Question de M. SUEUR Jean-Pierre (Loiret - SOC) publiée le 01/10/2010

Question posée en séance publique le 30/09/2010

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Sueur. Ma question s'adresse à Mme le ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

Madame le garde des sceaux, il paraît indispensable qu'un juge d'instruction indépendant soit nommé dans l'affaire Bettencourt. J'ai pris connaissance de vos déclarations de mardi dernier devant l'Assemblée nationale. Si j'ai bien compris, vous avez dit, en substance, que vous n'y pouviez rien, que vous étiez spectatrice et que vous regardiez passer les trains ! (Sourires.)

Nous ne partageons pas cette conception de votre rôle, madame la ministre d'État : du moment qu'un juge d'instruction indépendant n'est pas désigné, la porte est ouverte à toutes les suspicions, dans une affaire qui implique ou pourrait impliquer des personnages éminents.

Madame le garde des sceaux, M. le procureur Courroye refuse la nomination d'un juge d'instruction. M. le procureur général de Versailles la refuse aussi. Une seule personne a donc la possibilité d'agir : vous.

Nous ne vous demandons pas d'intervenir dans une affaire en cours. Compte tenu de vos fonctions, nous vous demandons de garantir, ès qualités, l'indépendance de la justice dans une affaire en cours. À cet égard, fait sans précédent, M. Jean-Louis Nadal qui, vous le savez, est le premier magistrat du parquet dans ce pays,…

M. David Assouline. Eh oui !

M. Jean-Pierre Sueur. … puisqu'il est procureur général près la Cour de cassation, a déclaré qu'il était nécessaire de désigner un juge d'instruction, bien sûr indépendant, afin d'assurer le respect des droits de la défense dont vous êtes aussi la garante.

Madame le ministre d'État, ma question est double mais très simple. Premièrement, quelles conclusions tirez-vous de la déclaration de M. Jean-Louis Nadal ? Deuxièmement, allez-vous enfin vous exprimer clairement sur ce sujet et prendre les initiatives nécessaires, ou qui peuvent le devenir ? Vous pouvez faire en sorte qu'un juge d'instruction indépendant se voie confier ce dossier : nous le devons – vous le devez ! – à l'indépendance de la justice, pour faire la clarté dans cette affaire très sensible.

Merci de nous répondre sur le fond, madame le garde des sceaux, car nous espérons que vous renoncerez à la langue de bois que nous avons entendue à l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Jean-Pierre Raffarin. Ce n'est pas très courtois !

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 01/10/2010

Réponse apportée en séance publique le 30/09/2010

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur Sueur, je n'ai pas l'habitude de manier la langue de bois (M. Didier Boulaud s'exclame.), contrairement à ce que vous soutenez. Connaissant votre honnêteté intellectuelle, permettez-moi d'observer que, lorsque l'on cite le procureur général près la Cour de cassation, il faut le citer en entier et de façon précise.

M. Alain Gournac. Il faut tout lire !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Premièrement, le procureur général près la Cour de cassation a estimé qu'il n'y avait pas lieu, en l'état du dossier, de saisir la Cour de justice de la République, comme certains l'avaient demandé. Je conçois que cette position déçoive, mais il faut faire ce rappel.

M. Alain Gournac. Et voilà !

M. Didier Boulaud. Ce n'est pas l'objet de la question !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Deuxièmement, M. Nadal a souhaité que l'enquête continue. C'est la moindre des choses, et tel est bien le cas, nous le voyons.

Troisièmement, le procureur général a émis un avis.

MM. Jean-Pierre Sueur et Didier Boulaud. Une recommandation !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Il a donné son avis sur le mode procédural le mieux à même, selon lui, de préserver les droits de la défense.

Cela dit, monsieur le sénateur, je dois aussi rappeler un certain nombre de règles. Le parquet peut, dans tous les cas, décider d'ouvrir une instruction judiciaire, comme il peut choisir de poursuivre lui-même l'enquête. Ce choix lui appartient…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il a fait un mauvais choix !

M. René-Pierre Signé. Vous pouvez intervenir !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. … et il ne saurait en aucun cas faire l'objet de pressions politiciennes. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Je vous le dis très clairement – j'avais pensé l'avoir fait devant l'Assemblée nationale –, je ne vois pas ce qui, en l'état, justifierait que quiconque s'immisçât dans les enquêtes en cours.

M. Jean-Pierre Sueur. Si, l'indépendance de la justice et la garantie des droits de la défense !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. D'ailleurs, je note que ce serait une totale nouveauté, monsieur Sueur. Depuis dix ans, le ministre de la justice n'est jamais intervenu dans une enquête, et Dieu sait si des enquêtes impliquant de hautes personnalités ont souvent eu lieu !

Quant à moi, je respecte l'indépendance de la justice, monsieur Sueur, et j'ai beaucoup trop de considération pour les magistrats pour m'immiscer dans les procédures.

M. Jacques Mahéas. Pourtant, vous êtes la courroie de transmission !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Si j'ai bien compris vos propos, monsieur Sueur, quelque chose m'étonne : vous me demandez, pour garantir l'indépendance des procureurs…

M. Jean-Pierre Sueur. Non, pour garantir les droits de la défense !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. … de leur donner des ordres ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Gournac. Et vlan !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Cela me paraît pour le moins étrange, et telle n'est pas ma conception.

M. Jacques Mahéas. Mme Dati n'était pas du même avis !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Vous ne pouvez à la fois louer l'indépendance des magistrats lorsque leur décision vous convient et la critiquer dans le cas contraire. Ce n'est pas ainsi que je conçois l'indépendance !

M. Alain Gournac. Bravo !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Je crois que c'est faire insulte aux magistrats du parquet que d'agir comme vous le faites : c'est peut-être votre conception de la justice, mais ce n'est certainement pas la mienne ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Didier Boulaud. Parlez-nous donc des droits de la défense !

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