Question de Mme BLONDIN Maryvonne (Finistère - SOC) publiée le 22/09/2011

Mme Maryvonne Blondin interroge M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur la pratique dégradante de la fouille au corps intégrale et systématique pratiquée, encore, par certains établissements pénitentiaires.

Un tel régime de fouille, s'il n'est pas justifié par des raisons de sécurité, porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale de l'intéressé et peut constituer un traitement inhumain ou dégradant au sens de la Convention européenne des droits de l'homme.

De plus, la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, à l'article 57, pose un principe de proportionnalité, en exigeant que la nature et la fréquence des fouilles soient « strictement adaptées [aux nécessités de la sécurité] et à la personnalité des personnes détenues », ainsi qu'un principe de subsidiarité, qui ne permet les fouilles intégrales que « si les fouilles par palpation ou l'utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes ».

Le 27 avril 2010, M. Jean-Baptiste Mattei, représentant permanent de la France auprès de l'Office des Nations Unies à Genève, relevait, lors de son audition par le Comité contre la torture de l'Organisation des Nations Unies (ONU), que, depuis la loi pénitentiaire et « en application de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, [le caractère systématique des fouilles] est désormais proscrit et elles n'ont lieu qu'en cas de nécessité suggérée par des indices sérieux ».

Face à ces vives inquiétudes, déjà relayées par l'Observatoire international des prisons, elle souhaiterait donc savoir quelles sont les intentions réelles du Gouvernement concernant les dispositions illégales des règlements intérieurs des établissements prévoyant que « le détenu fait l'objet d'une fouille corporelle systématique après l'entretien [avec ses visiteurs au parloir] ».

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Réponse du Secrétariat d'État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale publiée le 14/12/2011

Réponse apportée en séance publique le 13/12/2011

Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, au centre de détention de Salon-de-Provence, un homme de 61 ans, incarcéré depuis cinq ans, était systématiquement soumis à une fouille à nu à l'issue de chacune de ses visites au parloir.

Ce détenu à la conduite irréprochable a obtenu le 19 août dernier la suspension de ces fouilles corporelles intégrales systématiques, par ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille.

Constatant qu'un tel régime de fouilles n'était pas justifié par des raisons de sécurité, le magistrat a estimé que l'administration pénitentiaire avait porté « une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale de l'intéressé [...] de ne pas subir de traitement inhumain ou dégradant ».

Si nous pouvons nous féliciter de cette décision de justice, l'inquiétude reste forte s'agissant de la persistance de la pratique de fouilles corporelles systématiques et, je le précise, injustifiées, qui sont interdites, notamment par les textes internationaux et par la loi française.

L'article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 pose en effet un principe de proportionnalité, en exigeant que la nature et la fréquence des fouilles soient « strictement adaptées [aux] nécessités [de la sécurité] et à la personnalité des personnes détenues », ainsi qu'un principe de subsidiarité, qui ne permet les fouilles intégrales que « si les fouilles par palpation ou l'utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes ».

Or, dans le mémoire produit en défense devant le tribunal administratif de Marseille, le ministère de la justice conclut que, au motif que « la zone des parloirs est un lieu sensible, car un point de contact entre les personnes détenues et leurs visiteurs », il paraît justifié « que soient organisées des fouilles de personnes détenues à leur retour » des parloirs.

Madame la secrétaire d'État, permettez-moi de juger inquiétant, voire dramatique, qu'une telle volonté de non-application des dispositions prévues par la loi en matière de fouilles provienne du ministère de la justice.

Le Conseil d'État a jugé, le 9 septembre 2011, qu'une fouille corporelle intégrale répétée à la sortie de chaque parloir autorisé impose à l'intéressé une contrainte grave et durable.

Il convient de noter également que certains personnels de surveillance, qui travaillent dans des conditions extrêmement difficiles, dénoncent, eux aussi, le caractère à la fois dégradant et souvent inutile des fouilles corporelles intégrales.

Face aux témoignages non seulement de détenus mais aussi de surveillants, relayés à plusieurs reprises par l'Observatoire international des prisons, je souhaiterais connaître les intentions réelles du Gouvernement concernant la persistance de ces pratiques.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale. Madame le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de M. le garde des sceaux, qui m'a chargée de vous répondre.

La nécessité de trouver un équilibre entre le respect de la dignité de la personne détenue et les impératifs de sécurité en établissement pénitentiaire constitue un objectif fort et permanent de l'administration pénitentiaire, en particulier s'agissant de la réalisation des divers contrôles et fouilles qui ponctuent la vie de la personne en détention.

Le régime applicable en matière de fouilles a dernièrement fait l'objet d'une évolution normative significative, pour prendre en compte les exigences des jurisprudences européenne et nationale.

En effet, la Cour européenne des droits de l'homme considère que les fouilles systématiques des détenus non fondées sur des impératifs de sécurité imposés par les circonstances sont à proscrire. Se référant à l'arrêt El Shennawy du 14 novembre 2008 de la CEDH, le Conseil d'État considère que les fouilles doivent, pour être conformes aux normes applicables, en particulier à l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, réunir les conditions de nécessité, d'adaptation au motif poursuivi et de proportionnalité des moyens employés.

L'article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 et les articles R. 57-7-79 à R. 57-7-82 du code de procédure pénale issus du décret n° 2010-1634 en date du 23 décembre 2010 énoncent la nécessité d'adapter la nature de la fouille et sa fréquence aux circonstances de la vie en détention, au profil de la personne détenue et aux risques encourus en termes de sécurité et d'ordre.

Ces nouvelles dispositions impliquent une évolution des pratiques professionnelles fondées jusqu'alors sur des fouilles systématiques dans certaines circonstances. Une circulaire d'application immédiate a été diffusée aux services déconcentrés de l'administration pénitentiaire le 14 avril dernier. Elle présente les principes de nécessité et de proportionnalité qui doivent encadrer chaque opération de fouille d'une personne détenue, quelle que soit la nature de la fouille ou le lieu de détention de l'intéressé.

Compte tenu de l'évolution significative des pratiques professionnelles, la circulaire a été présentée aux services chargés de l'appliquer avant sa publication. Les chefs d'établissement ont veillé tout particulièrement à sa mise en œuvre et à l'application des nouvelles dispositions, ce qui implique également une actualisation des règlements intérieurs des établissements, qui est encore en cours pour certains d'entre eux.

Toutefois, si la modification des pratiques nécessite du temps, M. le garde des sceaux tient à vous assurer, madame le sénateur, de l'implication de l'ensemble de la direction de l'administration pénitentiaire, qui accompagne les services déconcentrés dans cette démarche et vérifie que les dispositions prises au plan local et relatives aux mesures de contrôle respectent le nouveau cadre juridique applicable.

M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.

Mme Maryvonne Blondin. J'entends bien votre réponse, madame la secrétaire d'État, en particulier lorsque vous faites état de l'évolution de la réglementation en vigueur.

Il n'empêche que certains règlements intérieurs prévoient toujours une fouille systématique au retour des parloirs. Une telle règle est appliquée dans de très nombreux établissements.

Vous avez mentionné la loi pénitentiaire de 2009 et la législation européenne. Or, le 27 avril 2010, lors de son audition par le Comité contre la torture de l'ONU, M. Jean-Baptiste Mattéi, qui est le représentant permanent de la France auprès de l'Office des Nations unies à Genève, a rappelé que, depuis la loi pénitentiaire et en application de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg à laquelle vous faisiez allusion, le caractère systématique des fouilles était désormais proscrit et que celles-ci n'avaient lieu qu'en cas de nécessité suggérée par des indices sérieux.

Pourtant, la réalité est bien différente ! On observe la détérioration de conditions de détention déjà difficiles par ces pratiques tout à fait dégradantes. Le dernier rapport de l'Observatoire international des prisons, publié le 7 décembre dernier, fait malheureusement état d'une recrudescence des suicides en prison, malgré tous les plans de prévention.

Ainsi, les fouilles systématiques au retour du parloir me semblent constituer une cause aggravante au regard de la situation des personnes emprisonnées. Je rappelle que quatre-vingt-dix-sept détenus se sont donné la mort au cours des dix premiers mois de l'année.

J'espère par conséquent que cette circulaire sera rapidement mise en application par tous les établissements.

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