Question de Mme VOYNET Dominique (Seine-Saint-Denis - SOC-R) publiée le 13/11/2008

Mme Dominique Voynet attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'instruction judiciaire relative au décès, le 27 octobre 2005, de deux adolescents à Clichy-sous-Bois dans un transformateur électrique. Ils n'avaient commis aucune infraction.
Après ce drame, plusieurs communes de Seine-Saint-Denis et, plus largement, des banlieues de notre pays, avaient été frappées par trois semaines de violences et d'affrontements.
Alors que l'instruction semblait enfin close, un nouveau juge a récemment repris le dossier, et entend organiser, trois ans après les faits, un nouveau transport sur les lieux le mois prochain, au risque de retarder davantage encore la venue de l'affaire à l'audience, comme l'ont relevé les avocats des familles des victimes.
Dans ce dossier, des mises en examen ont été prononcées de longue date. Nos concitoyens ne comprendraient pas que, s'agissant de fonctionnaires de police, se devant à ce titre d'être particulièrement exemplaires, la justice agisse moins bien et moins vite qu'envers tout autre justiciable.
Elle lui demande donc de confirmer que, d'une part, les forces de police ne font pas exception à la loi qui s'applique à tous les citoyens, et que, d'autre part, les instructions judiciaires mettant éventuellement en cause les agissements de fonctionnaires de police se déroulent dans les mêmes termes et selon le même souci d'indépendance vis-à-vis du Gouvernement que n'importe quelle autre instruction.

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Réponse du Secrétariat d'État chargé du développement de la région capitale publiée le 18/11/2008

Réponse apportée en séance publique le 17/11/2008

M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet, auteur de la question n° 341, adressée à M. Christian Blanc, secrétaire d'État chargé du développement de la région capitale.

Mme Dominique Voynet. Ma question, qui s'adressait initialement à Mme la garde des sceaux, concerne l'instruction judiciaire relative au décès, le 27 octobre 2005, de Zyed Benna et Bouna Traoré, âgés respectivement de dix-sept ans et de quinze ans, tous deux domiciliés à Clichy-sous-Bois.

Je suis élue d'un département dont la population, compte tenu de sa diversité, est confrontée à des conditions de vie encore plus difficiles, plus dures qu'ailleurs : parce qu'elle craint de ne pas trouver sa place, elle vit encore plus mal les injustices.

Je voudrais rendre compte de ce que nous constatons sur le terrain.

Nous ne pouvons pas faire un déplacement sans entendre évoquer, sinon une justice de classe – ces mots ne sont plus utilisés par personne –, du moins un système « deux poids, deux mesures ». On nous parle du zèle avec lequel ont été recherchés les voleurs d'une mobylette qui appartenait à un jeune homme au patronyme honorablement connu et de l'avancée, incompréhensiblement lente, de l'instruction judiciaire qui concerne le drame ayant frappé Clichy-sous-Bois.

Chacun se souvient de ce drame – deux adolescents ayant trouvé la mort dans un transformateur électrique et un troisième ayant été grièvement brûlé, alors que les uns et les autres n'avaient commis ni délit, ni infraction –, drame à la suite duquel des émeutes, des violences et des affrontements importants ont frappé la Seine-Saint-Denis et, plus largement, les banlieues et les quartiers de notre pays.

Trois ans ont passé depuis, sans que les conditions d'intervention ou, au contraire, de non-assistance des forces de police aient été établies.

Alors qu'un précédent juge considérait l'instruction close depuis pratiquement vingt mois, un nouveau juge a récemment repris le dossier et entend organiser prochainement un nouveau transport sur les lieux pour établir, de façon plus précise encore, la position des différents jeunes dans le transformateur au moment de leur décès. Ce faisant, la venue de l'affaire à l'audience semble encore retardée, comme l'ont relevé les avocats des familles des victimes.

Ce retard paraît d'autant moins compréhensible qu'il intervient dans un contexte de durcissement de l'arsenal répressif et alors que la justice est ordinairement sommée d'agir plus rapidement à l'égard des délinquants.

Dans ce dossier, les mises en examen ont été prononcées au mois de février 2007. Personne ne comprend que la justice prenne son temps. Nos concitoyens se demandent si l'implication de fonctionnaires de police, qui se doivent pourtant d'être particulièrement exemplaires, pourrait expliquer que la justice agisse moins bien et moins vite qu'envers quelque autre justiciable.

J'ai donc demandé à Mme la garde des sceaux de préciser si, d'une part, les forces de police ne font pas exception à la loi s'appliquant à tous les citoyens et si, d'autre part, les instructions judiciaires qui mettent éventuellement en cause les agissements de fonctionnaires de police se déroulent bien dans les mêmes termes et selon le même souci d'indépendance vis-à-vis du Gouvernement que n'importe quelle autre instruction.

Je sais bien que l'on va me répondre qu'il n'est pas question de donner des instructions à des juges, que le pouvoir politique ne saurait se livrer à des manipulations de cet ordre. Cependant, je voudrais plaider ici pour qu'on ne retarde pas encore de répondre, de façon précise, aux questions des familles qui se sont montrées d'une dignité exemplaire, qui ont constamment appelé au calme, qui jouent, aujourd'hui encore, un rôle de prévention, d'éducation et de médiation auprès de la municipalité de Clichy-sous-Bois et des associations, de ces familles que beaucoup admirent et qu'il n'est pas question de décevoir.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

Christian Blanc, secrétaire d'État chargé du développement de la région capitale. Madame le sénateur, je vais vous répondre, au nom de Mame Dati, garde des sceaux.

La France est un État de droit et, dans un État de droit, personne n'est au-dessus des lois. Je peux vous assurer que les forces de l'ordre, qui sont chargées de faire respecter la loi, n'échappent pas à cette règle fondamentale.

Je vous rejoins quand vous affirmez que la justice doit être la même pour tous, en tout lieu du territoire. C'est le sens de la politique que mène le garde des sceaux.

Les procédures judiciaires ne sont pas le règne de l'arbitraire. Elles sont régies, très précisément, par le code de procédure pénale.

Tout fait pour lequel un policier ou un gendarme est mis en cause fait systématiquement l'objet d'une enquête judiciaire. Pour ce type de fait, une information judiciaire est très fréquemment ouverte. C'est le cas de l'affaire que vous évoquez.

Ces informations judiciaires sont conduites par des juges d'instruction qui sont, comme vous le rappeliez, des magistrats totalement indépendants. Elles sont menées à charge et à décharge avec, pour unique objectif, la manifestation de la vérité.

Les investigations sont multiples. Elles sont parfois longues. Au cours de l'information, toutes les parties sont à égalité. Elles font valoir leurs droits et elles demandent l'accomplissement de tout acte qui leur paraît nécessaire. Elles disposent de voies de recours contre les décisions du magistrat instructeur.

La reconstitution que vous évoquez a déjà eu lieu, le 7 novembre 2008. Elle n'a donc pas retardé le cours de l'enquête. Tout gouvernement respecte, dans une république, l'indépendance du juge d'instruction. Celui-ci, en l'occurrence, n'a pas ordonné une reconstitution pour retarder l'issue du dossier, mais simplement parce qu'il la considérait comme indispensable.

Le juge d'instruction effectue son travail consciencieusement. Il va au fond des choses pour que son instruction puisse aboutir prochainement. Madame le sénateur, je crois qu'il nous faut tout simplement respecter cela.

M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.

Mme Dominique Voynet. Monsieur le secrétaire d'État, en ce qui concerne la reconstitution du 7 novembre dernier, permettez-moi de vous dire qu'une reconstitution avait déjà eu lieu, que le précédent juge considérait le dossier comme clos, depuis vingt mois déjà, et que ce dossier avait été validé, au mois de janvier dernier, par la cour d'appel de Paris. C'est dans ce contexte que nous nous sommes interrogés sur la nomination d'un nouveau juge, qui a demandé une nouvelle reconstitution.

Je profite de votre présence parmi nous pour signaler que le trouble des habitants de Clichy-sous-Bois est amplifié par l'incapacité dans laquelle se trouve l'État de respecter les engagements qu'il a pris à leur égard dans bien des domaines.

Je pense, en particulier, aux discriminations à l'emploi dont les jeunes sont victimes ou au retard de la mise en œuvre du « plan banlieue ». Je pense aux difficultés de financement de l'Agence Nationale de Rénovation Urbaine, l'ANRU, pour laquelle sont désormais mobilisés des crédits autrefois dédiés au logement et en provenance du 1 % logement. Je pense encore aux transports en commun. Je ne suis pas certaine que les habitants de Clichy-sous-Bois aient accueilli, d'un bon œil, l'annonce d'un métro automatique sur le plateau de Saclay, alors même que le projet de tramway, qui leur est promis depuis des années, ne s'est toujours pas concrétisé.

Monsieur le secrétaire d'État, au-delà des discours, il y a les faits ! J'espère que vous plaiderez pour qu'une réponse concrète soit apportée aux habitants de Clichy-sous-Bois en matière de justice, comme dans tous les autres domaines des politiques publiques. Nous disons « non » aux politiques d'exception : mettez en œuvre les politiques de droit commun !

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