Question de M. KAROUTCHI Roger (Hauts-de-Seine - Les Républicains) publiée le 31/12/2015

M. Roger Karoutchi interroge Mme la garde des sceaux, ministre de la justice sur le phénomène de la radicalisation dans nos prisons et sur les mesures prises par ses services pour endiguer ce fléau. L'enquête judiciaire encore en cours en réaction aux attentats de Paris et de Seine-Saint-Denis le vendredi 13 novembre 2015 met en exergue le fait qu'un certain nombre des terroristes sont passés par une détention dans une structure de l'administration pénitentiaire. Il constate que les gardiens de prison sont les premiers acteurs à devoir faire face à la radicalisation de bon nombre de détenus : ils expliquent très clairement être désemparés pour contrer ce phénomène avec efficacité. Ils soulignent que, par exemple, les promenades sont le moment propice pour les prêcheurs de haine d'œuvrer en toute impunité et d'essayer de radicaliser d'autres détenus. Il est désormais de notoriété publique que la radicalisation en prison s'appuie sur un sentiment d'impunité pour ceux qui s'y adonnent. Il s'inquiète de ce phénomène qui est connu depuis de nombreuses années, bien avant les attentats meurtriers de janvier 2015 et novembre 2015 et souhaite prendre connaissance des mesures actuelles et à venir pour lutter contre la radicalisation qui tend à gangréner les prisons françaises.

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Transmise au Ministère de la justice


Réponse du Ministère de la justice publiée le 09/06/2016

La lutte contre la radicalisation à dimension religieuse dans les établissements pénitentiaires fait partie des priorités du Gouvernement. Le plan de lutte contre le terrorisme annoncé par le Premier ministre le 21 janvier 2015 comporte un important volet pénitentiaire.  La création des unités dédiées constitue l'une des principales mesures de la partie pénitentiaire du plan de lutte contre le terrorisme. Deux de ces unités dédiées, en plus de celle expérimentée à la maison d'arrêt des hommes de Fresnes, sont opérationnelles depuis fin janvier 2016. Pour des raisons tenant à l'architecture, la géographie, la capacité des sites à mettre en œuvre rapidement le dispositif, les implantations suivantes ont été retenues, en complément de l'unité mise en œuvre à la maison d'arrêt de Fresnes fin 2014 : deux unités à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, une à la maison d'arrêt d'Osny et une au centre pénitentiaire d'Annœullin, près de Lille.  L'affectation en unité dédiée est réservée aux hommes détenus majeurs, en raison de l'implantation de ces unités dans des établissements ou des quartiers d'hébergement n'accueillant qu'une population pénale masculine. Cette affectation permet d'assurer un encellulement individuel. Tout détenu placé en unité dédiée est pris en charge dans le respect du régime ordinaire de détention, avec les droits et obligations y afférents (maintien des liens familiaux, accès aux activités, etc.).  La mise en œuvre de telles unités répond à la nécessité de proposer une prise en charge adaptée des personnes détenues radicalisées ou en voie de radicalisation, tout en veillant au respect du bon ordre au sein des établissements pénitentiaires concernés.  Deux unités sont consacrées à l'évaluation des personnes détenues radicalisées ou en voie de radicalisation. L'une d'elle, implantée à la maison d'arrêt de Fresnes, bénéficie de la proximité du centre national d'évaluation. La gestion des interdictions de communiquer, nombreuses dans les dossiers d'association de malfaiteurs a conduit à la création d'une seconde unité d'évaluation à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis.  À la suite de l'évaluation ainsi réalisée et en fonction de leur profil, les personnes détenues peuvent être intégrées à un programme de prise en charge et alors affectées dans l'une des trois autres unités dédiées implantées dans la maison d'arrêt d'Osny ou de Fleury-Mérogis, ou au centre pénitentiaire de Lille Annœullin.  Chaque unité propose des modes de prise en charge différents liés au profil des personnes. Par ailleurs, le personnel y est dédié (ce qui est rendu possible par les renforcements permis par le plan de lutte contre le terrorisme) et spécialement formé. Enfin, le dispositif des unités dédiées n'est pas exclusif d'une prise en charge adaptée des détenus radicalisés dans tout établissement pénitentiaire.  Par ailleurs, grâce au renseignement pénitentiaire, le ministère de la justice s'emploie à détecter les mouvements de repli identitaire et de radicalisation, et à gérer la détention des personnes concernées. Ainsi, le renseignement pénitentiaire a vu ses moyens renforcés avec 111 nouveaux emplois grâce au PLAT1. Les établissements les plus sensibles bénéficieront à terme (recrutements en cours) d'un à deux officiers pour coordonner ce renseignement et les directions interrégionales des services pénitentiaires sont renforcées par des personnels dédiés au renseignement (officiers, personnels d'insertion et de probation, informaticiens, analystes-veilleurs, traducteurs). Au niveau central, le bureau du renseignement pénitentiaire est également renforcé.  La transmission d'informations en provenance des services de renseignement à destination des niveaux national, interrégional ou local du renseignement pénitentiaire est actuellement régie par des protocoles signés avec certains partenaires de renseignement (direction générale de la sécurité intérieure et unité de coordination de la lutte anti-terrorisme au niveau national). Un directeur des services pénitentiaires a été mis à disposition de l'unité de coordination de la lutte anti-terrorisme pour faciliter les échanges liés à la radicalisation en prison. De plus, une circulaire conjointe des ministères de l'intérieur et de la justice du 25 juin 2014 référencée INTK1410202C renforce la coopération entre les services de l'Etat et fait des services de l'administration pénitentiaire des membres des réunions des états-majors de sécurité en préfecture. Enfin, une doctrine d'emploi du renseignement pénitentiaire précisant le fonctionnement et l'organisation du réseau du renseignement pénitentiaire a été élaborée.  En outre, le travail quotidien d'observation et de renseignement réalisé par les personnels pénitentiaires permet de mettre en œuvre des modalités de gestion de détention destinées à prévenir le prosélytisme. La formation des personnels est renforcée à cette fin en formation initiale et continue.  Il convient d'ajouter que le projet de loi relatif à la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement est examiné actuellement au Parlement. Il comporte des articles qui visent à doter le renseignement pénitentiaire d'une base juridique qui lui fait jusqu'à présent défaut.  Par ailleurs, dans le prolongement des mesures annoncées par le Premier ministre le 21 janvier 2015, l'aumônerie musulmane a bénéficié d'une dotation complémentaire destinée à permettre le recrutement supplémentaire de 60 aumôniers indemnisés. Il convient de relever que l'aumônerie musulmane est, depuis cette année, l'aumônerie pénitentiaire qui bénéficie de la plus importante dotation.  Enfin, des mesures liées à l'encellulement individuel et reconnues comme contribuant à la déradicalisation sont financées à hauteur de 26 millions d'euros sur trois ans par l'amélioration des conditions de prise en charge des personnes détenues (réhabilitation de zones collectives ou individuelles en cellule) d'une part, et par l'accroissement des activités, des aménagements de peine et le développement de nouveaux programmes d'insertion et d'activité d'autre part. La lutte contre la radicalisation violente nécessite une réponse globale, coordonnée et transversale. L'apparition de ce phénomène en détention n'est qu'une partie de la problématique. Il est cependant indispensable de continuer les efforts engagés sur ce terrain pour gagner la guerre contre le terrorisme.

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