Question de Mme BEAUFILS Marie-France (Indre-et-Loire - CRC) publiée le 08/11/2012

Mme Marie-France Beaufils attire l'attention de Mme la ministre des affaires sociales et de la santé sur la situation des laboratoires publics départementaux.

Elle constate que la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques dans son article 52 a signé la programmation de l'arrêt de mort de nombreux laboratoires publics départementaux au profit du développement croissant de véritables monopoles privés et en fragilise d'autres comme celui de Touraine. Elle regrette que la France soit le seul pays à confier la protection de la santé à des grands groupes privés qui pratiquent de façon déloyale le dumping commercial et bénéficient de l'argent public. Elle propose d'amender l'article 52 de la loi du 30 décembre 2006 et en particulier de modifier l'article L. 1321-5 du code de la santé publique ainsi que d'abroger tous les décrets et circulaires qui organisent ce processus de libéralisation. Elle pense qu'il est urgent de ne confier qu'aux laboratoire publics, chargés d'assurer un service de proximité de qualité, les analyses relatives au contrôle des eaux. Elle suggère d'inscrire ces missions au profit des laboratoires publics dans les compétences des conseils généraux.

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Réponse du Ministère des affaires sociales et de la santé publiée le 16/01/2013

Réponse apportée en séance publique le 15/01/2013

Mme Marie-France Beaufils. Madame la ministre, la loi sur l'eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006, dans son article 52, a signé la programmation de l'arrêt de mort de nombreux laboratoires publics départementaux au profit du développement croissant de véritables monopoles privés.

Certains établissements publics résistent encore, comme dans le département d'Indre-et-Loire, mais souffrent du contenu de ce texte, qui impose la passation de marchés pour la réalisation des contrôles obligatoires. C'est là, au nom de la concurrence dite « libre et non faussée », la conséquence directe d'une transposition abusive d'une directive européenne.

De nombreux pays européens ont fait le choix de ne pas livrer aux laboratoires privés un secteur aussi sensible, lié à la protection de la santé de leurs citoyens. La France est le seul pays à procéder de la sorte en Europe pour le contrôle de la qualité des eaux fournies aux consommateurs.

Ainsi, en instaurant via cet article l'agrément automatisé des laboratoires, la porte a été ouverte pour que puissent s'engouffrer deux laboratoires privés, qui font actuellement la loi sur le marché.

Les laboratoires publics ont pour mission d'assurer un service de proximité et de qualité. La loi sur l'eau, en prônant la concurrence, a imposé d'autres critères relevant des recettes de l'entreprise privée, comme la rationalisation, la compression des coûts ou la compétitivité. La course au profit et à la productivité remplace ainsi l'objectif essentiel de santé publique, fondé sur un travail scientifique de qualité. À mes yeux, ces méthodes sont aux antipodes de l'exigence d'esprit critique que doivent observer les analystes.

Le dumping devient une méthode utilisée couramment. Dans notre département d'Indre-et-Loire, les concurrents privés baissent volontairement les prix du marché pour mettre en difficulté les laboratoires publics jusqu'à un effondrement des tarifs : par rapport au tarif historiquement fixé par le ministère de la santé, cet effondrement s'établit, pour le premier des deux laboratoires concernés, CARSO, à 75 %, et pour le second, Eurofins, à 81 %. Ces derniers souhaiteraient voir disparaître le laboratoire de Touraine, qui résiste encore grâce à la volonté politique du conseil général et maintient un outil performant et indépendant capable d'assurer le contrôle de la salubrité des eaux.

La situation créée au niveau national est inquiétante, puisque de nombreux laboratoires publics disparaissent et que d'autres sont exposés à des difficultés financières les mettant en position de fragilité, au profit des deux grands laboratoires que je viens de citer.

Les salariés sont inquiets, et leurs représentants m'ont alertée. Des associations qui regroupent les directeurs et cadres des laboratoires publics départementaux lancent un véritable cri d'alarme quant aux contrôles de la qualité de l'eau.

Il est inacceptable que les laboratoires privés bénéficient, parallèlement, d'argent public et mettent ainsi en difficulté les laboratoires publics en les contraignant à aligner leurs tarifs. La société CARSO, acteur majeur de ce dumping commercial, a obtenu en 2010, pour financer son développement, 20 millions d'euros au titre du Fonds stratégique d'investissement, détenu à 51 % par la Caisse des dépôts et consignations et à 49 % par l'État. Il faut mettre un terme à ces pratiques !

À cette fin, madame la ministre, je vous propose que soit amendée la loi sur l'eau, tout particulièrement l'article L. 1321-5 du code de la santé publique, où il est fait mention du processus de choix des laboratoires.

À l'heure actuelle, aux termes de cet article, l'État « est chargé de l'organisation du contrôle sanitaire des eaux. » On pourrait ajouter : « Il conclut à cet effet, avec un ou des laboratoires agréés, le marché nécessaire. Il est la personne responsable du marché. »

Je vous propose également d'abroger, dans les plus brefs délais, l'arrêté du 9 novembre 2011 portant modalités d'agrément des laboratoires effectuant des analyses dans le domaine de l'eau et des milieux aquatiques au titre du code de l'environnement.

En effet, il est urgent de confier aux seuls laboratoires publics départementaux agréés et accrédités par le COFRAC les analyses relatives aux contrôles officiels d'alimentation - pour les eaux brutes comme pour les eaux traitées - et des eaux de loisirs dans le cadre d'un service public.

De surcroît, en inscrivant les missions assurées par les laboratoires départementaux, qui pourraient se coordonner à l'échelle régionale, dans les compétences des conseils généraux, il serait possible de consolider le maillage territorial sanitaire français.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Madame la sénatrice, le suivi sanitaire de la qualité de l'eau destinée à la consommation humaine est évidemment tout à fait essentiel. En tant que ministre des affaires sociales et de la santé, je ne peux que faire mienne votre préoccupation et affirmer avec force que nous devons mettre en œuvre des procédures garantissant à nos concitoyens la qualité de l'eau qu'ils consomment.

À l'heure actuelle, ce suivi est réalisé par les agences régionales de santé, les ARS. Je le rappelle, dans le cadre des procédures en cours, notre pays est l'un de ceux dans lesquels l'eau destinée à la consommation humaine est l'un des aliments les plus contrôlés.

Même si les eaux des piscines et des baignades n'étaient pas incluses dans votre question, je rappelle qu'elles font également l'objet d'un suivi sanitaire tout à fait régulier.

Il s'agit là d'un droit fondamental de nos concitoyens. Pour faire respecter cette exigence quant à la qualité de l'eau, nous nous appuyons sur un réseau de laboratoires agréés. Dans votre département d'Indre-et-Loire, qui est aussi le mien, ces laboratoires sont au nombre de deux : ils peuvent réaliser les prélèvements ou les analyses des paramètres du contrôle sanitaire.

Ces agréments et ces contrôles s'inscrivent dans un cadre juridique fixé depuis maintenant plus de dix ans, depuis 2001, et qui a abouti à la réorganisation des modalités d'activité, de prélèvement et d'analyse du contrôle sanitaire des eaux. La politique menée en la matière est également déterminée au niveau européen.

Les prestations de prélèvements et d'analyses ainsi accomplies sont soumises au code des marchés publics, nécessitant une procédure de passation du marché. Dans le cadre juridique existant, il n'est donc pas possible, au regard de nos obligations communautaires, de revenir à la situation antérieure, qui faisait des laboratoires publics départementaux les seuls habilités à réaliser l'analyse sanitaire des eaux.

Je le répète, nous ne sommes pas en situation de rétablir aujourd'hui le monopole dont disposaient ces laboratoires publics départementaux, au regard des obligations juridiques européennes qui nous incombent.

Pour autant, et vous l'avez souligné, madame la sénatrice, la question du devenir des laboratoires publics départementaux est posée. Ils sont confrontés, c'est vrai, à une concurrence difficile, mais je veux vous assurer de ma volonté de faire en sorte que ces structures aient les moyens d'être davantage renforcées.

Comme vous, je suis particulièrement sensible à la situation du laboratoire de Touraine, dont nous connaissons l'excellence des travaux et la grande qualité des analyses. Je veux, d'ailleurs, rendre hommage à ses personnels. Ils permettent à notre département de s'enorgueillir de disposer de moyens d'analyse des prélèvements, et pas seulement de l'eau, d'une très grande qualité.

Ces structures départementales, je veux le redire, jouent un rôle clé dans la protection des consommateurs, mais aussi dans l'accompagnement des agriculteurs. Nous savons, dans notre département, madame la sénatrice, le rôle important que joue ce laboratoire. En matière d'hygiène alimentaire comme de santé animale, le département bénéficie d'un instrument particulièrement adapté.

L'objectif est donc de renforcer ces structures, dans le cadre des obligations réglementaires. En ce qui concerne le laboratoire de Touraine, nous devons aller plus loin dans l'exploration des possibilités de mutualisation au niveau régional. En effet, l'une de ses faiblesses, commune à d'autres laboratoires départementaux, réside sans doute dans sa petite taille, insuffisante comparée à celle d'autres structures.

Je sais que c'est le sens du travail mené aujourd'hui par le conseil général de l'Indre-et-Loire. Il répond aux préoccupations du Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.

Mme Marie-France Beaufils. Madame la ministre, vous avez fait allusion aux directives européennes. Je voudrais rappeler que tous les pays européens n'ont pas fait le même choix que la France dans la loi de 2006, certains ayant préféré contractualiser avec leurs laboratoires publics pour assurer la sécurité de l'eau. C'est pour cette raison que j'aimerais que vous approfondissiez la question.

En outre, je suis très inquiète de constater que, dans le cadre du dernier appel d'offres auquel le laboratoire de Touraine a répondu sans être retenu, l'ARS du Centre semble avoir retenu le laboratoire privé Eurofins, alors même que votre ministère avait alerté l'ensemble des ARS en octobre 2012, à propos du non-respect par Eurofins d'un certain nombre de règles, notamment des obligations du cahier des charges sur la base duquel il avait pourtant construit sa réponse.

Je crois donc qu'un travail de fond est vraiment nécessaire quant à la qualité des réponses de ces laboratoires privés, qui baissent considérablement leurs tarifs pour fragiliser les candidatures des laboratoires régionaux. Pour reprendre notre exemple, le laboratoire de Touraine a pourtant formulé d'excellentes propositions en réponse à l'appel d'offres, puisque l'ARS s'était même étonnée de la faiblesse des prix proposés. Elle était tout simplement due à la proximité du laboratoire qui pouvait ainsi proposer des prix plus bas que d'autres, contraints à de longs déplacements.

Je souhaiterais vraiment qu'un travail d'investigation plus approfondi soit mené. Je peux comprendre que votre réponse n'ait pas ce niveau de précision - il n'est pas toujours facile de se lancer dans une investigation détaillée -, mais je sais aussi que le conseil général a formé un recours contre la décision de l'ARS. J'en ignore encore l'issue, qui connaîtra sans doute du retard en raison de la proximité de la période de Noël.

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