Question de Mme VOYNET Dominique (Seine-Saint-Denis - SOC-R) publiée le 26/01/2011

Question posée en séance publique le 25/01/2011

Concerne le thème : Utilisation du « Flashball » et du « Taser » par les forces de police

Mme Dominique Voynet. Monsieur le ministre, l'utilisation des nouvelles armes de quatrième catégorie – pistolets à impulsion électrique et lanceurs de balles de défense –, autorisées en France depuis quelques années, nous conduit à nous interroger très sérieusement.

Quand ces armes ont été autorisées, on nous a expliqué qu'elles permettraient d'éviter l'usage de certains moyens conventionnels d'intervention des forces de l'ordre, notamment des armes à feu, et donc d'épargner des vies. Elles avaient en commun, disait-on alors, d'être « non létales ». Je pense que cette qualification a rassuré de façon excessive un certain nombre de nos fonctionnaires de police, parce que la réalité est bien sûr plus complexe : si elles peuvent exceptionnellement tuer, ces armes sont, plus fréquemment, susceptibles de blesser et handicaper durablement.

Au-delà d'une formule séduisante, je crois donc que nous devons regarder la réalité en face : chaque mois nous apporte la preuve de la dangerosité de ces équipements. À Montreuil, ville dont je suis maire, en l'espace de dix-huit mois, deux jeunes hommes ont été gravement blessés par des tirs de Flashball émanant des forces de l'ordre. L'un y a perdu un œil, l'autre a déjà subi trois interventions chirurgicales et en gardera des séquelles durables au visage.

Dans aucun de ces deux cas, l'attitude des victimes n'était en cause : en clair, les fonctionnaires de police ne se trouvaient pas en état de légitime défense et ils n'ont pas respecté les consignes d'emploi de ces armes. Dans les deux cas, ils ont tiré au jugé, dans le tas, alors qu'ils étaient chargés de maintenir l'ordre à l'occasion d'une manifestation sur la voie publique et ne se trouvaient nullement dans une situation où ils auraient eu à affronter des délinquants dangereux.

Pour lever toute ambiguïté, j'ajoute que l'utilisation de ces armes met en péril non pas seulement les personnes qui y font face, mais aussi nos propres forces de l'ordre. L'imprécision de ces armes, la gravité des blessures qu'elles causent, le manque évident de formation des agents – vous n'avez pas précisé ce point, monsieur le ministre, mais je crois que l'on offre au maximum deux demi-journées de formation à ces personnels – ainsi que l'extrême difficulté à respecter, dans l'urgence, des conditions très restrictives d'usage exposent ceux qui les manient à des risques juridiques et moraux disproportionnés.

D'ailleurs, des deux policiers qui sont en cause dans les affaires de Montreuil, l'un a été mis en examen et l'autre ne manquera pas de l'être. Est-ce bien ce que nous souhaitons ?

Combien de temps encore accepterons-nous que nos concitoyens soient mis en danger par l'équipement de ceux qui sont censés les protéger ? Combien de blessés, combien de morts faudra-t-il avant que l'on ne reconnaisse l'inadaptation et la dangerosité de ces armes pour la surveillance des manifestations de voie publique ?

L'alternative aux armes à létalité réduite, ce sont les armes à feu, avez-vous dit ; pour ma part, je considère que, s'agissant de la surveillance des manifestations, ce sont des effectifs plus nombreux, bien encadrés et bien formés.

Monsieur le ministre, il vous appartient aujourd'hui d'agir en limitant drastiquement l'usage de ce type d'armes et en mettant l'accent sur le renforcement des effectifs, sur la formation et sur l'inscription des forces de l'ordre dans une logique de proximité.

M. le président. Veuillez conclure.

Mme Dominique Voynet. J'ajoute un mot sur les polices municipales et j'en aurai terminé, monsieur le président.

Monsieur le ministre, vous avez souligné qu'un décret récent alignait la formation des polices municipales sur celle de la police nationale pour ce qui concerne l'utilisation de ces équipements. Je considère qu'il y a là une confusion des rôles et des missions qui ne répond pas du tout à nos souhaits.

Ainsi, vendredi dernier au soir, à Montreuil, c'est la police municipale qui a dû procéder à la neutralisation de trois malfaiteurs qui avaient pris en otage un commerçant…

M. le président. Il faut vraiment conclure, madame Voynet.

Mme Dominique Voynet. … et menaçaient de violer son épouse. La police nationale est arrivée vingt minutes plus tard, monsieur le ministre. (M. Jean Desessard applaudit.)

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Réponse du Ministère de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration publiée le 26/01/2011

Réponse apportée en séance publique le 25/01/2011

M. Brice Hortefeux, ministre. Madame la sénatrice, tout d'abord, vous avez très largement préjugé des résultats de l'enquête en cours. Je vous le dis avec beaucoup d'humilité : dans notre pays, on est condamné pour bien moins que cela, et c'est un expert qui vous parle. (Sourires.)

En effet, vous avez ici, sinon porté atteinte à la présomption d'innocence, du moins largement préjugé des résultats de l'enquête en cours en affirmant que, inéluctablement, l'un des policiers en cause serait mis en examen.

Mme Dominique Voynet. Non, non !

M. Brice Hortefeux, ministre. Croyez-moi, je vous encourage à être très prudente dans votre expression. Je le répète, c'est un expert en ce domaine qui vous parle ! (Nouveaux sourires.)

Vous avez abordé plusieurs problèmes.

Tout d'abord, vous évoquez ce qui s'est passé à Montreuil le 8 juillet dernier – lors de l'évacuation d'un squat, un jeune homme a été gravement blessé à l'œil par un tir de Flashball – et le 14 octobre dernier – un lycéen de seize ans a été blessé au visage par un tir de lanceur de balles de défense à l'occasion d'une manifestation.

Pour ces deux affaires, j'ai bien sûr demandé immédiatement une enquête de l'inspection générale des services, indépendamment de l'information judiciaire qui est en cours et sur laquelle je me garde bien de me prononcer.

Je vous le dis très directement : si ces enquêtes devaient révéler un usage inadéquat de ces équipements ou des dysfonctionnements, je prendrais bien entendu un certain nombre de mesures. Toutefois, comme je l'ai indiqué à M. Fortassin, de tels incidents sont plutôt rares puisque, de 2006 à 2010, on en a recensé vingt-deux – ce qui est encore trop, bien sûr –, pour quelque 12 000 utilisations de ces armes.

Vous demandez un moratoire, voire une interdiction de l'utilisation de ces armes à létalité réduite.

M. Jean Desessard. Eh oui !

Mme Dominique Voynet. Pour les manifestations de rue !

M. Brice Hortefeux, ministre. Je comprends votre point de vue, mais, je le répète, quelle est l'alternative à ces équipements ? Les armes à feu ? Là est la difficulté !

Je suis tout à fait attentif aux problèmes posés par ces équipements. Toutefois, si nous interdisons les armes à létalité réduite, nous devrons utiliser celles qui sont à létalité non réduite, c'est-à-dire que nous serons conduits à accepter l'utilisation des armes à feu.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pas pour des manifestations ! Nous ne sommes tout de même pas en Tunisie.

M. Brice Hortefeux, ministre. Mon objectif est d'assurer la protection, la tranquillité et la sécurité de nos concitoyens, mais je dois aussi veiller sur ceux qui ont la responsabilité de cette mission, et je ne puis les laisser sans moyens de défense.

M. le président. Monsieur le ministre, il faut conclure, afin que le dernier intervenant puisse poser sa question.

M. Brice Hortefeux, ministre. Enfin, pour répondre à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat – je me souviens à présent de sa question ! –, les sociétés de sécurité privées n'ont pas le droit d'utiliser des armes de quatrième catégorie.

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour la réplique.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le ministre, je ne suis pas convaincue par vos propos. Que ce soit à Montreuil, à Colombes ou à Marseille, il y a une vérité, qu'il faut savoir dire et assumer : ces armes sont mortelles ; la preuve en est qu'elles ont tué. Il faut donc cesser de mentir et admettre que leur dangerosité est bien réelle !

En outre, il faut que justice soit faite. Nous ne pouvons accepter l'impunité. J'ignore ce qui ressortira des instructions en cours, mais il est clair que celles-ci doivent aller jusqu'au bout. Nous devons connaître la vérité, et il faut que justice soit rendue. Les fautifs doivent être sanctionnés : c'est la condition sine qua non pour que la police soit respectée.

Enfin, vous demandez quelle est l'alternative à ces équipements. Vous le savez très bien, il existe de nombreuses solutions de rechange qui ne sont pas mortelles pour les citoyens, ne serait-ce que l'emploi des canons à eau. Surtout, il faut augmenter les effectifs. Dans toutes les banlieues, sur tous les territoires de France, nous avons besoin d'une police nationale – j'insiste sur cet adjectif – renforcée, voilà la vérité. Aujourd'hui, ce sont les citoyens qui sont les victimes de la réduction des effectifs. (Mme Dominique Voynet et M. Jean Desessard applaudissent.)

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