Question de M. CHEVÈNEMENT Jean-Pierre (Territoire de Belfort - RDSE) publiée le 29/03/2013

Question posée en séance publique le 28/03/2013

M. Jean-Pierre Chevènement. Ma question s'adresse également à M. le ministre de l'économie et des finances.

Monsieur le ministre, M. Dijsselbloem, président de l'Eurogroupe, a proposé, le 16 mars dernier, de faire payer tous les déposants des banques chypriotes. Cette proposition, adoptée à l'unanimité par les différents pays membres de la zone euro, a dû être retirée parce qu'elle portait atteinte notamment au principe de garantie des dépôts inférieurs à 100 000 euros.

Une seconde décision a dû être prise exemptant les comptes inférieurs à 100 000 euros. Elle n'en reste pas moins arbitraire pour le reste, puisqu'elle impose, par exemple, à Chypre une profonde restructuration bancaire, en particulier la fermeture de la deuxième banque du pays, la banque Laïki. Des pertes égales à 30 % ont été imposées aux autres déposants.

M. Dijsselbloem a déclaré au journal Le Monde que « ceux qui ont pris des risques doivent en assumer la responsabilité. Les déposants, les actionnaires et les créanciers obligataires des banques doivent être associés à leur restructuration ».

Ce message a un sens, où alors on ne comprend plus rien : les pays les plus riches de la zone euro veulent limiter la contribution du Mécanisme européen de stabilité.

Vous nous avez dit à l'instant, monsieur le ministre, que Chypre était un cas exceptionnel. Mais ce qui a été fait pour Chypre ne pourrait-il pas inspirer le traitement qui serait appliqué à d'autres pays ? Je pense à ceux qui, à travers une fiscalité anormalement basse, jouent le rôle de paradis fiscal au sein de la zone euro, voire à d'autres…

Le risque de fuite des capitaux n'a-t-il pas été sous-estimé ?

Ma première question est la suivante : jusqu'où l'Eurogroupe peut-il imposer à un pays un changement de modèle économique ?

Vous avez affirmé que l'Eurogroupe respectait la souveraineté de Chypre. J'observe néanmoins que le président de la Banque centrale européenne, M. Draghi, a menacé Chypre, si un nouvel accord n'intervenait pas avant lundi 25 mars au soir, de couper le robinet à liquidités destinées aux banques chypriotes.

M. Jean Arthuis. Il a bien raison !

M. Jean-Pierre Chevènement. On peut dire que la BCE a utilisé la « grosse Bertha » pour faire plier Chypre. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Que se serait-il passé si Chypre avait refusé ? La BCE ne s'arroge-t-elle pas ainsi le droit d'expulser un État de la zone euro ?

J'en viens à ma deuxième question, monsieur le ministre : cette pratique est-elle conforme aux traités et, surtout, à leur esprit ? Avec le contrôle des mouvements de capitaux, n'allons-nous pas vers un euro à plusieurs vitesses ?

Enfin, ma dernière question concerne la Russie, qui utilise Chypre non pas seulement pour des fonds offshore, mais également pour le transit d'un certain nombre de ses entreprises, je pense à Aeroflot. Y a-t-il un dialogue entre les institutions européennes et la Russie ? Que pouvez-vous nous dire sur ce sujet, monsieur le ministre ?

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Réponse du Ministère de l'économie et des finances publiée le 29/03/2013

Réponse apportée en séance publique le 28/03/2013

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie et des finances.

M. Alain Gournac. Debout, les socialistes !

M. François Grosdidier. Debout !

Un sénateur du groupe socialiste. Couché, l'UMP !

M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur, votre question a plusieurs dimensions.

D'abord, je le redis, la situation de Chypre est exceptionnelle et ne peut en rien faire figure d'exemple. Je puis vous l'assurer, il n'a jamais été question de remettre en cause le modèle économique à la place du peuple concerné. Le système était tout simplement bancal et menaçait de s'effondrer.

La vérité, c'est que l'Eurogroupe n'est intervenu ni par hasard ni par plaisir. Il n'a pas pris sa décision non plus à n'importe quel moment. Il a agi alors que le système que j'ai décrit il y a quelques instants était sur le point de faire défaut ou faillite. Si un tel événement s'était produit, c'eût été pour le peuple chypriote, pour l'économie chypriote, pour les finances publiques chypriotes et pour les banques chypriotes un véritable cataclysme. J'ajoute que le choc aurait peut-être été fatal pour la zone euro.

Nous devions donc agir, et nous ne l'avons pas fait par plaisir.

En outre, cette action n'a pas été arbitraire. L'Eurogroupe est la réunion des dix-sept ministres de l'économie et des finances de la zone euro, y compris celui de Chypre, et y sont représentés le Fonds monétaire international, qui apporte son écot, la Banque centrale européenne et la Commission européenne.

La discussion portait non pas sur une décision que nous aurions imposée, mais sur un programme. C'est tellement vrai que le premier accord, qui n'était pas suffisamment solide et comportait certaines lacunes ou certains défauts, à commencer par le fait qu'il concernait les dépôts inférieurs à 100 000 euros, a été refusé par le Parlement chypriote et par le président Chypriote. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes réunis de nouveau la semaine suivante pour construire un accord qui me paraît plus équilibré. Il fallait restructurer le secteur bancaire tout simplement parce qu'il n'était pas viable.

Quant à la Banque centrale européenne, je considère qu'en l'occurrence elle a été dans son rôle. N'apporte-t-elle pas des liquidités ? La BCE, c'est nous et, quand on sollicite le Mécanisme européen de stabilité, ce sont en vérité nos finances publiques qui sont concernées puisque nous sommes actionnaires à 20 %. Le moment venu, il faudra d'ailleurs apporter cette contribution.

Faire plus n'aurait pas été justifié, car il y avait effectivement des responsabilités du côté chypriote, du fait d'une mauvaise gestion et d'une hypertrophie du système bancaire.

La situation a sans doute été sous-estimée lors de la première réunion de l'Eurogroupe. Je n'avais d'ailleurs pas manqué de souligner qu'il y avait un risque qu'une telle décision soit perçue comme une menace pour la garantie des dépôts. Par la suite, en accord avec les autorités chypriotes, nous avons retenu la solution la moins mauvaise possible au vu de la situation. Maintenant, il convient de reconstruire l'économie chypriote sur un autre modèle.

Enfin, la Russie, à laquelle vous êtes attaché et sur laquelle vous réalisez un travail remarquable, monsieur le sénateur, a été associée au processus. Le ministre chypriote a passé plusieurs jours en Russie. Finalement, les Russes ont considéré qu'il revenait aux Européens de régler la situation. Nous devrons, bien sûr, dialoguer avec la Russie pour ce qui est de l'avenir de l'île, car la Fédération est un grand partenaire pour nous.

Telles sont les réponses, complètes et donc un peu longues, que je tenais à vous apporter, monsieur Chevènement, car votre question le méritait. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Mme Esther Benbassa applaudit également.)

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