Question de M. FILLEUL Jean-Jacques (Indre-et-Loire - SOC) publiée le 06/06/2013

M. Jean-Jacques Filleul attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur l'habitat des gens du voyage. La loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, dite loi « Besson », a apporté des réponses bienvenues, tout en régulant le stationnement illégal. Malgré tout, de nombreux maires sont confrontés à des situations conflictuelles, alors même qu'ils ont mis en place, directement ou à travers leurs intercommunalités, des aires d'accueil.
Treize années après la promulgation de la loi, celle-ci n'est toujours pas appliquée dans sa totalité, en particulier pour les aires de grand passage. Sans ignorer les difficultés à créer de telles aires, il observe que les territoires renvoient les caravanes en nombre. Les préfets se trouvent dans l'obligation, le plus souvent en urgence, de faire face. Les conditions d'accueil sont, le plus souvent, inadaptées et ne correspondent en rien aux conditions minimum d'hygiène, de salubrité et de sécurité. Les élus, les maires sont, alors, en première ligne et doivent gérer ces situations.
Récemment, dans le département de l'Indre-et-Loire, la commune de Notre-Dame-d'Oé a eu à subir l'arrivée de très nombreuses caravanes. Les services municipaux, préfectoraux, les polices et la gendarmerie ont été mobilisés, toutes affaires cessantes. Il convient aussi d'évoquer les riverains et les propriétaires des terrains occupés et souvent saccagés. Il perçoit des tensions que les maires tentent de réduire, alors que les graves incidents de Saint-Aignan en 2010 restent présents dans les esprits.
Plus d'une décennie après l'adoption de la loi « Besson », il lui demande les mesures qu'il compte prendre dans ce domaine. Une évaluation de l'application de cette loi pourrait être entreprise et la création des aires de grands passages systématiquement engagée.

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Réponse du Ministère de l'intérieur publiée le 24/07/2013

Réponse apportée en séance publique le 23/07/2013

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul, auteur de la question n° 488, adressée à M. le ministre de l'intérieur.

M. Didier Guillaume. C'est une vraie question d'actualité !

M. Jean-Jacques Filleul. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai préparé cette question fin avril alors que, localement, dans les contours périurbains de l'agglomération tourangelle, le mécontentement était à son comble. Or, depuis quelques semaines, le stationnement des gens du voyage revient au premier plan de la scène politico-médiatique. Je m'élève d'ailleurs avec beaucoup de force contre les propos inacceptables que nous avons entendus récemment.

Ma question est donc bien au cœur de l'actualité, monsieur le ministre, et elle risque d'y rester si la loi relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, dite loi Besson, n'est qu'imparfaitement appliquée.

Cette loi a été votée en juillet 2000 et j'ai eu le plaisir, à l'époque, d'y contribuer. Elle a apporté des réponses précises et bienvenues pour tenter de régler le difficile problème de l'habitat de ces populations françaises qui adoptent un autre mode de vie, tout en régulant le stationnement illégal. Depuis, de nombreux maires sont malgré tout confrontés à des situations conflictuelles, alors même qu'ils ont mis en place, directement ou dans le cadre de leur intercommunalité, des aires d'accueil.

Ainsi, treize années après la promulgation de la loi, celle-ci n'est toujours pas appliquée dans sa totalité, en particulier en matière d'aires de grand passage. Pourtant, n'en déplaise à ceux qui ont oublié cette disposition, la loi Besson prévoit que l'État peut imposer cette dépense obligatoire des aires d'accueil dans un délai de deux à quatre ans, si aucune démarche n'est engagée. Plus précisément, aux termes de l'article 3 de cette loi, l'État peut le faire « si, à l'expiration des délais prévus à l'article 2 et après mise en demeure par le préfet restée sans effet dans les trois mois suivants, une commune ou un établissement public de coopération intercommunale n'a pas rempli les obligations mises à sa charge par le schéma départemental ».

L'article 4 de la loi prévoit une prise en charge par l'État de 70 % ou 50 % des dépenses en fonction des délais et de la réactivité des communes. Sur ce point, nous avons d'ailleurs entendu de nombreuses contrevérités ces jours derniers, l'État ayant pris sa part, à l'époque, de la dépense d'investissement. Malheureusement, la volonté a ensuite fait défaut. La loi a été appliquée par les élus qui en mesuraient la nécessité. Pour ce qui concerne les aires de grand passage, beaucoup ont regardé ailleurs.

Ces échecs nous renvoient aux situations tendues et conflictuelles actuelles. Lorsque des caravanes arrivent en nombre, les préfets se trouvent dans l'obligation de faire face le plus souvent en urgence. Les conditions d'accueil sont rarement adaptées et ne répondent en rien aux conditions minimales d'hygiène, de salubrité et de sécurité. Les élus, notamment les maires, sont alors en première ligne et doivent gérer ces situations.

Plus d'une décennie après l'adoption de la loi Besson, je vous demande, monsieur le ministre, quelles mesures vous envisagez de prendre dans ce domaine si sensible. Une évaluation de l'application de cette loi pourrait être entreprise et la création d'aires d'accueil et d'aires de grand passage systématiquement engagée.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, vous avez parfaitement décrit la situation, en évoquant les difficultés d'application de la loi Besson du 5 juillet 2000.

Répondre à votre question, c'est réaffirmer l'équilibre nécessaire entre droits et devoirs des gens du voyage, ainsi qu'entre droits et devoirs des élus de la République.

Nous connaissons tous - c'est aussi l'ancien maire qui parle ici - les difficultés que rencontrent les élus ; ils sont fréquemment en première ligne pour résoudre des situations souvent très tendues, parce que les populations, elles-mêmes confrontées à des difficultés, sont en colère, parfois fort légitimement ; monsieur le sénateur, lorsque je me suis rendu dans votre département, voilà quelques jours, plusieurs interlocuteurs m'ont entretenu de ces problèmes.

Nous savons que les élus ayant rempli toutes les obligations mises à leur charge par la loi Besson sont parfois, lors d'occupations illicites, les plus exposés à la colère des habitants de la commune, qui ont participé, en tant que contribuables locaux, à la construction des aires d'accueil ; en pareils cas, c'est la parole publique qui est disqualifiée.

Comme vous l'avez rappelé, monsieur Filleul, la loi Besson a justement cherché à établir un équilibre entre les droits et les devoirs réciproques dont je viens de parler. Cependant, treize ans après son adoption, elle demeure en grande partie inappliquée sur une portion du territoire. De fait, selon la Cour des comptes, seules 52 % des places prévues en aires d'accueil et 29,4 % des aires de grand passage prévues avaient été réalisées au 31 décembre 2010.

Nous ne pouvons plus accepter cette situation, qui rompt avec le principe d'équité territoriale auquel nous sommes tous attachés - et vous, mesdames, messieurs les sénateurs, d'une façon toute spéciale.

D'une part, en effet, elle fragilise par avance toute entreprise visant à soutenir les maires en cas d'occupation illicite. Les voyageurs renvoient d'ailleurs l'État à ses responsabilités en imputant les situations difficiles au non-respect des dispositions légales par les maires.

D'autre part, elle ne manque pas de susciter des débats tout à fait insupportables ; ces dernières semaines, toute une série de prises de position - sans même parler de la plus récente, que je ne confonds du reste pas avec les autres - a créé un climat de très grande confusion.

Ma position est claire : nous devons sortir de cette ambiguïté, qui dure depuis trop longtemps.

C'est dans cet esprit que le Gouvernement soutient la proposition de loi actuellement portée par le député Dominique Raimbourg. Ce texte est construit à la fois sur le principe d'équilibre que je viens de réaffirmer et sur le travail que beaucoup d'entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, menez depuis des années. J'ai d'ailleurs assisté à un colloque auquel participaient non seulement M. Raimbourg, mais aussi le député Didier Quentin et le sénateur Pierre Hérisson, membres de l'actuelle opposition, qui travaillent sur cette question. Je ne doute pas, monsieur Filleul, que vous apportiez vous aussi votre contribution.

Sur la base d'une évaluation de la loi Besson, nous devons bâtir un nouveau dispositif législatif afin de faire vivre ces droits et ces devoirs.

L'État se place aux côtés des gens du voyage pour que leurs droits soient très concrètement respectés, en obligeant les élus, y compris avec un certain nombre de moyens financiers, à construire des aires d'accueil.

Ce premier principe a pour corollaire qu'il est légitime et juste que nous soyons aussi aux côtés des élus locaux. Il est nécessaire de leur garantir, au besoin avec le concours de la force publique, l'évacuation des campements illicites, non seulement si un trouble est causé à l'ordre public, mais encore s'il existe, en plus de l'aire communale éventuellement occupée, une aire d'accueil proche pour recevoir les gens du voyage, dans un périmètre que nous devrons fixer dans la loi.

Concernant les aires de grand passage, nous approuvons l'idée de rendre obligatoires, dans le schéma départemental d'accueil et d'habitat des gens du voyage, la mention tant des communes où ces aires doivent être installées que de la capacité d'accueil de chaque aire. Je demanderai sans doute à des parlementaires d'aider le Gouvernement à mieux traiter cette question, dont on voit bien, au cœur de l'été, qu'elle est l'une des principales difficultés. (MM. Jean-Jacques Filleul et Didier Guillaume acquiescent.)

Bref, il s'agit, d'une part, de rappeler aux communes, y compris en recourant à des moyens coercitifs, qu'elles sont tenues de respecter la loi Besson et, d'autre part, de donner aux maires respectueux de la loi les moyens de faire évacuer beaucoup plus rapidement les terrains occupés de façon illicite.

Il faut aussi réexaminer la question du schéma départemental d'accueil et d'habitat des gens du voyage, ainsi que celle des aires de grand passage.

Enfin, il faut en appeler aux élus et aux gens du voyage pour qu'ils surmontent ensemble les défiances réciproques et qu'un apaisement puisse être obtenu. Sans méconnaître les difficultés, en appelant au respect de la loi et au dialogue républicain, il s'agit de promouvoir l'intérêt général, fondement de la République. Je ne doute pas, monsieur Filleul, que vous participerez une nouvelle fois à ce travail !

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul.

M. Jean-Jacques Filleul. Monsieur le ministre, je souscris à vos propos. J'apprécie en particulier le ton apaisé de votre réponse ; je pense que c'est le ton républicain que tout le monde attend aujourd'hui.

Il reste qu'au printemps, en Indre-et-Loire, nous avons vécu des moments un peu compliqués lorsque des communes ont eu à subir sur leur territoire des afflux très importants de caravanes, sur des terrains inappropriés. Il faut bien reconnaître que l'arrivée de toutes ces personnes a troublé l'ordre public. Les services municipaux et préfectoraux, ainsi que la police et la gendarmerie, ont été mobilisés, comme vous l'imaginez bien. Tout cela n'est pas correct dans un grand pays comme le nôtre.

Comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre, chacun a des droits et des devoirs ; je considère qu'il faut les appliquer.

Nous attendons avec impatience de connaître le contenu de la proposition de loi en cours d'élaboration à l'Assemblée nationale.

Même si, comme j'ai eu l'occasion de le constater sur le terrain, les riverains ont une vraie retenue, souvent parce que les maires sont très attentifs, le souvenir des incidents survenus à Saint-Aignan en 2010 demeure vivace en Indre-et-Loire ; il ne faudrait pas que de tels événements se reproduisent.

Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre réponse ; j'adhère à vos engagements et je me tiens à votre disposition.

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