Question de M. HERVÉ Loïc (Haute-Savoie - UC) publiée le 28/12/2017

M. Loïc Hervé attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur le projet de réforme de la carte judiciaire qui soulève de vives inquiétudes dans les départements de la Savoie et de la Haute-Savoie. En effet, il semblerait que ce projet remette en question le devenir de la cour d'appel de Chambéry, destinée à fusionner avec celles de Grenoble et de Lyon. La suppression du tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains ou le transfert d'une partie de son activité semblent également envisagés. Les magistrats et les fonctionnaires déplorent les conditions de consultation extrêmement réduites pour jeter les fondements d'une organisation judiciaire équitable, fiable, accessible et performante. Les conséquences d'une telle refonte seraient désastreuses.
Alors que la Savoie et la Haute-Savoie sont identifiées pour leur dynamisme démographique et économique, un délitement du service public de la justice est irrationnel. Ce serait nier les besoins de ce territoire, désavouer le développement des activités de ces juridictions, négliger les difficultés de déplacement au regard d'un transport en commun insuffisant et des conditions climatiques et géographiques si spécifiques aux territoires de montagne. Au moment où la survie des territoires ruraux est en jeu, la concentration d'une activité judiciaire constitue la négation même du droit de justiciable de voir traiter son dossier par un magistrat localement compétent. Une paupérisation de notre système judiciaire affectera cruellement les plus vulnérables. Elle aura en outre un effet dissuasif et sera source d'inégalité de nos concitoyens, en créant une justice à deux vitesses.
Aussi lui demande-t-il de bien vouloir lui faire savoir si elle envisage de reconsidérer les schémas d'organisation des juridictions en discernant les spécificités de leurs territoires, c'est-à-dire en appréciant, entre autres, les distances, les perspectives de développement, les manques de moyens.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 07/03/2018

Réponse apportée en séance publique le 06/03/2018

M. Loïc Hervé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de réforme de la carte judiciaire soulève de vives inquiétudes dans tout le pays – de nombreux collègues partagent, je crois, cette inquiétude –, et particulièrement dans les départements de la Savoie et de la Haute-Savoie.

Si vous affirmez régulièrement, madame la ministre, que votre projet ne supprimera aucune juridiction, les élus locaux, de même que les magistrats, les fonctionnaires et les professions juridiques, s'inquiètent vivement du sort qui sera réservé à la cour d'appel de Chambéry, destinée à fusionner avec celles de Grenoble et de Lyon.

La même inquiétude existe quant au destin de trois de nos tribunaux de grande instance, ceux d'Albertville, de Bonneville et de Thonon-les-Bains. Leur dévitalisation en matière d'activité judiciaire laisse craindre leur suppression à terme, alors que la justice y est aujourd'hui rendue rapidement.

Pacta sunt servanda : ma plaidoirie ne serait pas complète si j'oubliais le droit international public et le traité de Turin, texte qui a donné un certain nombre de garanties à la Savoie au moment où elle devint française. On pourrait considérer cela comme de l'archéologie juridique ; il n'en est rien, et je vous renvoie aux excellents travaux du barreau de Chambéry sur ce point. Les départements de la Savoie et de la Haute-Savoie sont toujours restés, depuis 1860, des territoires frontaliers et des territoires de montagne.

Cela dit, nos départements sont identifiés pour leur dynamisme démographique et économique, en périphérie des métropoles de Lyon, de Grenoble, voire de Genève. Dans ces conditions, un délitement du service public de la justice serait fort préjudiciable à un territoire puissant. Ce serait nier ses besoins, désavouer la performance et l'expertise des juridictions existantes, et négliger les difficultés de déplacement au regard de transports en commun insuffisants et de conditions climatiques et géographiques si spécifiques à la montagne.

Au moment où la survie des territoires intermédiaires et ruraux, en particulier des petites villes, est en jeu, la concentration de toute l'activité dans les seules métropoles constitue la négation même du droit du justiciable à voir traiter son dossier par un magistrat localement compétent et connaisseur des réalités de la vie d'un territoire dans lequel il vit lui-même.

Madame la ministre, envisagez-vous de reconsidérer les schémas d'organisation des juridictions, en discernant les spécificités de chaque territoire, c'est-à-dire en appréciant, entre autres, les distances, les perspectives de développement et les manques de moyens ? Quelles informations rassurantes êtes-vous en mesure de nous apporter ? Comment, dans une telle réforme, comptez-vous associer les élus locaux et les parlementaires au devenir d'un service public aussi essentiel que celui de la justice dans les territoires, a fortiori quand ceux-ci se situent en dehors des principales métropoles du pays ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – Mme Martine Berthet, MM. Jean-Pierre Vial et Mathieu Darnaud applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Loïc Hervé, vous le savez, le Gouvernement a lancé, au mois d'octobre dernier, une large réflexion sur cinq grands chantiers thématiques qui doivent être considérés comme une réforme globale. Ces chantiers portent sur la procédure civile, la procédure pénale, l'efficacité des peines, la numérisation et l'adaptation territoriale de notre réseau de juridictions. Les rapports relatifs à ces cinq chantiers m'ont été remis le 15 janvier dernier ; ils constituent des propositions.

Sur le fondement de ces propositions, j'ai engagé toute une série de concertations avec les organisations représentatives des magistrats, des barreaux, des autres professions du droit, et des élus locaux et nationaux – ce matin encore, je recevais le président de l'Association des régions de France.

Le rapport concernant l'adaptation du réseau des juridictions a été rédigé, vous le savez, par MM. Raimbourg et Houillon. Il conclut à la nécessité de repenser l'architecture de ce réseau pour la moderniser, dans l'intérêt premier de nos concitoyens et des justiciables, que nous n'oublions jamais. En effet – ce ne sont pas que des mots –, ce sont bien les justiciables qui sont au cœur de notre réforme.

La réflexion actuellement menée autour de l'organisation territoriale vise ainsi à satisfaire les intérêts essentiels des justiciables, auxquels on doit garantir un accès à la justice qui soit simple – ce qui veut dire qu'il y aura de puissantes réformes pour garantir la simplicité de l'accès à la justice –, transparent, rapide et direct. Sur la base de ces principes, des évolutions opérationnelles sont envisagées qui devront impérativement concilier l'exigence de proximité, l'efficience des juridictions et, dans certains cas, la spécialisation.

Cette volonté d'évolution du réseau judiciaire, je le répète, ne se traduira en aucun cas par la réduction des effectifs – ce sera même le contraire – ni par la fermeture de sites judiciaires. Je m'étonne ainsi que vous puissiez évoquer la fusion de la cour d'appel de Chambéry avec celles de Grenoble et de Lyon ; il n'est aucunement question de cela.

Le succès de la réforme judiciaire sera conditionné à son ancrage dans la réalité de nos territoires, ce qui se traduira nécessairement par la poursuite des concertations actuellement menées et, bien entendu, par la prise en compte des singularités de chacun de ces territoires.

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé.

M. Loïc Hervé. Je vous remercie, madame la ministre, de ces réponses. J'entends les différents éléments que vous nous apportez.

Néanmoins, notre vigilance ne faiblira pas sur ce sujet. Nous sommes attachés, en pays de Savoie, à une justice très présente dans les territoires – ce sont des territoires, je l'évoquais tout à l'heure, qui sont compliqués.

Mes collègues sénateurs Martine Berthet, Jean-Pierre Vial, Cyril Pellevat, Jean-Claude Carle et moi-même serions demandeurs d'une audience (Mme le garde des sceaux opine.), pour poursuivre la concertation que vous avez appelée de vos vœux et, visiblement, enclenchée, afin de vous présenter les arguments permettant d'adapter votre réforme dans nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – Mme Martine Berthet, MM. Jean-Pierre Vial et Mathieu Darnaud applaudissent également.)

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