Question de M. GAY Fabien (Seine-Saint-Denis - CRCE) publiée le 01/03/2018

M. Fabien Gay attire l'attention de M. le ministre de l'économie et des finances sur la situation du groupe Engie, dont l'État est actionnaire de référence à plus de 24 %, qui pratique de plus en plus l'externalisation par la délocalisation, notamment de plateformes téléphoniques.
Engie, anciennement GDF-Suez, a fermé ses accueils au public il y a dix ans, alors que le marché ouvrait à la concurrence, externalisant petit à petit une partie de son activité et entraînant une réduction de moitié des salariés du service clientèle.
Aujourd'hui, cette logique d'externalisation se poursuit, et Engie se dirige vers des prestataires proposant des services hors du territoire national, à bas coûts.
Le gain de ces opérations serait d'environ 3,6 millions d'euros, alors même que l'entreprise est en très bonne santé, touchant 70 millions d'euros en 2014 et 100 millions en 2015 au titre du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), c'est-à-dire de ce dispositif visant à favoriser l'emploi en France, non à le laisser s'échapper au nom de la rentabilité.
Est avancé l'argument de la mutation du marché du fait de la transition écologique. C'est par l'investissement dans l'innovation et la formation que celle-ci peut réussir, non dans la sous-traitance hors du sol national, que rien ne justifie en termes de qualité de service, de proximité, ou d'emploi.
Cette logique visant à tirer sur les coûts, inutile au regard de la bonne santé d'Engie, entraîne des risques conséquents pour l'emploi en France, puisque certaines plateformes dépendent presque complètement d'Engie.
En dix ans, Engie a perdu dix points de qualité. Les consommateurs sont donc également touchés par ces stratégies d'externalisation.
C'est le service public que l'on délocalise et l'égalité entre les territoires que l'on met ainsi en péril en supprimant des emplois dans des zones parfois déjà sinistrées.

Il lui demande si l'État, en tant qu'actionnaire et garant du service public et de l'égalité sur le territoire, va prendre ses responsabilités pour conserver l'emploi en France et ne pas mettre en péril l'équilibre des territoires.

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Réponse du Secrétariat d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics publiée le 20/06/2018

Réponse apportée en séance publique le 19/06/2018

M. Fabien Gay. Monsieur le secrétaire d'État, je suis désolé, car j'ai une extinction de voix depuis trois jours. J'espère néanmoins pouvoir parler clair.

Vous avez devant vous, monsieur le secrétaire d'État, un élu en colère ; en colère, parce que, partout, les plans de licenciement se succèdent : Ford, Pages jaunes, Carrefour. À côté de cela, on a des scandales financiers, des dividendes versés aux actionnaires à des taux record ; c'est aussi le PDG de Carrefour qui part avec 16 millions d'euros.

À chaque fois, l'État nous dit que l'on ne peut rien faire, car c'est le privé.

Ce matin, je suis venu évoquer un problème sur lequel vous pouvez avoir prise, monsieur le secrétaire d'État ; il concerne Engie, entreprise dans laquelle l'État est actionnaire à hauteur de 24 %.

Engie, c'est cette grande entreprise française, ex-GDF, puis GDF-Suez. Eh oui, l'ouverture à la concurrence et la libéralisation du secteur de l'énergie sont passées par là. D'ailleurs, je le répète, il faudra un jour faire le bilan de cette évolution. Force est de constater qu'elle n'a pas été un « plus » pour les consommateurs, le prix du gaz ayant augmenté de 80 %, et pas davantage un « plus » pour les salariés.

Cela n'a été un « plus » pour personne, à part pour les profits.

Et là, Engie est aujourd'hui recordman, puisque l'entreprise occupe la deuxième place, derrière Arcelor-Mittal, pour ce qui est du taux de profit : 27,55 milliards d'euros versés aux actionnaires !

Nous sommes passés d'un service public qui répondait à un besoin d'humanité, à une entreprise privée qui répond au profit.

J'ai été alerté par l'intersyndicale de cette entreprise. À ce propos, nous devrions plus respecter les syndicats et les corps intermédiaires dans ce pays, parce qu'ils nous alertent.

Que nous disent-ils ? Après avoir externalisé la relation clientèle hors de l'entreprise, en France, pour améliorer le profit, l'entreprise Engie délocalise ou « offshorise » dorénavant à l'extérieur du pays.

M. Roland Courteau. Tout à fait !

M. Fabien Gay. Après le Portugal et le Maroc, ses dirigeants viennent de lancer un nouvel appel d'offres pour le Cameroun et le Sénégal. C'est une véritable course au dumping social. Quelque 1 200 emplois ont déjà été sacrifiés sur l'autel du profit et 3 000 sont menacés. Dans le même temps, Acticall, à Toul, a fermé, laissant 200 salariés sur le carreau.

Monsieur le secrétaire d'État, ma question est simple : l'État va-t-il laisser se poursuivre cette course au profit et au rendement ou va-t-il, en tant qu'actionnaire pouvant agir, s'opposer au dumping social de cette entreprise ?

M. Roland Courteau. Très bonne question !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics.

M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics. Monsieur le sénateur Fabien Gay, je vous rassure, votre extinction de voix ne vous empêche pas de vous faire entendre, c'est le moins que l'on puisse dire. (Sourires.)

Bruno Le Maire, retenu, m'a demandé de bien vouloir répondre à sa place à la question que vous posez sur l'externalisation des activités de « service clients » par le groupe Engie, dont l'État est actionnaire de référence, comme vous l'avez rappelé.

Avant de vous répondre sur le fond, je veux d'abord vous faire savoir que l'État est attentif à la dimension sociale de la transformation en cours du groupe Engie. Il faut signaler à cet égard que le groupe a signé, en avril 2016, avec trois fédérations syndicales européennes, et conformément au dialogue social que vous appelez de vos vœux, un accord impliquant qu'une offre d'emploi au sein du groupe soit proposée à tout salarié concerné par des réorganisations. Cet accord prévoit aussi un important effort de formation pour adapter les compétences des salariés aux nouveaux besoins de l'entreprise.

Sur le fond, la décision d'Engie d'externaliser une partie de son « service clients » résulte d'une intensification de la concurrence sur ces marchés, en lien avec la dérégulation des marchés de l'énergie.

La perception du CICE en 2014 et en 2015, dont Engie a bénéficié – vous l'avez rappelé dans votre question –, ne doit pas faire oublier la situation difficile qu'a traversée le groupe jusqu'en 2016, à l'image de l'ensemble des énergéticiens de l'Union européenne. Pour y faire face, le groupe a engagé un plan de transformation ambitieux qui intègre un effort significatif de productivité.

Concernant le cas spécifique des centres d'appels, ils sont confrontés à une exigence de plus en plus élevée de la part de la clientèle. Pour satisfaire à cette exigence, ils intègrent l'apport de nouveaux outils technologiques tels que l'intelligence artificielle. Par ailleurs, les réseaux et services de communication ont atteint un niveau de performance tel qu'il augmente considérablement la pression concurrentielle sur la filière même des centres d'appels chez Engie, et, malheureusement, ailleurs aussi.

Dans ce contexte, les professionnels concernés et le Gouvernement travaillent au renforcement des atouts de nos entreprises et, plus généralement, à l'attractivité de notre pays. S'agissant en particulier des centres d'appels, cela se traduit notamment par le déploiement de réseaux et de services de télécommunications à très haut débit sur tout le territoire.

Le Gouvernement attache, en outre, un intérêt particulier à ce que le dialogue entre les centres d'appels et les donneurs d'ordres comme Engie se développe pour renforcer les atouts de notre système économique national et permettre à ces centres de répondre efficacement aux besoins des entreprises et des usagers.

Je reviens sur les cas particuliers que vous avez évoqués, telle l'externalisation d'un certain nombre de centres d'appels, qui provoquerait une réorganisation des emplois. L'objectif du dialogue qui se poursuit entre le ministre de l'économie et des finances et le groupe Engie est de faire en sorte que l'accord signé avec les trois fédérations syndicales européennes mentionnées soit respecté et que des propositions de reclassement acceptables, de bon niveau, soient faites à l'ensemble des salariés concernés.

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour répondre à M. le secrétaire d'État.

M. Fabien Gay. Merci, monsieur le secrétaire d'État, pour votre réponse, qui est, permettez-moi de vous le dire, une réponse technocratique. Moi, je vous parle de la vie des gens. Or ils seront 3 000 à rester sur le carreau ! Et l'État ne doit pas « veiller » ! Il est encore actionnaire de cette entreprise et il peut donc prendre des décisions. La loi dite PACTE, plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises, n'est pas encore votée. Vous allez liquider tous les actifs. Vous allez tout vendre et privatiser entièrement Engie.

Souvenons-nous ce qui s'est passé pour GDF. En 2004, quand on a transformé en société anonyme l'établissement public industriel et commercial, l'EPIC, M. Sarkozy, alors ministre de l'économie, avait juré devant l'Assemblée nationale, « les yeux dans les yeux », comme dirait certain, que, jamais, au grand jamais, on ne céderait un seul titre et que, jamais, on ne privatiserait GDF ! Quinze après, voilà, on y est !

M. Roland Courteau. Exact !

M. Fabien Gay. Et je le rappelle à tout le monde, le débat que nous avons eu, la semaine dernière, sur la SNCF se reposera très bientôt !

Vous me dites que l'entreprise va mal et qu'elle a traversé des soubresauts. Je le redis : 27,55 milliards d'euros de dividendes versés à ses actionnaires. Même quand les bénéfices ont été négatifs, on a continué à pratiquer la reversion. Et à quel taux ? Faut-il, là encore, vous le rappeler ? Il s'élevait à 333 % pour les actionnaires, contre 1 % seulement pour les salariés ! Voilà la réalité !

Donc, je ne peux pas admettre votre réponse, monsieur le secrétaire d'État ! C'est un dumping social organisé par une entreprise dont l'État est actionnaire ! Alors que 1 200 emplois sont déjà sur le carreau, il va s'en rajouter 3 000 supplémentaires ! Si la relation clientèle par téléphone ne représente pas l'avenir, alors, pourquoi la délocaliser ? Cela ne présente aucun intérêt, sinon la rentabilité et le profit, qui ont été chiffrés à 5 millions d'euros ! Parce qu'une entreprise privée ne laisse rien, même pas les miettes, ils vont aller jusqu'au bout pour liquider l'affaire et l'emploi, et vous en serez donc complices ! (M. Roland Courteau applaudit.)

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