Question de M. RIES Roland (Bas-Rhin - SOC) publiée le 01/11/2012

M. Roland Ries attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt sur la situation de distorsion de concurrence dont souffrent actuellement les producteurs de fruits et légumes français, et plus particulièrement les producteurs frontaliers, vis-à-vis de leurs voisins européens.

Au cours des quinze dernières années, les surfaces cultivées en légumes, à l'exception des légumes secs, ont diminué de 30 % dans notre pays. Ce mouvement est particulièrement marqué pour certains produits comme les asperges (-50 %), les fraises (-39 %) ou encore les carottes (-17 %). Ces produits qui composent le quotidien alimentaire de nombreux Français sont donc aujourd'hui largement importés pour satisfaire notre consommation domestique.

Ce recul des surfaces exploitées s'explique en grande partie par les distorsions de concurrence qui existent au niveau européen entre la France et ses voisins directs, l'Espagne et l'Allemagne, deux pays dans lesquels les salaires pratiqués sont souvent très faibles. Ainsi, alors que le coût horaire du travail en France est estimé à 12 euros dans ce secteur, celui-ci est de 6 euros en Allemagne où il n'existe pas de salaire minimum.

Ces différentiels de coût de la main-d'œuvre constituent pour le secteur des fruits et légumes un handicap lourd et menace la pérennité de nombreuses exploitations agricoles. Cette problématique de distorsion de concurrence en matière de coût du travail, mais aussi en matière de législation sociale, se pose encore avec plus d'acuité pour les exploitants agricoles français situés dans des zones frontalières. Ces derniers partagent en effet le même marché que leurs concurrents européens et sont donc touchés de plein fouet par cette concurrence déloyale sur l'offre.

Force est donc de constater que, si l'Union européenne a fait depuis longtemps de l'agriculture un enjeu majeur de la construction européenne grâce à la politique agricole commune, cette Europe de l'agriculture demeure davantage un espace de concurrence qu'un espace de coopération.

Devant cet état de fait, le précédent Gouvernement avait engagé des mesures d'allègement de charges afin de redonner de la compétitivité à nos producteurs. Cette politique demeure néanmoins largement incertaine dans ses objectifs, tant les niveaux de salaire sont faibles dans certains pays, et coûteuse financièrement pour l'État. Par ailleurs, pratiquée à l'échelle de chaque nation, cette politique de réduction des charges et d'adaptation de la législation sociale plonge l'Union européenne dans un dumping fiscal et social mortifère.

Par conséquent, il souhaiterait savoir quelles initiatives le Gouvernement entend engager rapidement au niveau européen afin de parvenir à une harmonisation de nos systèmes fiscaux et sociaux, nécessaire pour assurer la pérennité de nombreuses exploitations menacées.

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Réponse du Ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt publiée le 19/12/2012

Réponse apportée en séance publique le 18/12/2012

M. Roland Ries. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur le contexte de distorsions de concurrence dont souffrent actuellement les producteurs de fruits et légumes français, plus particulièrement les producteurs frontaliers, vis-à-vis de nos voisins européens.

La production de fruits et légumes représente dans notre pays un potentiel de 200 000 emplois qui s'adressent en particulier à des personnels peu qualifiés ou en difficultés d'insertion et à des jeunes dans le cadre d'emplois saisonniers.

Cette production connaît, depuis plusieurs années, un recul continu des surfaces exploitées, donc des volumes produits. Au cours des quinze dernières années en effet, les surfaces cultivées en légumes, à l'exception des légumes secs, ont diminué de 30 % dans notre pays. Ce mouvement est particulièrement marqué pour certains produits comme les asperges, les fraises ou encore les carottes.

Ces produits qui composent notre quotidien alimentaire sont donc aujourd'hui largement importés. Dès lors, la question de notre indépendance alimentaire se trouve posée.

Ce recul des surfaces exploitées s'explique en grande partie par les distorsions de concurrence qui existent à l'échelon européen entre la France et ses voisins directs, l'Espagne et l'Allemagne, deux pays dans lesquels les salaires pratiqués sont souvent bien moindres. En effet, tandis qu'en France le coût horaire du travail est estimé à 12 euros, il est, par exemple, de 6 euros en Allemagne, où n'existe pas, pour l'heure, de salaire minimum.

Ces différentiels de coût de la main-d'œuvre constituent pour le secteur français des fruits et légumes un handicap lourd, qui menace la pérennité de nombreuses exploitations. En effet, comme vous le savez, monsieur le ministre, il s'agit d'un secteur dans lequel le poids de la main-d'œuvre, rapporté au coût de production total, est important, du fait des techniques de récolte souvent peu mécanisables.

Ce problème de distorsion de concurrence en matière de coût du travail, mais aussi de législation sociale, par exemple en ce qui concerne la durée de travail, se pose avec d'autant plus d'acuité pour les exploitants agricoles situés dans les régions frontalières. C'est le cas dans ma région, l'Alsace, où nos exploitants partagent le même marché que leurs concurrents allemands et sont donc touchés de plein fouet par cette concurrence faussée.

Face à cette situation, les précédents gouvernements s'étaient engagés dans des mesures d'allègement de charges. Je pense notamment à l'élargissement successif du dispositif dit « TO-DE », c'est-à-dire « travailleurs occasionnels et demandeurs d'emplois », dont l'objectif est la réduction des charges sur les salaires de ces catégories de personnel.

La solution véritablement efficace, monsieur le ministre, vous la connaissez : c'est une Europe plus intégrée, une Europe de l'agriculture renforcée et coordonnée, une Europe de l'agriculture pensée comme un espace de coopération plus qu'un espace de concurrence, une Europe de l'agriculture qui encourage une « solidarité de production », pour reprendre une expression de Robert Schuman. Cette Europe-là constitue pour les agriculteurs de nos territoires une attente forte. Elle est une attente, mais elle est aussi une urgence.

Monsieur le ministre, depuis les fameux discours de Jean Jaurès au monde paysan, les socialistes ont toujours su prendre la mesure des problèmes posés au monde agricole. C'est pourquoi je souhaite savoir quelles initiatives européennes le Gouvernement entend engager rapidement dans le domaine agricole, afin de parvenir à une plus grande harmonisation de nos systèmes fiscaux et sociaux.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur, vous avez soulevé une vaste question, qui touche à des sujets importants, tels que l'harmonisation sociale et fiscale en Europe. En effet, une telle évolution fait débat, puisque les États restent pour l'instant souverains en matière sociale et fiscale.

S'agissant des fruits et légumes, vous avez souligné que les écarts de coût du travail étaient l'un des éléments expliquant la diminution des quantités produites en France, au point de nous mettre aujourd'hui en difficulté. C'est pourquoi le Gouvernement a pris deux décisions.

La première concerne les fameux travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi, TO-DE, que vous avez évoqués. En dépit du contexte budgétaire, qu'il n'est pas nécessaire de rappeler, j'ai prévu une ligne budgétaire de 506 millions d'euros, soit l'équivalent du montant inscrit dans la loi de finances pour 2012. Il se trouve que, durant cette année 2012, les dépenses ont largement dépassé ce montant, atteignant environ 600 millions d'euros. Ma priorité a été de préserver le dispositif TO-DE, en maintenant ses crédits à leur niveau de 2012.

La seconde décision relève du pacte de compétitivité-emploi. Le crédit d'impôt s'appliquera - ce point est très important - aux entreprises agricoles, en particulier à celles dont l'activité est très intensive en emplois. C'est le cas de la filière fruits et légumes. Je vous rappelle que le crédit d'impôt permettra de diminuer la masse salariale de 4 % dès 2013 et de 6 % au bout du compte. C'est un élément qui va dans le sens de l'amélioration de notre compétitivité.

Au-delà de ces deux dispositifs, qui additionnent leurs effets, il faut évoquer, comme vous l'avez fait, le débat européen. Le premier élément à prendre en compte - vous le savez mieux que moi -, c'est que, dans le grand pays voisin de l'Alsace, des débats sont en cours dans la perspective des élections. L'un d'entre eux porte sur le salaire minimum.

En effet, actuellement, ce sont des conventions collectives qui fixent le salaire minimum en Allemagne, et il n'en existe pas vraiment, pour des raisons historiques, dans le domaine agricole et agroalimentaire. Cependant, pour écouter de temps en temps ce qui se passe chez nos amis allemands, je sais qu'il y a aujourd'hui un débat sur cette question. Il appartiendra aux Allemands de décider, mais je pense que des évolutions sont possibles sur ce sujet.

Le second élément important, c'est la directive européenne sur le détachement de travailleurs, qui permet à des salariés d'être embauchés pour une période courte. Cette directive est extrêmement déstabilisatrice aujourd'hui. J'en suis parfaitement conscient, et la France soutient la refonte de ce texte, afin que son application ne permette plus les dérives actuelles, avec l'utilisation d'une main-d'œuvre étrangère bon marché dans certains pays. Il faut remettre un peu d'ordre dans le marché unique européen, en particulier dans les secteurs que vous avez évoqués.

Enfin, il faut mentionner le débat sur l'harmonisation sociale et fiscale. Il faut le dire, on ne parle même plus d'harmonisation aujourd'hui : les dix dernières années ont au contraire été marquées par une divergence sociale et fiscale entre les États membres. Il faut mettre un terme à ce mouvement de divergence, afin de reprendre nos efforts d'harmonisation. Ce qui me frappe, c'est la divergence sociale et fiscale à l'échelle européenne. Malgré la crise actuelle, qui pose des problèmes dans de nombreux pays - en Espagne, en particulier -, nous devons plaider en faveur de la convergence en matière sociale.

Je le répète, le Gouvernement a pris ses responsabilités, en maintenant le montant affecté aux TO-DE et en créant le crédit d'impôt compétitivité-emploi. Une refonte de la directive européenne sur le détachement de travailleurs est en préparation ; nous veillerons à ce que l'application de cette directive soit plus strictement contrôlée. Un débat sur le salaire minimum est en cours, en particulier en Allemagne, mais il est politique. Enfin, la grande question de la convergence des politiques sociales et fiscales est au cœur du débat européen. Je pense que, sur ce point, nous devons avancer avec une idée simple : dès lors qu'il existe un marché unique, au sein duquel les marchandises et les hommes peuvent se déplacer en toute liberté, nous devons trouver les voies et moyens de mieux harmoniser nos conditions sociales et fiscales.

M. le président. La parole est à M. Roland Ries.

M. Roland Ries. Monsieur le ministre, je vous remercie de m'avoir apporté ces réponses extrêmement précises, qui me rassurent quant à votre conscience des difficultés que rencontrent nos régions frontalières.

Je voudrais apporter un complément. Il peut paraître étonnant qu'un élu d'une grande ville s'exprime au nom des agriculteurs, mais ce sont eux qui m'ont saisi. En outre, je ne suis pas sénateur de la ville de Strasbourg, mais du département du Bas-Rhin, qui comprend des zones rurales.

Cependant, j'ai une autre raison d'aborder ce sujet. J'essaie actuellement de promouvoir à Strasbourg, donc en milieu urbain, le recours aux circuits courts d'approvisionnement, en développant les cultures maraîchères qui existaient jadis en périphérie de l'agglomération, avant de disparaître sous l'effet de l'extension urbaine. C'est un travail que je mène avec la chambre d'agriculture.

L'opposition traditionnelle entre ville et campagne doit être dépassée. Nous avons d'ailleurs d'excellentes relations : nous présentons la ferme une fois par an, place Kléber, et nous organisons d'autres manifestations.

Je pense qu'il est important de développer ces circuits courts, parce que nos concitoyens se préoccupent de plus en plus de ce qu'ils ingurgitent. Ils préfèrent consommer des produits locaux plutôt que des fruits et légumes importés du bout du monde, ou en tout cas de pays dans lesquels les contrôles sont moins rigoureux que sur notre territoire.

C'est l'une des raisons qui me poussent à développer les initiatives d'approvisionnement local, qui doivent venir des agriculteurs, mais aussi être accueillies favorablement dans les villes. Par exemple, nous avons acheté des terrains à proximité de l'agglomération pour développer les cultures maraîchères et ainsi retrouver, au moins partiellement, les logiques qui existaient jadis mais qui se sont perdues.

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