Question de Mme PAYET Anne-Marie (La Réunion - UC) publiée le 21/05/2009

Mme Anne-Marie Payet appelle l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de la pêche sur les conséquences néfastes résultant de l'introduction de la tenthrède cibdela janthina, initialement destinée à lutter contre la vigne marronne.

Porté par le CIRAD et financé par la région, ce projet est lancé en février 2008 après réalisation d'une étude concluant que la larve de tanthrède se nourrit exclusivement de feuilles de vigne marronne, sans aucun risque de propagation aux autres végétaux. Les zones concernées – à savoir Bois Blanc et la Rivière de l'Est, sur la commune de Sainte-Rose - ainsi débarrassées de cette peste végétale, seraient progressivement colonisées par les plantes endémiques.

Si la nécessité de la lutte contre les pestes végétales n'est pas contestable, elle souligne qu'il est regrettable que le syndicat des apiculteurs de la Réunion n'ait pas été consulté avant la mise en œuvre de ce projet. En effet, certains apiculteurs réalisent jusqu'à 40 % de leur production de miel à partir du nectar de la vigne marronne. Or, à aucun moment leurs pertes économiques potentielles n'ont été chiffrées et aucun programme de compensation n'a été prévu.

Elle ajoute que, si faute de nourriture, l'abeille venait à disparaître de ces régions, l'impact sur l'agriculture serait d'autant plus considérable que 60 % de la production légumière et fruitière dépend de la pollinisation par les abeilles. Les pertes pour cette filière seraient donc colossales.

En 2009, le constat est sans appel. En premier lieu, la biodiversité n'a pas retrouvé sa place. En effet, la tenthrède s'est très bien adaptée à l'île et ses larves détruisent la vigne marronne beaucoup plus vite que le CIRAD ne l'avait prévu, laissant derrière elles de vastes pans de terres nues, très vite recolonisées par d'autres espèces envahissantes.

Par ailleurs, la tenthrède adulte en vient à concurrencer l'abeille. Les études préalables à leur introduction s'étaient focalisées uniquement sur les larves : or, devenues adultes, elles sont avides de nectar et concurrencent les abeilles sur leurs plantes de prédilection. Depuis le début de l'année, certains apiculteurs sur les zones concernées ont vu leur récolte de miel de baies roses chuter de plus de 80 % !

Elle soutient les apiculteurs du département et partage leurs préoccupations sur l'avenir de la filière.

Dans ce contexte, elle lui demande de bien vouloir lui faire part des mesures que le Gouvernement entend prendre pour remédier à cette situation, et notamment pour remplacer définitivement le programme d'introduction de la tanthrède cibdela janthina à la Réunion par un programme d'éradication, dont l'impact sur l'environnement et l'abeille serait minime.

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Réponse du Ministère de la Justice publiée le 24/06/2009

Réponse apportée en séance publique le 23/06/2009

La parole est à Mme Anne-Marie Payet, auteur de la question n° 559, adressée à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

Mme Anne-Marie Payet. Madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite attirer l'attention du ministre de l'agriculture et de la pêche sur les conséquences néfastes résultant de l'introduction à La Réunion de la tenthrède Cibdela janthina, initialement destinée à lutter contre la vigne marronne.

Pour la petite histoire, je précise que cette vigne marronne a été fort malencontreusement importée dans notre île, au début du peuplement, par un curé métropolitain mal inspiré qui pensait ainsi pouvoir produire lui-même son vin de messe.

Porté par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, le CIRAD, et financé par la région, ce projet est lancé en février 2008 après réalisation d'une étude concluant que la larve de tenthrède se nourrit exclusivement de feuilles de vigne marronne, sans aucun risque de propagation aux autres végétaux. Les techniciens du CIRAD pensaient que les zones concernées – à savoir Bois-Blanc et la Rivière de l'Est, sur la commune de Sainte-Rose –, ainsi débarrassées de cette peste végétale, seraient progressivement colonisées par les plantes endémiques.

Je rappelle aussi que CABI Bioscience, organisme de recherche spécialisé dans la lutte biologique contre les espèces envahissantes dont la compétence est reconnue sur le plan mondial, a procédé à une expertise scientifique du programme et a préconisé d'effectuer des tests complémentaires avant la phase de lâcher dans le milieu naturel, ce qui a conduit la région à émettre un avis réservé sur ce projet.

La nécessité de la lutte contre les pestes végétales n'est pas contestable, mais il est regrettable que le syndicat des apiculteurs de la Réunion n'ait pas été consulté avant la mise en œuvre du projet. En effet, certains apiculteurs réalisent jusqu'à 40 % de leur production de miel à partir du nectar de la vigne marronne. Or à aucun moment leurs pertes économiques potentielles n'ont été chiffrées, et aucun programme de compensation n'a été prévu. Si, faute de nourriture, l'abeille venait à disparaître de ces régions, l'impact sur l'agriculture serait d'autant plus considérable que 60 % de la production légumière et fruitière dépend de la pollinisation par les abeilles. Les pertes seraient donc colossales pour cette filière.

En 2009, le constat est sans appel. Tout d'abord, la biodiversité n'a pas retrouvé sa place. En effet, la tenthrède s'est très bien adaptée à l'île et ses larves détruisent la vigne marronne beaucoup plus vite que le CIRAD ne l'avait prévu, laissant derrière elles de vastes pans de terres nues très vite recolonisés par d'autres espèces envahissantes, pestes végétales encore plus difficiles à éradiquer tels le tabac-bœuf ou le miremia, variété de rose des bois sauvage non mellifère.

De plus, la tenthrède adulte en vient à concurrencer l'abeille. Les études préalables à son introduction s'étaient focalisées uniquement sur les larves : or, devenues adultes, elles sont avides de nectar et concurrencent les abeilles sur leurs plantes de prédilection. Les apiculteurs ont finalement obtenu la suspension des lâchers en avril dernier. Mais, depuis le début de l'année, certains apiculteurs, sur les zones concernées, ont vu leur récolte de miel de baies roses chuter de plus de 80 % ! Les fleurs de litchis vont bientôt faire leur apparition : j'espère qu'elles seront épargnées par ces insectes.

Madame la ministre, les apiculteurs du département doivent être soutenus. Certains sont en grande difficulté. Je partage leurs préoccupations sur l'avenir de la filière, mais aussi sur l'avenir de la filière fruits et légumes. Dans ce contexte, je vous demande de bien vouloir me faire part des mesures que le Gouvernement entend prendre pour remédier à cette situation, notamment pour remplacer définitivement le programme d'introduction de la tenthrède Cibdela janthina à la Réunion par un programme d'éradication dont l'impact sur l'environnement et l'abeille serait minime.

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, Michel Barnier, qui participe au Conseil des ministres européens de l'agriculture et de la pêche à Luxembourg, ne peut malheureusement pas être présent ce matin et vous prie de l'en excuser. Il m'a demandé de vous apporter les éléments de réponse suivants.

La vigne marronne, introduite sur l'île de la Réunion vers 1840, est devenue l'une des espèces exotiques les plus envahissantes. Cette plante s'est développée de manière anarchique, au détriment de la végétation indigène. C'est pourquoi la lutte contre la vigne marronne a été rendue obligatoire par arrêté ministériel du 31 juillet 2000.

En complément des pratiques de lutte mécanique, dont l'efficacité technique est limitée, et afin surtout de limiter le recours aux herbicides, une solution plus durable de lutte biologique a été recherchée. Il est en effet important de promouvoir les solutions de lutte biologique lorsqu'elles existent, dans un souci de préservation de l'environnement et de la santé, mais aussi de la biodiversité et des équilibres biologiques.

Un programme de recherche, financé par le conseil régional, a donc été lancé. Sur quarante espèces étudiées, la tenthrède Cibdela janthina a été retenue. L'étude scientifique menée a démontré qu'elle ne constituait pas de menace pour l'agriculture et l'environnement, puisque les tests ont permis d'établir que les larves ne s'attaquent pas aux principales espèces botaniques d'intérêt agricole, horticole ou patrimonial. Aucune interaction négative avec d'autres espèces n'a été décrite.

La tenthrède a donc été introduite à la Réunion pour les dernières études en laboratoire, puis lâchée en milieu naturel sur la commune de Sainte-Rose en janvier 2008, sur autorisation préfectorale après avis favorable du conseil scientifique régional du patrimoine naturel.

Aujourd'hui, la tenthrède est présente sur une zone de 20 000 hectares dans le sud et l'est de l'île. Sur le site de lâcher, à Bois-Blanc, les deux tiers des pieds de vigne marronne sont détruits et peu d'adultes de tenthrèdes sont encore observables. Cela permet d'envisager une régression progressive des populations de tenthrède au fur et à mesure de la régression de la vigne marronne.

Concernant la pollinisation, une récente étude de terrain montre qu'elle s'est bien réalisée en présence de tenthrèdes, ce qui répond, madame, à l'une de vos préoccupations.

Concernant la compétition entre les abeilles et les tenthrèdes adultes pour la récolte de nectar, le CIRAD, à la demande du préfet, a proposé aux apiculteurs de mener avec leur appui une série d'expérimentations au champ et sous serre, qui démarreront dès que possible. Celles-ci viseront notamment à observer les interactions entre les tenthrèdes et les abeilles dans les activités de butinage sur fleurs et sur d'autres sources alimentaires

Concernant enfin la production de miel, la vigne marronne devrait naturellement, en forêt, être remplacée par des espèces indigènes dont plusieurs ont un intérêt mellifère reconnu. La production d'un miel de forêt, composé d'espèces indigènes, donnerait ainsi une assurance de typicité pour un produit pays labellisé.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.

Mme Anne-Marie Payet. J'ai bien entendu votre réponse, madame la ministre, mais, voilà quatre jours exactement, le CIRAD a déclaré dans la presse qu'il y avait eu incompréhension dès le départ, car il ne savait pas que la vigne marronne était utile à la production du miel local, et, surtout, que les observations effectuées à Sumatra sur le comportement de la tenthrède avant son implantation n'avaient pas mis en évidence ce que l'on constate actuellement à la Réunion. D'après les tests, en effet, cet insecte ne devait pas s'attaquer aux principales espèces botaniques d'intérêt agricole ou horticole ; or aujourd'hui on les voit un peu partout, sur les petits pois, les fleurs de citrouille et d'autres plantes.

J'espère, madame la ministre, que des mesures seront prises rapidement pour protéger la filière agricole en général, et plus particulièrement la filière apicole, dont le professionnalisme a été reconnu et qui a été récompensée par une médaille d'or au dernier Salon de l'agriculture. Il est vraiment urgent que cette peste végétale soit remplacée par d'autres espèces. Or d'autres pestes végétales qui, tel le tabac-bœuf que je mentionnais tout à l'heure, sont encore plus difficiles à éradiquer ont pris déjà la place de la vigne marronne.

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