les régissent.

Ainsi, il faut d'abord rappeler que les personnes désignées sous le terme générique de « Roms » sont des ressortissants des pays de l'Europe de l'Est : ce ne sont ni des citoyens français ni des populations de tradition nomade ; il s'agit de populations sédentaires provenant en majorité, comme vous l'avez dit, de Roumanie et de Bulgarie.

Les Roms n'appartiennent donc pas à la communauté des gens du voyage, lesquels, aux termes de la loi du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe, doivent être en possession d'un titre de circulation. Ce sont deux catégories différentes, et les Roms ne relèvent donc pas du dispositif d'accueil des gens du voyage qui a été prévu par la loi du 5 juillet 2000.

Ces ressortissants de pays désormais membres de l'Union européenne entrent donc librement sur le territoire national et sont soumis à l'application des dispositions transitoires qui s'appliquent aux nationaux de ces pays. Ils sont traités de la même façon que tous les nationaux des pays d'Europe de l'Est membres de l'Union européenne qui entrent en France.

Cela étant, vous avez évoqué les conditions de vie souvent précaires des Roms présents sur notre territoire. Je souligne une nouvelle fois que leur sont appliqués les textes régissant l'ensemble de leurs compatriotes. Ils sont traités, au regard notamment des règles du séjour et de l'accès au travail, comme le sont tous les autres ressortissants des nouveaux États membres de l'Union européenne soumis au régime transitoire.

C'est la raison pour laquelle les Roms bénéficient de la liberté de circulation et du droit de séjourner sur notre territoire en qualité de non-actifs, puisque c'est bien ce qui est prévu dans les textes européens. À ce titre, comme tous les ressortissants communautaires, ils doivent satisfaire aux conditions de ressources et de protection sociale qui sont requises non par la réglementation ou par la législation françaises, mais bien par la réglementation européenne. Nous sommes en Europe, nous acceptons les textes européens, nous appliquons les textes européens.

Conformément aux dispositions des traités d'adhésion signés par leurs pays d'origine, les Roms ne disposent donc pas de la liberté d'installation reconnue aux travailleurs salariés. Telles sont aussi les dispositions transitoires. Pour pouvoir éventuellement exercer une activité, il leur faut obtenir, au préalable, un titre de séjour, comme le prévoient les textes européens, et une autorisation de travail, laquelle peut, le cas échéant, leur être refusée en raison de la situation de l'emploi.

Encore une fois, nous ne faisons là qu'appliquer la législation européenne. Je dirais même que nous le faisons avec une certaine souplesse, puisque nous appliquons aussi à ces populations une partie du statut des gens du voyage, s'agissant notamment du stationnement sur les aires d'accueil.

À cet égard, il est vrai que toutes les communes n'ont pas satisfait à l'obligation de création de telles aires d'accueil qui s'impose à elles. Je suis d'accord avec vous sur ce point.

Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Il est vrai que ces personnes étaient à l'origine sédentaires ; en tout cas, elles l'étaient en Roumanie et en Bulgarie. Elles ne font donc pas partie de la communauté des gens du voyage.

En revanche, elles sont, malheureusement pour elles, devenues de fait des gens du voyage, parce que leur situation les y a contraintes. D'ailleurs, les Roms, qui appartiennent souvent à la communauté tzigane, rencontrent également des difficultés en Roumanie et en Bulgarie, où ils sont en butte au racisme. Ainsi, très souvent, si les Roms décident de venir en France, c'est pour se protéger ou pour échapper aux discriminations et au racisme dont ils sont victimes dans leur pays d'origine.

Vous me répondez en invoquant des textes, madame le ministre. Vous avez raison, les textes sont les textes, et, malheureusement, si les Roms ont le droit de séjourner dans notre pays, ce droit est strictement limité. Mais comment peuvent-ils exercer leur droit au séjour s'ils n'ont pas le droit de travailler ? Comment obtenir des ressources pour pouvoir subvenir aux besoins de la vie quotidienne sans avoir accès au travail ?

J'ai l'impression qu'il s'agit là d'une forme de schizophrénie : en même temps qu'on les accepte comme Européens et qu'on leur concède le droit de venir en France, de circuler librement et de séjourner sur notre territoire, on leur interdit de travailler. Vont-ils être contraints à voler pour pouvoir nourrir leur famille ? Leur situation est impossible !

Nous devons être cohérents : si l'on accepte les Roms sur le territoire national, il faut leur donner le droit de travailler pour subvenir à leurs besoins. C'est la moindre des choses.

Mais, au-delà de l'accès au travail, ce sont bien les droits fondamentaux de la personne humaine qui sont en question : il s'agit ici de femmes, d'enfants, de vieillards. J'ai été choquée de voir des enfants qui n'ont même pas droit à la scolarité ou à la santé, qui n'ont pas accès à l'eau courante, qui sont parfois attaqués par des rats, qui circulent pieds nus ! On n'a pas le droit, dans un pays comme la France, de ne pas penser à ces enfants. Il existe, dans notre pays, des droits fondamentaux, des lois protégeant l'enfance, et nous devons au moins mettre en oeuvre les dispositifs existants pour protéger ces familles et ces enfants, même si les Roms n'ont pas le droit de travailler.

Dans cette perspective, peut-être doit-on procéder à des réquisitions, imposer à certaines communes de prendre les mesures nécessaires pour permettre à ces populations de vivre dans des conditions minimales de dignité et de propreté. Surtout, il s'agit d'éviter le drame qui se profile à l'horizon. N'oublions pas en effet que, demain, à l'expiration du régime transitoire, les Roms seront pleinement des citoyens européens : que leur répondrons-nous alors quand ils nous demanderont comment nous avons pu les traiter de cette manière lorsqu'ils étaient enfants ?

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