Question de M. MASSON Jean Louis (Moselle - NI) publiée le 17/01/2013

M. Jean Louis Masson attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur le fait que la réponse à sa question écrite n° 1614 (JO Sénat du 23 août 2012) confirme la différence entre la jurisprudence administrative et la jurisprudence pénale pour la participation d'un conseiller municipal à une délibération. Il résulte de la réponse que du point de vue administratif, un conseiller municipal qui possède un terrain dans la commune peut participer au vote d'une délibération approuvant un plan local d'urbanisme (PLU) ou une zone d'aménagement concerté (ZAC) pourvu que son terrain soit simplement concerné comme la « généralité » des autres terrains du ban communal. Par contre, selon la réponse ministérielle, la jurisprudence pénale afférente à la notion de prise illégale d'intérêt est beaucoup plus restrictive. Il lui demande donc si un conseiller municipal qui possède un terrain ou une habitation n'ayant aucune particularité (ni par son importance, ni par sa localisation particulière) et entrant donc dans « la généralité » des biens immobiliers situés sur le ban communal peut être poursuivi pour prise illégale d'intérêt s'il participe à la délibération approuvant le PLU ou la ZAC. Dans l'hypothèse d'une réponse affirmative, il rappelle qu'en zone rurale, la plupart des conseillers municipaux possèdent soit un terrain, soit leur maison et si tous ces élus municipaux ayant une propriété sont dans l'impossibilité de délibérer, il devient alors impossible d'avoir le quorum pour approuver le PLU ou la ZAC. Dans la même logique, il lui demande si un conseiller municipal qui habite une rue peut voter sans risque de prise illégale d'intérêt une délibération pour la réfection des trottoirs de ladite rue. À l'extrême, il lui demande si la jurisprudence pénale permet sans risque à un élu municipal assujetti à la taxe d'habitation de participer au vote des impôts locaux.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 28/03/2013

Le délit de prise illégale d'intérêts est défini par l'article 432-12 du code pénal comme le fait, « par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement ». Il est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Afin de prendre en considération les spécificités des petites communes, souvent rurales, des dispositions dérogatoires (art. 432-12 alinéas 2 à 5) existent pour les communes de moins de 3 500 habitants. L'infraction de prise illégale d'intérêts vise à s'assurer de la probité des personnes chargées de fonctions publiques et à écarter tout soupçon que l'administré pourrait avoir sur la prise en compte, dans la gestion des affaires publiques, du seul intérêt général. L'intérêt quelconque peut être « de nature matériel ou moral, direct ou indirect, et se consomme par le seul abus de la fonction indépendamment de la recherche d'un gain ou de tout autre avantage personnel » (Cour de cassation, chambre criminelle, 21 juin 2000) et il n'a pas à être nécessairement en contradiction avec l'intérêt général (Cour de cassation, chambre criminelle, 19 mars 2008). Il convient de noter que la prise illégale d'intérêt peut également être caractérisée malgré l'absence d'enrichissement personnel des élus, notamment en cas de subventions accordées par des élus à des associations qu'ils président (Cour de cassation, chambre criminelle, 22 octobre 2008). À ce sujet, on citera la décision affirmant que « le délit d'ingérence est caractérisé dès lors qu'il est établi, d'une part, que les prévenus devaient exercer, en qualité de maire ou d'adjoint au maire, une surveillance sur l'activité de la société civile immobilière chargée de l'aménagement du littoral et dont la constitution avait été décidée par le conseil municipal, et d'autre part qu'ils ont pris un intérêt personnel, même sans rémunération ou contrepartie pécuniaire, dans le fonctionnement de ladite société » (Cour de cassation, chambre criminelle 25 juin 1996). On rappellera enfin que l'élément intentionnel du délit de prise illégale d'intérêt est caractérisé « par le seul fait que l'auteur a accompli sciemment l'acte constituant l'élément matériel du délit » (Cour de cassation, chambre criminelle, 27 novembre 2002, voire encore criminelle 22 octobre 2008). À titre d'exemples des contours du délit de prise illégale d'intérêts, on citera l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Grenoble le 15 septembre 2004 qui a jugé que n'était pas constitutif du délit d'ingérence (ancienne dénomination du délit de prise illégale d'intérêts) le fait pour un maire, également gérant d'un hôtel de la commune, de présider les conseils municipaux et de prendre part aux votes ayant décidé d'opérations de préemption et d'expropriation d'une parcelle, sur laquelle était construite une maison, située entre l'hôtel exploité par le propriétaire de cette parcelle et la mairie. La cour d'appel a indiqué que, bien que le maire ait eu, es qualité, l'administration ou la surveillance de ces opérations, il n'avait pas abusé de ses fonctions dans le but d'affaiblir un hôtel concurrent. En effet, le caractère d'utilité publique de cette expropriation n'était pas contestable et il n'existait pas de concurrence directe entre les établissements, l'intention frauduleuse n'étant au demeurant nullement caractérisée et ne pouvant, à défaut d'intérêt caractérisé, suffire à constituer le délit. La Cour d'appel de Poitiers a, quant à elle, considéré, dans un arrêt du 9 janvier 1998, que le conseiller municipal qui participait au groupe de travail et aux délibérations du conseil municipal relatifs à l'élaboration d'un projet de révision du plan d'occupation des sols (POS) de la commune, ne commettait pas de délit d'ingérence, dès lors que le reclassement des terres opéré par la révision du POS ne constituait pas, en l'espère, un intérêt ; en effet, un reclassement plus favorable avait déjà été proposé par un autre projet de révision et était, de manière inéluctable, commandé par la situation des lieux et par la stricte interprétation dans l'intérêt de la commune, des lois et règlements applicables en matière d'occupation des sols. En revanche, dans la même décision, la cour d'appel condamnait le conseiller municipal du chef de prise illégale d'intérêts, dès lors qu'il avait participé, par mandataire interposé, à la délibération adoptant le POS ayant conduit à classer en zone constructible des terres lui appartenant classées auparavant en zone non constructible et qu'il obtenait, à titre dérogatoire, une autorisation d'application du POS par anticipation, lui permettant d'adjoindre à des terres non constructibles des terrains contigus situés en zone constructible et ainsi de constituer des lots de lotissement qu'il vendait par la suite pour réaliser un profit substantiel. En conclusion, dans le cadre de l'article 432-12 du code pénal, les cours et tribunaux, par une appréciation souveraine, jugent au cas par cas les faits qui leur sont soumis, la notion d'abus de fonction comme celle d'intérêt permettant de circonscrire le texte répressif aux comportements réellement délictueux. Dès lors, il ne semble pas exister de risque pénal particulier lié au vote d'une taxe d'habitation par un élu qui y est assujetti ou, sauf éventuels cas particuliers, au vote permettant la réfection de trottoirs de la rue où habite l'élu.

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