Question de M. RIES Roland (Bas-Rhin - SOC) publiée le 04/03/2010

M. Roland Ries attire l'attention de Mme la ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur la décision prise par le Gouvernement de retirer au tribunal de grande instance de Strasbourg une partie essentielle de ses compétences en matière civile et commerciale.

Une série de décrets, promulgués à la fin de l'année 2009, vient concentrer certains contentieux sur huit tribunaux de grande instance ou tribunaux de commerce, désignés comme étant seuls compétents pour statuer. Pour le grand Est de la France, le tribunal de grande instance et le tribunal de commerce de Nancy ont été retenus. Si le souci de spécialiser les magistrats et les tribunaux est légitime en soi, l'exclusion de Strasbourg de la liste des tribunaux compétents est totalement injustifiable. Le décret n° 2009-1205 du 09 octobre 2009 transfère notamment au tribunal de grande instance de Nancy la compétence exclusive en matière de droits de propriété intellectuelle ou industrielle. Pourtant, la ville de Strasbourg est indéniablement reconnue au niveau national et européen comme une référence en la matière. La convention de Strasbourg sur l'unification des éléments du droit des brevets d'invention, la présence au sein de l'agglomération d'un pôle de compétitivité à dimension mondiale en matière d'innovations thérapeutiques, ou celle du centre d'études internationales de la propriété intellectuelle en sont sûrement les meilleurs exemples. Cette décision va d'ailleurs à l'encontre des propres engagements de l'État, qui a accepté, dans le cadre du contrat triennal, de soutenir le rôle pivot de Strasbourg en matière de propriété intellectuelle. Elle porte atteinte au statut de capitale du droit dont bénéficie Strasbourg, mais elle aura surtout de graves conséquences sur le tissu économique local et sur la formation dispensée en matière de propriété intellectuelle. Par conséquent, il lui demande de revenir sur cette décision qu'il considère comme inacceptable.

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Réponse du Secrétariat d'État chargé de la fonction publique publiée le 05/05/2010

Réponse apportée en séance publique le 04/05/2010

M. Roland Ries. Monsieur le secrétaire d'État, j'ai souhaité attirer l'attention de madame le garde des sceaux sur la décision prise par le Gouvernement de retirer au tribunal de grande instance de Strasbourg une partie essentielle de ses compétences en matière civile et commerciale.

Une série de décrets, promulgués à la fin de l'année 2009, ont désigné huit tribunaux de grande instance ou tribunaux de commerce désormais seuls compétents pour statuer sur certains contentieux. Pour le Grand-Est de la France, le tribunal de grande instance et le tribunal de commerce de Nancy ont été retenus. Si le souci de spécialiser les magistrats et les tribunaux est légitime, je considère que l'exclusion de Strasbourg de la liste des tribunaux compétents n'est pas justifiable.

Cette décision va d'ailleurs à l'encontre des propres engagements de l'État, qui a financé, aux côtés des collectivités, au travers des deux derniers contrats triennaux, la réalisation d'un pôle de compétences en propriété intellectuelle, ou PCPI, à hauteur de 9 millions d'euros.

En outre, cette décision n'est pas, hélas, isolée. Elle fait suite à l'installation à Nancy des juridictions interrégionales spécialisées en matière pénale et à l'annonce, l'été dernier, du transfert de la direction interrégionale des services pénitentiaires. Elle s'ajoute au silence du Gouvernement quant à la rénovation des locaux du palais de justice de Strasbourg, pour laquelle la ville, le département et la région ont pourtant accepté de contribuer à hauteur de 7,5 millions d'euros, bien que cet investissement relève de la compétence exclusive de l'État.

Le décret n° 2009-1205 du 9 octobre 2009 transfère notamment au tribunal de grande instance de Nancy la compétence exclusive en matière de droits de propriété intellectuelle ou industrielle. La ville de Strasbourg joue pourtant, depuis de nombreuses années, un rôle important dans le domaine de la propriété intellectuelle. La signature de la Convention sur l'unification de certains éléments du droit des brevets d'invention, dite Convention de Strasbourg, sans oublier la présence au sein de notre agglomération du seul pôle de compétitivité français à dimension mondiale en matière d'innovations thérapeutiques et du Centre d'études internationales de la propriété intellectuelle, prouvent que Strasbourg est devenue, au fil des années, une référence au niveau national et européen en matière de propriété intellectuelle.

En définitive, c'est le statut de capitale du droit dont bénéficie Strasbourg, par la présence du siège du pouvoir législatif européen, de la Cour européenne des Droits de l'Homme et d'une université dont la renommée n'est plus à faire pour l'enseignement des matières juridiques, qui est ainsi fragilisé. Le choix unilatéral de l'État, au détriment de l'Alsace en général et de Strasbourg en particulier, montre que les discours du Gouvernement sur la défense de la vocation européenne de Strasbourg et sur son rôle de métropole régionale ne sont pas suivis des décisions concrètes nécessaires pour en assurer la crédibilité.

Par conséquent, eu égard aux arguments évoqués ici, je demande une nouvelle fois au Gouvernement de revenir sur une décision que nous considérons unanimement, gauche et droite confondues, inacceptable pour notre région et pour Strasbourg.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Georges Tron, secrétaire d'État chargé de la fonction publique. Monsieur le sénateur, la commission présidée par le recteur Serge Guinchard a proposé de poursuivre le travail de spécialisation engagé par la loi du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon, par la création d'un pôle national du contentieux des brevets et des obtentions végétales.

La commission a suggéré de spécialiser parallèlement certaines juridictions pour connaître des autres contentieux de la propriété intellectuelle, en matière de marques, d'indications géographiques, de dessins et modèles, ainsi que de propriété littéraire et artistique.

En matière de brevets, la commission a proposé de spécialiser le tribunal de grande instance de Paris, qui traite d'ores et déjà plus de 80 % de ce contentieux.

S'agissant des autres contentieux de la propriété intellectuelle, la commission suggérait la spécialisation d'une juridiction par ressort de cour d'appel.

Lors d'un arbitrage interministériel, il est apparu nécessaire d'aller au-delà des préconisations de la commission s'agissant du degré de spécialisation à retenir, en adoptant un schéma déclinant celui des juridictions interrégionales spécialisées, les JIRS.

Le niveau de spécialisation ainsi retenu a pour effet de concentrer ces contentieux auprès des quelques juridictions amenées à connaître d'un nombre significatif d'affaires, et d'offrir une réponse judiciaire de qualité fondée sur l'expertise induite par cette spécialisation.

La spécialisation des juridictions en matière de pratiques restrictives de concurrence est prévue par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie. Le décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009 fixe la liste et le ressort des juridictions compétentes : il s'agit des tribunaux de grande instance ou tribunaux de commerce de Marseille, Bordeaux, Lille, Fort-de-France, Lyon, Nancy, Paris et Rennes.

Monsieur le sénateur, le Gouvernement est bien conscient des interrogations et inquiétudes qu'ont pu susciter ces transferts de compétences. Il a donc décidé d'étudier, en concertation avec les élus et les différents acteurs locaux, les compensations et précisions de compétences qui pourraient être apportées à ces transferts en termes de répartition des contentieux spécialisés.

M. le président. La parole est à M. Roland Ries.

M. Roland Ries. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, de votre réponse, en particulier pour sa conclusion, qui ouvre, semble-t-il, une perspective de concertation. J'ai bien noté ce point qui me paraît important.

Permettez-moi néanmoins d'attirer de nouveau votre attention sur deux aspects.

Tout d'abord, le projet de pôle de compétences en propriété intellectuelle, qui est aujourd'hui bien avancé, grâce à des cofinancements de l'État et des collectivités locales, me paraît justifier certaines interrogations, s'agissant notamment du transfert de compétences en matière de propriété intellectuelle.

La cohérence voudrait que l'on revienne sur la décision qui a été prise. Sinon, cet investissement perdrait en crédibilité, eu égard à la compétence du tribunal de grande instance de Strasbourg.

Ensuite, j'évoquerai la transformation du palais de justice de Strasbourg. Datant de l'époque allemande, sa valeur patrimoniale est certaine, mais il ne répond plus aux besoins de la justice telle qu'elle fonctionne aujourd'hui.

Ce projet est aujourd'hui à l'arrêt, dans la mesure où l'enveloppe accordée par la chancellerie n'atteint que 53,8 millions d'euros, alors que le coût de la restructuration, bien supérieur, a été estimé dans un premier temps à 60 millions d'euros. Les collectivités locales – région, département, ville et communauté urbaine de Strasbourg – ont accepté d'apporter 7,5 millions d'euros en complément, mais il semblerait que ce ne soit toujours pas suffisant.

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