Question de M. SUEUR Jean-Pierre (Loiret - SOC) publiée le 23/10/2008

M. Jean-Pierre Sueur appelle l'attention de M. le ministre des affaires étrangères et européennes sur les conditions de la disparition le 3 février 2008 à N'Djamena d'un militant tchadien des droits de l'homme, responsable politique important, ancien recteur, ancien ministre, docteur en mathématiques de l'Université d'Orléans et dont un rapport officiel a évoqué le décès. Il s'agit du rapport, rendu public le 3 septembre 2008, de la « commission d'enquête sur les événements survenus en République du Tchad du 28 janvier au 8 février et leurs conséquences ». Ce rapport indique que ce militant : « étant la seule victime à ne pas être réapparue, il est en effet permis de penser qu'il serait désormais décédé : soit en succombant aux mauvais traitements qu'il aurait subis (coups, tortures, manque de soins et de médicaments, etc.), soit en ayant été assassiné, s'agissant en l'occurrence d'un assassinat politique ». Les investigations concernant la disparition de ce militant ont été menées au sein de cette commission par un groupe restreint composé de cinq personnes dont quatre experts internationaux qui ont auditionné plus de quarante témoins. Ce rapport établit la responsabilité de l'État tchadien dans les termes suivants : « Ces disparitions sont intervenues au moment où l'armée gouvernementale avait repris le contrôle de la situation dans la ville de N'Djamena. Par conséquent, d'une part ces actes sont imputables à l'État tchadien et (…) il en est de même d'autre part des arrestations et détentions arbitraires et d'enlèvements des personnalités politiques dont il est question dans le rapport ». Ce rapport indique que : « La preuve parfaite du sort » de ce militant « sera vraisemblablement impossible à trouver sans une volonté des plus hautes autorités de l'État. L'implication d'un service étatique, en l'occurrence l'armée nationale tchadienne, étant parfaitement démontrée, seule cette volonté de l'État tchadien serait susceptible de permettre la manifestation de la vérité, l'identification des auteurs et leur traduction devant la justice ». Les observateurs de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) et de l'Union européenne (UE) ont considéré, quant à eux, dans une déclaration publique, que « la manifestation de la vérité n'a pu être faite sur certaines affaires, en particulier sur le cas emblématique de la disparition » de cet opposant politique. Ils « le regrettent et réaffirment leur attachement profond à ce que toute la lumière soit faite sur ces faits graves, estimant que les travaux de la commission d'enquête ne doivent constituer qu'une première étape de cette recherche de la vérité et de la justice ». Il lui demande en conséquence quelles dispositions et initiatives concrètes le Gouvernement compte prendre pour que toute la lumière soit faite sur les conditions dans lesquelles ce militant a disparu et sur les responsabilités effectives et précises dans le sort tragique qui a été le sien.

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Réponse du Secrétariat d'État chargé de la coopération et de la francophonie publiée le 29/10/2008

Réponse apportée en séance publique le 28/10/2008

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la question n° 318, adressée à M. le ministre des affaires étrangères et européennes.

M. Jean-Pierre Sueur. Je souhaite interroger M. le ministre des affaires étrangères sur les conditions de la disparition, le 3 février 2008 à N'Djamena, d'Ibni Oumar Mahamat Saleh, militant des droits de l'homme, responsable politique très important du Tchad, ancien recteur, ancien ministre et docteur en mathématiques de l'université d'Orléans.

Sa disparition a suscité beaucoup d'émotion dans la communauté mathématique mondiale ; de nombreuses personnes se mobilisent sur cette question, en particulier au Sénat, où cinquante sénateurs et sénatrices, appartenant à tous les groupes politiques, ont apporté leur soutien à la cause de ce militant et homme politique.

Comme vous le savez, un rapport officiel a récemment évoqué son décès possible. II s'agit du rapport de la commission d'enquête sur les événements survenus en République du Tchad du 28 janvier au 8 février et leurs conséquences, rendu public le 3 septembre 2008.

Ce rapport indique que ce militant « étant la seule victime à ne pas être réapparue, il est en effet permis de penser qu'il serait désormais décédé : soit en succombant aux mauvais traitements qu'il aurait subis – coups, tortures, manque de soins et de médicaments, etc. –, soit en ayant été assassiné, s'agissant en l'occurrence d'un “assassinat politique” ».

Les investigations concernant la disparition de M. Ibni Oumar Mahamat Saleh ont été menées, au sein de cette commission, par un groupe restreint composé de cinq personnes, dont quatre experts internationaux, qui ont auditionné plus de quarante témoins. Le rapport établit la responsabilité de l'État tchadien dans les termes suivants : « ces disparitions sont survenues au moment où l'armée gouvernementale avait repris le contrôle de la situation dans la ville de N'Djamena. Par conséquent, d'une part ces actes sont imputables à l'État tchadien et [...] il en est de même d'autre part des arrestations et détentions arbitraires et d'enlèvements des personnalités politiques dont il est question dans le rapport ».

Ce rapport estime aussi que « la “preuve parfaite” du sort » de M. Ibni Oumar Mahamat Saleh « sera vraisemblablement impossible à trouver sans une volonté des plus hautes autorités de l'État. L'implication d'un service étatique, en l'occurrence l'armée nationale tchadienne, étant parfaitement démontrée, seule cette volonté de l'État tchadien serait susceptible de permettre la manifestation de la vérité, l'identification des auteurs et leur traduction devant la justice ».

Par ailleurs, les observateurs de l'Organisation internationale de la francophonie, l'OIF, et de l'Union européenne ont considéré, quant à eux, dans une déclaration publique, que « la manifestation de la vérité n'a pu être faite sur certaines affaires, en particulier sur le cas emblématique de la disparition » de cet opposant politique.

Ils « le regrettent et réaffirment leur attachement profond à ce que toute la lumière soit faite sur ces faits graves, estimant que les travaux de la commission d'enquête ne doivent constituer qu'une première étape de cette recherche de la vérité et de la justice ».

J'ajoute un élément nouveau, apparu depuis le dépôt du texte de la présente question. Le 20 septembre 2008, un arrêté a été pris par le gouvernement tchadien. Cet arrêté met en place un sous-comité technique auprès du comité de suivi du rapport d'enquête sur les événements survenus en République du Tchad du 28 janvier au 8 février 2008 et sur leurs conséquences.

J'ai ici la composition de ce sous-comité technique. (L'orateur brandit un document.) Il comprend onze personnes, parmi lesquelles figurent dix membres du gouvernement et le secrétaire général de la présidence de la république tchadienne ! Il me semble que cela démontre, à l'évidence, que les conditions ne sont pas réunies pour que cette instance ait une quelconque indépendance par rapport aux autorités tchadiennes, et en particulier au pouvoir exécutif ; c'était le cas de la commission ayant établi le rapport d'enquête et du comité de suivi.

Vous le savez, monsieur le secrétaire d'État, beaucoup de Français sont attentifs à cette question et sont très préoccupés du sort réservé à M. Ibni Oumar Mahamat Saleh, de même que de nombreux Tchadiens résidant en France et en Europe, mais aussi, bien sûr, au Tchad.

Au vu de ces éléments, quelles dispositions et initiatives concrètes le gouvernement français entend-il prendre pour que toute la lumière soit faite sur les conditions dans lesquelles M. Ibni Oumar Mahamat Saleh a disparu et sur l'attribution des responsabilités effectives et précises dans le sort tragique qui a été le sien ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie.

M. Alain Joyandet, secrétaire d'État chargé de la coopération et de la francophonie. Lors de l'offensive menée au Tchad, au début de l'année 2008, à partir du territoire soudanais, par des groupes armés, trois opposants tchadiens ont disparu.

Nous en avons été alertés dès le 3 février et nous avons immédiatement pris contact avec les plus hautes autorités tchadiennes pour nous enquérir de la situation de ces personnes.

Deux d'entre elles sont rapidement réapparues. Malheureusement, M. Ibni Oumar Mahamat Saleh, porte-parole de la Coordination des partis politiques pour la défense de la constitution, la CPDC, fondée en 2004, et président du parti pour les libertés et le développement, est toujours introuvable.

Depuis que nous avons eu connaissance de sa disparition, nous avons constamment eu à cœur d'obtenir des informations sur son sort. D'ailleurs, à la suite de la visite du Président Sarkozy au Tchad à la fin du mois de février, la France a vivement encouragé la création d'une commission d'enquête chargée de faire la lumière sur cette affaire.

Nous avons participé à cette commission en tant qu'observateurs, au titre de la troïka européenne, et nous avons appuyé ses travaux par l'envoi d'un expert technique.

Conformément aux engagements pris, cette commission a rendu son rapport le 5 août dernier au chef de l'État tchadien. Les autorités tchadiennes l'ont publié rapidement.

En ce qui concerne le cas emblématique d'Ibni Oumar Mahamat Saleh, le rapport constate effectivement qu'aucune information ou élément de preuve n'a pu être obtenu sur son lieu et ses conditions de détention, ainsi que sur son sort.

Néanmoins, la commission a établi un « faisceau de présomptions graves […] qui permettent de conclure, “au-delà de tout doute raisonnable”, à l'implication de l'armée nationale tchadienne » dans « une action concertée et organisée », réalisée sur ordre de la hiérarchie militaire ou « des instances supérieures de l'État tchadien ».

Par ailleurs, le rapport recommande de poursuivre les investigations policières et judiciaires, notamment s'agissant de l'enlèvement et de l'arrestation des dirigeants de l'opposition.

Nous réaffirmons notre attachement profond à ce que toute la lumière soit faite sur le sort réservé à M. lbni Oumar Mahamat Saleh, en particulier par le lancement des procédures judiciaires et des enquêtes internes, en vue de l'identification et de la comparution devant la justice des personnes accusées des actes les plus graves.

Le ministre des affaires étrangères et européennes a de nouveau exprimé cette position de la France à Mme Saleh, épouse de l'opposant disparu, qu'il a reçue le 30 septembre dernier. Cette rencontre a également été l'occasion pour M. le ministre de redire la disponibilité de la France pour aider la famille de Mme Saleh, actuellement installée à Orléans, ville dont vous êtes l'élu, monsieur Sueur.

Dans ce cadre, le gouvernement tchadien a déjà entrepris un certain nombre d'actions que vous avez rappelées. Un comité de suivi des recommandations du rapport de la commission d'enquête a été créé ; il s'est réuni à plusieurs reprises. De même, un sous-comité technique a été instauré, qui comprend quatre cellules chargées respectivement de la sécurité, de la justice, du soutien psychologique et matériel, et, enfin, de l'investigation économique et financière.

C'est sur ces instances de suivi que nous allons pouvoir appuyer notre action. Le gouvernement tchadien s'est encore récemment engagé à ce que les poursuites judiciaires débutent rapidement.

Nous menons actuellement une réflexion, en relation avec l'Organisation internationale de la francophonie et la Commission européenne, qui vise à proposer un appui coordonné au gouvernement tchadien. Plusieurs formules sont possibles : il peut s'agir d'établir un groupe de contact des observateurs, ou encore d'envoyer des experts techniques, à l'instar de ce qui s'est fait pour la commission d'enquête.

Mais notre action visera également à soutenir une approche compensatoire, nécessaire pour les victimes des arrestations et des viols.

La France n'oublie pas et n'oubliera pas M. Ibni Oumar Mahamat Saleh. Nous estimons donc que les travaux de la commission d'enquête ne doivent constituer qu'une première étape dans la recherche de la vérité et de la justice, et nous serons attentifs à l'application effective des recommandations émises dans le rapport.

Tels sont les éléments de réponse que je pouvais vous apporter, monsieur le sénateur.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Je voudrais vous remercier, monsieur le secrétaire d'État, pour cette réponse précise.

Deux points sont en effet fondamentaux. En premier lieu, bien sûr, il y a l'aide aux victimes. Il est important que M. Bernard Kouchner ait reçu personnellement Mme Saleh. Celle-ci y a été très sensible et, à cet égard, tout ce que la France pourra entreprendre sera évidemment précieux.

En second lieu, il y a la recherche de la vérité et les procédures judiciaires qu'il convient d'engager à l'encontre de ceux qui sont responsables de la disparition du grand militant politique de l'opposition tchadienne et des droits de l'homme qu'est M. Ibni Oumar Mahamat Saleh.

De ce point de vue, j'ai dit tout à l'heure que le sous-comité mis en place ne donnait peut-être pas – et vous comprendrez qu'il s'agit là d'un euphémisme ! – tous les gages d'indépendance nécessaires. C'est pourquoi, monsieur le secrétaire d'État, il m'apparaît très important que les engagements que vous avez pris dans la dernière partie de votre réponse se concrétisent, de manière que la France, s'appuyant sur les instances internationales et agissant avec l'Organisation internationale de la francophonie et l'Union européenne, fasse en sorte que la présence sur place d'intervenants et d'experts indépendants représentatifs de la communauté internationale soit clairement assurée.

Ainsi, les conditions pour que l'on connaisse la vérité pourront se trouver réunies. À cet égard, le rapport existant ne constitue qu'un premier élément. Il convient surtout que les responsabilités soient établies et que, par conséquent, les coupables soient sanctionnés par la justice.

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