Question de M. PATIENT Georges (Guyane - SOC-A) publiée le 19/01/2011

Question posée en séance publique le 18/01/2011

Concerne le thème : Outre-mer et Europe

M. Georges Patient. Madame la ministre, je souhaite vous interroger sur l'application aveugle des normes européennes dans les départements d'outre-mer, et ce en dépit des dispositions de l'article 349 du traité de Lisbonne, qui leur reconnaît un statut dérogatoire au régime communautaire commun.

J'illustrerai mon propos par quelques exemples révélateurs.

Le premier exemple concerne l'application des normes européennes en matière de carburant en Guyane, application qui a conduit ce territoire à s'approvisionner aujourd'hui en Europe du Nord à un coût jugé excessif localement alors même qu'un approvisionnement dans l'environnement régional de ce territoire serait nettement moins onéreux. Actuellement, le litre d'essence revient à 1,53 euros en Guyane, alors qu'il coûte moins d'un euro au Surinam.

C'est également le cas de la pêche, activité contrainte dans son développement par des règles européennes qui interdisent notamment de subventionner la construction de navires. Or dans les DOM la filière est largement artisanale, la ressource halieutique abondante et la demande conséquente, ce qui n'est pas le cas dans les départements métropolitains.

C'est aussi le cas du secteur rizicole, filière qui, en Guyane, souffre notamment de l'application inappropriée de certifications européennes, alors que le riz produit dans les pays voisins – Guyana, Surinam –, fabriqué avec des semences non homologuées « Europe », est vendu en Europe ! (M. Alain Gournac s'exclame.)

Je pourrais également mentionner la question des déchets, au sujet de laquelle les exemples ne manquent pas et sont loin d'épuiser la liste des nuisances normatives que subit l'outre-mer. Ces contraintes créent des distorsions de concurrence au détriment de secteurs économiques dont l'activité est ouverte sur les pays voisins.

« Renforcer la prise en compte des spécificités des régions ultrapériphériques par l'Union européenne », telle était la proposition n° 62 de la mission commune d'information sur la situation des départements d'outre-mer de 2009. « Améliorer l'adaptation des normes communautaires aux réalités locales, en renforçant la mise en œuvre de l'article 299-2 du Traité CE », voilà également la recommandation qui figurait sur la fiche VI-5 du conseil interministériel de l'outre-mer du 6 novembre 2009.

Pourtant, la Commission européenne n'a pas satisfait votre demande de dérogation pour le carburant de Guyane, madame la ministre, puisqu'elle l'a rejetée en décembre 2009.

Dès lors, au-delà des déclarations de bonnes intentions, existe-t-il de la part du Gouvernement une réelle volonté d'intervenir auprès de la Commission européenne, réticente jusqu'à présent à ce que soient concrétisées les dispositions de l'article 349 ?


Réponse du Ministère chargé de l'outre-mer publiée le 19/01/2011

Réponse apportée en séance publique le 18/01/2011

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Monsieur le sénateur, vous savez mieux que moi que l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne constitue en quelque sorte un droit à des mesures spécifiques.

Toute la difficulté aujourd'hui – et nous avons obligation d'agir – réside dans la capacité à s'appuyer correctement sur l'article 349 au vu de l'imbroglio qui veut que certaines régions se situent à l'intérieur du marché européen et se développent dans un environnement régional complètement différent de celui des États membres.

Je me suis entretenue à plusieurs reprises sur ce sujet avec les différents commissaires ; la réflexion avance, notamment sur l'idée d'un marché intérieur régionalisé. C'est grâce à cette notion que nous pourrons travailler différemment, notamment afin d'instaurer des normes spécifiques prévues non pas simplement pour l'Europe occidentale mais aussi pour nos régions ultrapériphériques.

Ces travaux ont lieu dans le cadre des préconisations et propositions qui figurent dans le mémorandum.

Concernant le carburant, la Commission européenne n'a jusqu'à présent émis aucun refus de principe à la mise en œuvre d'un cadre dérogatoire acceptable. C'est la raison pour laquelle nous avons réalisé une étude sur la disponibilité de carburants aux normes européennes à proximité de la Guyane.

Si nous n'avons aujourd'hui aucune garantie sur ce point, nous savons néanmoins que des carburants proches des normes européennes sont disponibles. Nous aurons cependant à apporter à la Commission la preuve qu'un tel choix d'approvisionnement n'aurait aucun impact négatif réel sur l'environnement ou la santé, enjeux qui sont des sujets de préoccupation pour l'Union européenne.

Monsieur le sénateur, je vous invite par ailleurs à prendre en compte la réflexion menée par les trois présidents de région au travers de l'URAG, l'Union régionale des Antilles et de la Guyane, et qui a abouti à la décision du maintien de l'outil industriel SARA. Il faudra donc à un moment donné faire des choix et fixer des priorités.

Concernant la filière rizicole, j'ai bien pris en compte votre observation et nous travaillons avec la Commission européenne sur ce sujet particulier et, plus généralement, sur les productions agricoles.

Comme je l'ai indiqué voilà quelques instants, il faut apprendre à structurer les filières et faire en sorte que l'agriculture et la pêche de nos territoires ne soient pas une variable d'ajustement lors des négociations. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé aux commissaires au développement endogène qui ont été récemment nommés de travailler en lien avec les ambassadeurs pour que cette dimension soit prise en compte lors des différentes négociations d'accords commerciaux.

M. le président. La parole est à M. Georges Patient, pour la réplique.

M. Georges Patient. Madame la ministre, j'ai écouté attentivement votre réponse, mais il faut convenir que l'Union européenne a fait le choix de gommer peu à peu les différences de traitement et les avantages dont bénéficiaient nos territoires, sous couvert de libéralisation des échanges, de restrictions budgétaires et de changements de priorités au profit d'autres zones régionales dans le monde.

Mes collègues ont fait référence voilà quelques instants aux difficultés suscitées par les accords conclus avec le Pérou et la Colombie sur la culture des bananes et de l'igname. À cet égard, madame la ministre, il faut reconnaître que les analyses d'impact que vous avez mentionnées ont fait défaut et que la Commission européenne n'a pas proposé de compensation supplémentaire.

En tout état de cause, on peut douter de la détermination de la Commission européenne et des États de mettre en danger de tels accords pour protéger nos petits territoires d'outre-mer.

Il ne reste plus désormais aux gouvernements français, espagnol et portugais qu'à trouver de nouvelles alliances dans une Europe à vingt-sept et à conditionner leur accord sur les grandes réformes européennes à venir au respect des dispositions des traités en faveur de l'outre-mer comme du principe de solidarité, au fondement du projet européen.

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