Question de M. RAFFARIN Jean-Pierre (Vienne - UMP) publiée le 29/03/2013

Question posée en séance publique le 28/03/2013

M. Jean-Pierre Raffarin. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.

Le journal Le Monde titrait hier : « Armée amputée, France déclassée » !

Monsieur le Premier ministre, quel paradoxe ce serait d'engager l'armée française au Mali et, dans le même temps, de créer les conditions budgétaires de son démantèlement !

Ce que la France fait aujourd'hui au Sahel avec courage et succès pourra-t-elle l'accomplir dans cinq ans ? En aura-t-elle encore les moyens ?

Déjà, avec les réformes de la professionnalisation conduites par le Président Chirac et de la rationalisation budgétaire, l'armée a fortement contribué aux exigences de la réforme de l'État.

Le ministre de la défense, M. Jean-Yves Le Drian, est largement plus vertueux sur le plan des efforts budgétaires que de nombreux autres ministres.

Les arbitrages présidentiels sur le Livre blanc et bientôt sur la loi de la programmation militaire pour 2014-2019 sont toujours attendus.

Sur l'initiative du président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, notre collègue Jean-Louis Carrère, un large consensus s'est affirmé au Sénat pour demander « un plancher des ressources consacrées à la défense fixé à 1,5 % du PIB ».

Renoncer à cette exigence reviendrait à renoncer à notre souveraineté et à placer notre sécurité sous le parapluie américain. (Exclamations sur certaines travées du groupe socialiste.)

Pour de nombreux pays, la croissance des risques est parallèle à la croissance des budgets militaires.

Renoncer à cette exigence reviendrait aussi à renoncer aux grands programmes de notre industrie de défense, ce qui nous condamnerait à détruire des emplois : notre pays n'en a nul besoin !

Monsieur le Premier ministre, où en est le processus d'arbitrage quant à l'avenir du budget de la défense ?

Pensez-vous convaincre nos partenaires européens pour que les pays qui, par leur défense, participent à la sécurité de l'Union européenne puissent sortir une part de leurs investissements militaires du calcul du déficit budgétaire, et ainsi aménager la règle des 3 % ?

M. Jean-Pierre Caffet. Ah !

M. Jean-Pierre Raffarin. Souhaitons que la presse titre à l'avenir : « Armée soutenue, France défendue » ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

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Réponse du Premier ministre publiée le 29/03/2013

Réponse apportée en séance publique le 28/03/2013

M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, si le Président de la République a pris la décision d'engager nos forces au Mali, vous imaginez bien que ce n'est pas pour nous empêcher, demain, de garder la même capacité d'engagement, au nom de la France et même au-delà !

Je rappelle en effet que cette intervention, qui a été approuvée par tous les pays d'Afrique de l'Ouest et par la communauté internationale, au nom du respect du droit international, n'est pas motivée par la seule défense de l'intégrité du Mali, ainsi que de la liberté et de l'autonomie des États d'Afrique de l'Ouest. C'est aussi une lutte sans merci que nous menons contre le terrorisme, qui permet de défendre les intérêts de la France et de l'Europe sur notre continent et même ailleurs, puisque le message est compris bien au-delà des frontières européennes.

Donc, ce n'est pas ce que nous sommes capables de faire aujourd'hui qui devrait nous empêcher de le faire demain. Je conclurai, si vous me le permettez, monsieur le président, sur cet engagement dans quelques instants.

Le Président de la République a voulu que soit engagé un travail de mise à jour du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. C'est un travail considérable, d'un grand intérêt. Ce Livre blanc sera adopté, mesdames, messieurs les sénateurs, à la fin du mois d'avril, mais je souhaite que le Parlement puisse en débattre, que ce soit au Sénat ou à l'Assemblée nationale, avant l'été. C'est en tout cas, et c'est la moindre des choses, l'engagement que je prends devant vous

Ce Livre blanc présentera les risques et les menaces auxquels notre pays doit faire face, mais surtout il analysera le contexte géopolitique qui est le nôtre et les types d'engagements auxquels nous devons faire face.

Il est bien évident que nous devons continuer à défendre l'intégrité territoriale de la France. Vous avez parlé de souveraineté ; c'est la base même de la défense nationale. Mais c'est aussi la prise en compte de risques nouveaux, qui sont de plus en plus liés. Les risques intérieurs, les risques extérieurs doivent être abordés de la même façon, avec la nécessaire cohérence qu'impose notre volonté d'efficacité.

Le Président de la République l'a exprimé à plusieurs reprises, et je le redis devant le Sénat : le modèle d'armée qui découlera de ces travaux sera conforme aux ambitions de la France, en Europe et dans le monde ; autrement dit, il doit répondre à la nécessité de protéger notre territoire et la population française, de préserver nos forces de dissuasion dans ses deux composantes et d'assurer nos capacités d'intervention seuls ou avec nos alliés.

Ce modèle répondra également aux nouveaux enjeux auxquels nous devons faire face, notamment dans le domaine de la cyberdéfense, où nous avons d'importants progrès à faire, comme dans celui du renseignement ou du transport stratégique.

Ce n'est pas, bien sûr, au moment où nous engageons nos forces au Mali, dont je veux de nouveau saluer le professionnalisme, que nous allons baisser la garde.

Je profite aussi de cet instant pour remercier de nouveau l'ensemble des groupes parlementaires, toutes sensibilités confondues, que j'ai reçus lundi en compagnie du ministre des affaires étrangères, le ministre de la défense, empêché, étant représenté. Il est en effet très important que, dans les circonstances actuelles, la communauté nationale rassemblée proclame son unité, ce que chacun fait dans le respect de ses différences politiques.

Je tiens donc une nouvelle fois à vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs, au nom de la France mais aussi au nom de nos soldats qui sont aujourd'hui engagés dans une mission particulièrement difficile et dangereuse.

Après l'adoption du Livre blanc, viendra la loi de programmation militaire. Elle sera cohérente avec le modèle d'armée que je viens d'évoquer. Elle préservera aussi - et je comprends et partage votre préoccupation - l'excellence de notre industrie de défense, dont chacun mesure la nécessité stratégique et la contribution au dynamisme de notre économie.

J'ai parfois été surpris par certains titres de journaux. Cessons de nous faire peur avec des scénarios catastrophes qui n'ont jamais été sérieusement envisagés, en tout cas ni par le Président de la République, ni par moi-même, ni par le ministre de la défense.

Vous avez évoqué un sujet complexe : l'intégration dans le calcul du déficit de chaque pays des dépenses militaires. Je ne dis pas que c'est un faux problème. Je dis simplement que, dans ces circonstances, ce serait une forme de facilité, en quelque sorte une échappatoire par rapport à nos propres responsabilités.

Mais vous mettez très justement le doigt sur la question de la défense européenne, qui, ces dernières années, a pris trop de retard et doit être à l'ordre du jour des travaux de l'Union européenne. Nous ne devons pas laisser de côté cette question ; elle a d'ailleurs été récemment évoquée par le Président de la République lors d'une rencontre qui a eu lieu à Varsovie. Il n'est pas juste que seuls deux grands pays, la Grande-Bretagne et la France, fassent tant d'efforts pour la défense de leur pays mais aussi au service de l'Europe.

L'autonomie stratégique dépend tout autant de notre modèle d'armée que de notre capacité à redresser nos finances publiques. Sur ce point, vous avez évoqué l'effort qui a été consenti par la défense nationale, par nos armées, depuis plusieurs années, et je tiens effectivement à le saluer. Mais cet effort de redressement de nos finances publiques doit se poursuivre et chaque ministère y prendra sa part.

Monsieur le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, je suis parfois étonné d'une certaine forme d'injustice qui est manifestée à l'égard du Gouvernement. On critique nos intentions sans les connaître, alors qu'à peine votée la loi de programmation militaire précédente a déjà été oubliée. Donc, évitons les fausses querelles, évitons les excès !

Ce qui m'importe aujourd'hui, c'est de bâtir le modèle d'armée de demain, cohérent avec le redressement de notre pays et avec les risques et les menaces auxquels il doit faire face. Je veux que s'instaure sur ce sujet un dialogue serein entre l'ensemble des forces politiques du pays.

Je sais, monsieur le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, l'intérêt que vous portez à ces questions, et votre propos vient une nouvelle fois le rappeler. Mais je veux vous assurer, ainsi que l'ensemble des sénateurs, que nous avons sur ce sujet la même ambition. La France est une grande nation qui continuera à jouer son rôle, j'en prends ici l'engagement. Ce que la France fait au Mali, elle pourra le faire encore dans cinq ans ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe écologiste, du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

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