Question de M. DÉTRAIGNE Yves (Marne - UDI-UC) publiée le 14/02/2013

M. Yves Détraigne attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'article 22 de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition du contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles.

Cet article a instauré un pôle judiciaire spécialisé, compétent pour les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, au sein du tribunal de grande instance de Paris, en insérant les articles 628 à 634 dans le code de procédure pénale.

À l'époque des discussions autour de cette création, la commission des lois du Sénat avait émis le souhait que ce nouveau pôle permît à la justice française de traiter avec la plus grande efficacité les dossiers relatifs à ce type de crimes et demandé aux ministères de la justice et de l'intérieur qu'il lui fût donné des moyens suffisants, qu'ils s'agisse des effectifs de magistrats et d'enquêteurs ou des moyens matériels indispensables pour les enquêtes dans les pays où ces crimes ont été commis.

Plus d'un an après l'adoption et la promulgation de cette loi, les associations qui militent pour que les responsables de ces crimes – notamment ceux perpétrés au Rwanda en 1994 – soient déférés devant la justice regrettent que la situation n'ait pas évolué.

En conséquence, il lui demande de bien vouloir établir un bilan des avancées de ce pôle.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 27/03/2013

Réponse apportée en séance publique le 26/03/2013

M. Yves Détraigne. Madame la garde des sceaux, je souhaite vous interroger sur le pôle judiciaire spécialisé compétent pour les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, créé au sein du tribunal de grande instance de Paris à la suite de l'adoption de la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allégement de certaines procédures juridictionnelles.

À l'époque des discussions autour de cette création, la commission des lois du Sénat avait, de manière tout à fait légitime, me semble-t-il, émis le souhait que ce nouveau pôle permette à la justice française de traiter avec la plus grande efficacité les dossiers relatifs à ce type de crimes et demandé aux ministères de la justice et de l'intérieur que lui soient attribués des moyens suffisants pour agir efficacement, qu'il s'agisse des effectifs de magistrats et d'enquêteurs ou des moyens matériels indispensables pour mener les enquêtes dans les pays où ces crimes ont été commis.

Plus d'un an après l'adoption et la promulgation de cette loi, les associations qui militent pour que les responsables de ces crimes, notamment ceux qui ont été perpétrés au Rwanda en 1994, soient déférés devant la justice, regrettent que la situation n'ait pas évolué et que les magistrats chargés d'intervenir et de poursuivre les auteurs de ces crimes manquent de moyens et de temps.

Je souhaite donc que vous nous indiquiez, madame la ministre, ce qui a été fait pour la mise en place de ce pôle, mais également ce que vous entendez faire pour qu'il trouve sa pleine efficacité et pour que les magistrats qui lui sont affectés puissent agir avec toute l'efficacité requise. Il y va, me semble-t-il, de la crédibilité de l'État français auprès des victimes de ces crimes et de leurs familles.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, il faudra que je m'habitue à la célérité du Sénat ; l'expérience montre qu'il prend souvent de l'avance lors des séances consacrées aux questions orales... (Sourires.)

Je vous remercie pour votre question, monsieur le sénateur, car elle renvoie à un sujet d'une extrême importance, et qui est cher au Sénat. Lors d'un débat récent organisé sur l'initiative du président de la commission des lois, M. Jean-Pierre Sueur, votre assemblée a en effet examiné et adopté sa proposition de loi visant à élargir la compétence territoriale des tribunaux français pour leur permettre de poursuivre et de juger des auteurs de génocides, crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis à l'étranger.

Vous savez, monsieur Détraigne, pour suivre ces travaux de près, que ladite proposition de loi visait à faire sauter quatre verrous limitant, dans le cadre du statut de la Cour pénale internationale, la compétence des juridictions françaises, et plus particulièrement trois d'entre eux : l'exigence de résidence habituelle sur le territoire français, la double incrimination, l'inversion du principe de complémentarité entre les juridictions nationales et la Cour pénale internationale.

Ces trois verrous ont été levés. Reste le quatrième : le monopole pour engager l'action publique dont dispose le ministère public qui, rappelons-le, peut toutefois être saisi par tout citoyen.

La compétence française était déjà établie par la loi du 9 août 2010. La loi du 13 décembre 2011, que vous avez citée, a créé un pôle judiciaire spécialisé en matière de crimes contre l'humanité, génocides, crimes et délits de guerre, mis en place le 1er janvier 2012 au sein du tribunal de grande instance de Paris.

Actuellement, quelque 33 procédures d'instruction sont suivies par le pôle spécialisé, dont 27 concernent le génocide commis au Rwanda en 1994. Enfin, s'ajoutent à ces procédures 9 enquêtes préliminaires concernant d'autres pays et confiées à la section de recherche de Paris.

Les procédures suivies pour crimes contre l'humanité et génocides commis à l'étranger, complexes et volumineuses, nécessitent du temps, ainsi que des effectifs et des moyens importants. Par exemple, les demandes d'entraide adressées au Rwanda imposent des déplacements d'une quinzaine de jours en moyenne, requérant une semaine de préparation.

Vous avez raison, monsieur le sénateur, il convient de veiller au niveau des effectifs et des moyens afin de garantir l'opérationnalité du pôle spécialisé.

Ce pôle, initialement composé d'un magistrat du parquet et d'un juge d'instruction, nous l'avons renforcé. Il comprend désormais deux magistrats du parquet, trois magistrats instructeurs, quatre assistants spécialisés issus des juridictions pénales internationales, dont un sociologue, étant précisé que deux autres assistants spécialisés devraient être recrutés au cours de l'année 2013.

Je vous propose que nous procédions à une évaluation de l'application de la proposition de loi de M. Jean-Pierre Sueur d'ici à la fin de l'année. Nous verrons bien si, en l'absence des trois verrous que je viens de citer, une masse de procédures vient s'ajouter, ou non, aux 33 informations judiciaires et aux 9 enquêtes préliminaires en cours.

Connaissant votre intérêt de longue date pour ces questions et votre compétence en la matière, je vous invite, monsieur le sénateur, à participer à cette évaluation.

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Je vous remercie de ces précisions, madame la ministre.

Il ne vous a pas échappé que les événements du Rwanda se sont produits il y a près de vingt ans. Or plus le temps passe et plus les familles et les associations, souvent créées par des parents de victimes, désespèrent de connaître la vérité et de voir sanctionnés les responsables de ces crimes, qui continuent à vivre en toute impunité.

Vous l'avez dit, vous êtes consciente de la nécessité de renforcer les moyens de ce pôle. Il faut également veiller, me semble-t-il, à ce que les moyens qu'on lui affectera soient spécialement dédiés à ses missions. J'ai en effet entendu dire que certains des magistrats chargés de ces questions n'étaient pas entièrement déchargés de leurs autres dossiers, que je qualifierai de « métropolitains ».

Il est donc important, non seulement de mener à bien cette évaluation, mais aussi de donner à ce pôle les moyens de réussir et ainsi, parce que la justice française aura fait ce qu'elle devait faire, d'apaiser les familles.

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